2 .2 Les radicaux
Ils se présentent co mme les champions de
« la République dé mocratique, parle mentaire et laïque
» menacée par « la réaction nationaliste,
plébiscitaire et cléricale ».
Ils ont appuyé l'action politique de
Waldeck-Rousseau, mais ils ne désirent pas seule ment la continuer, ils
veulent l'orienter davantage a gauche.
Ils ne sont nulle ment disposés a se montrer
indulgents a l'égard des associations religieuses ayant
déposé une de mande d'autorisation ; l'un d'eux réclame
l'application energique et vigoureuse de la loi concernant les congregations
»97. Un autre affirme qu'il faut a assurer l'application
integrale de la loi sur les congregations dont la richesse scandaleuse et
toujours croissante constitue un danger pour la fortune publique et la securite
nationale »98.
Dans le do maine de l'enseigne ment, ils sont unani
mes a demander l'abrogation de la loi Falloux. Les plus modérés
affirment qu'il n'est pas question de re mettre en cause le principe de la
liberté de l'enseigne ment. C'est le cas, entre autres, de Léon
Bourgeois qui déclare : J'ai pris egalement part au vote pour
l'abrogation de la loi Falloux. On a pretendu que c'etait voter pour la
suppression de la liberte d'enseignement et le retablissement du monopole
universitaire. 1l n'en est rien »99. Mais no mbreux sont ceux
qui ne craignent pas de dire que le but ainsi recherché est le
rétablisse ment du monopole d'Etat : «Je dois encore dire qu'il ne
me parait pas possible de laisser subsister les derniers vestiges de la loi
Falloux. L'Etat a le droit de prendre en main la direction de l'enseignement
primaire et secondaire et d'assurer seul ce service,
97 Profession de foi du
député de la 11ème circonscription de
l'arrondissement de Mâcon (Saône-et-Loire).
98 Profession de foi du
député de l'arrondissement de Nantua (Ain).
99 Profession de foi du
député de l'arrondissement de Châlons-sur-Marne
(Marne).
sous la condition d'exercer ce droit dans la plus stricte
neutralite confessionnelle »100 dit un député de
l'Aisne.
A part quelques-uns qui de mandent une trés
stricte application du régi me concordataire, presque tous
réclament la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Nombre de
programmes élaborés par des co mités radicaux-socialistes
exigent la suppression
i mmédiate du budget des cultes, aussitot
suivie par la dénonciation du Concordat et la séparation des
Eglises et de l'Etat'0'; cependant la plupart reconnaissent qu'un
délai, si court soit-il, est nécessaire. Ainsi celui-ci qui
écrit a ses électeurs : « ll y a necessite absolue de faire
tout d'abord une application plus ferme du Concordat, tous les jours dechire
par le clerge luimême, et de preparer le seul regime qui doive satisfaire
tous les partis, la separation qui, apres une loi sur la police des cultes,
maintiendra la liberte des Eglises dans la souverainete absolue de l'Etat
laique »$0'. En tout cas, il est certain que, dans leur
ensemble, les radicaux, et surtout les radicaux-socialistes, considérent
moins la séparation co mme un moyen d'apaiser le conflit entre l'Eglise
et l'Etat que co mme un coup mortel qui serait porté a
l'Eglise.
Depuis l'affaire Dreyfus le militaris me n'est plus
guére de mise parmi les radicaux. Cependant, ils té moignent
toujours d'un trés vif attache ment a l'armée. Ils
désirent qu'elle soit honorée et qu'elle ne soit pas
mêlée aux luttes politiques, mais ils veulent qu'elle soit
respectueuse des institutions républicaines. Dujardin-Bau metz, pourtant
antidreyfusard convaincu, déclare : « Je veux une armee forte,
disciplinee, respectueuse de la Constitution republicaine et de la loi, aussi
resolue a reprimer les attentats criminels des cesariens que dedaigneuse des
attaques et des injures de quelques egares »b03.
Ce sont d'ardents partisans du service de deux ans qui
doit « etablir l'egalite devant l'imp9t du sang »b04.
Certains radicaux-socialistes, proches du socialis me, envisagent mê me
le service d'un an.
100 Profession de foi du
député de l'arrondissement de Château-Thierry
(Aisne).
101 Par exemple la profession de foi du
député de la 1ère circonscription de
l'arrondissement de Toulouse (Haute-Garonne).
102 Profession de foi du député de
l'arrondissement de Louhans (Saône-et-Loire).
103 Profession de foi du député de
l'arrondissement de Limoux (Aude).
104 Profession de foi du
député de la 2ème circonscription de
l'arrondissement de Narbonne (Aude).
S'il est une réforme qui se mble tenir a cceur
aux radicaux, c'est bien celle du systême fiscal. Toutes les professions
de foi, tous les programmes des co mités réclament la
création d'un imp6t sur le revenu. C'est aprês la
séparation des Eglises et de l'Etat et le service de deux ans le
principal cheval de bataille du radicalis me.
a La Republique doit aux citoyens français
l'egalite et la justice. Elle les realisera tout d'abord devant l'imp9t
»105. a Le systeme actuel d'impots reste leger aux riches, trop
lourd aux pauvres, il pese surtout d'un poids enorme sur l'agriculture et le
domaine rural. L'impot progressif sur le revenu net reparera cette injustice en
proportionnant plus equitablement les charges. 1l constituera essentiellement
le grand degrevement des campagnes et de la propriete rurale, ecrasee a l'heure
actuelle par la criante iniquite de l'imp9t foncier, dont il permettra de
realiser la suppression » dit Albert Sarraut106.
Si les radicaux-socialistes exigent l'instauration
d'un « imp9t progressif et global sur le revenu avec degrevement a la base
»107, certains radicaux, tout en acceptant le principe de cette
i mportante réforme fiscale, é mettent des réserves a son
sujet. Ainsi ce candidat déclare : a Tout en etant partisan de l'imp9t
sur le revenu, je declare que cet imp9t ne peut etre etabli qu'apres de
serieuses etudes, qu'il ne doit en aucun cas revdtir un caractere vexatoire,
qu'il faut, avant de le mettre en pratique, ameliorer notre situation au point
de vue financier »104. ~'est-il pas permis, dans ces
conditions, de douter de leur volonté de voir aboutir cette
réforme ?
Dans le do maine écono mique et social, les
radicaux modérés, de la tendance Léon Bourgeois,
n'adoptent pas une position sensible ment différente de celle des
républicains de gauche. Au contraire, les radicaux-socialistes formulent
des propositions beaucoup lus hardies.
Radicaux et radicaux-socialistes to mbent cependant
d'accord sur plusieurs points. Tout d'abord, ce sont tous des protectionnistes
convaincus. On re marque d'ailleurs que lorsqu'ils de mandent le maintien, et
même au besoin le renforce ment des barrières
105 Cf. note 99.
106 ·-
cf.' note 104.
107 Programme du
Congrès radical-socialiste de l'arrondissement d'Auxerre (Yonne)
reproduit dans la profession de foi du député de la
2ème circonscription de l'arrondissement
d'Auxerre.
108 Profession de foi du député de la
1ère circonscription de l'arrondissement de Bourges
(Cher).
douanières, ils évoquent avant tout les
intérêts de l'agriculture et de la viticulture. Ensuite, on
constate chez tous le constant souci de défendre les « petits
», les « humbles », les « déshérités
». Enfin tous affirment leur attache ment au principe de la
propriété privée et condamnent les doctrines
collectivistes. Mais on doit toutefois dire que les condamnations les plus
nettes sont prononcées par les simples radicaux ; ainsi Dujardin-Bau
metz déclare : « Je resterai toujours un defenseur resolu de la
propriete et de la liberte individuelles. Je repousse de la maniere la plus
nette les doctrines collectivistes »109.
Les radicaux-socialistes ne jugent pas leur attache
ment au principe de la propriété individuelle incompatible avec
les mesures de nationalisations qu'ils réclament, bien au contraire.
Ainsi Albert Sarraut affirme :« Défenseur de la propriete
individuelle, c'est pour la mieux affermir aux mains de ceux qui la possedent
que je suis partisan de mesures legislatives empêchant la constitution de
grands monopoles particuliers ayant le caractere de f~odalites nouvelles : je
pense donc qu'il faudra faire rentrer dans le domaine de l'Etat certains grands
monopoles et services publics, tels que les mines, chemins de fer, canaux, au
fur et a mesure que l'exigeront les interets de la production agricole, comme
ceux de la production industrielle et de la defense nationale
»110.
Alors que les radicaux pronent la solidarité
des classes, l'entente entre le capital et le travail, et un large appel a la
mutualité pour résoudre en particulier le problè mes des
retraites ouvrières, les radicaux-socialistes proposent toute une
série de mesures en faveur des travailleurs : lois sur l'hygiène
et la sécurité dans les lieux de travail, limitation des
horaires, repos hebdo madaire, systè me co mplet de retraite et
d'assurance, création d'un ministère du Travail, promotion des
syndicats ouvriers, participation aux bénéfices,
etc.111.
A aucun moment, au cours de la campagne
électorale, les radicaux n'envisagent un rapprochement avec les
républicains progressistes qu'ils considèrent désormais
comme des « réactionnaires » et qu'ils condamnent toujours
très sévère ment. A leur sujet,
109 Cf. note 103.
110 Cf. note 104.
111 Par exemple les
professions de foi des députés de la 2ème
circonscription du 13ème arrondissement de Paris et de la
2ème circonscription du 19ème
arrondissement.
Le Progrès de Lyon écrit : « Ces
republicains egares sont au moins des naSfs si toutefois ils ne sont pas des
traitres. Ils ne voient pas ou ne veulent pas voir le danger que font courir a
la democratie les congregations religieuses derrière lesquelles marchent
les partisans des regimes dechus. »112.
Toute idée de « concentration » est
dés lors rejetée. La Depêche de Toulouse est
catégorique sur ce point : « Aujourd'hui, il n'existe plus dans la
Republique que deux partis bien tranches, bien distincts : les republicains
et...les autres. M. Meline est du cote des autres. C'est son affaire et cela le
regarde. Mais cela seul nous dispense de reparler de la concentration
»11'.
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