2 .3 Les socialistes
Ils sont divisés. Ceux qui suivent
Jaurés pensent qu'il était en 1899 et qu'il est encore en 1902 de
leur devoir de participer a l'ceuvre de « défense
républicaine ». Ceux qui suivent Jules Guesde affirment que les
socialistes n'ont pas a se mêler aux luttes entre les différents
partis « bourgeois ».
Pour les premiers, la réaction menace la
République ; les socialistes, co mme les autres républicains,
doivent la défendre. Ce faisant, ils ne perdent nulle ment leur
originalité, mais ils hâtent, au contraire, l'avéne ment de
la dé mocratie socialiste. Jaurés, en effet, déclare :
« Vaincus au 24 mai, au 16 mai et sous le boulangisme, la reaction
monarchique, clericale et cesarienne a tente il y a quatre ans un nouvel assaut
contre la Republique; et cette fois encore, l'experience a demontre que, pour
refouler la contre-Revolution l'union de tous les republicains etait necessaire
». Puis il ajoute : « L'union necessaire entre les republicains
n'implique pour aucun d'eux aucune abdication. Quand les republicains moderes,
radicaux, socialistes votent tous ensemble contre la reaction, les moderes et
les radicaux n'adhèrent point pour cela au socialisme ; et les
socialistes n'abandonnent pas la moindre parcelle de leurs idees et de leurs
revendications, mais ils affirment tous ensemble que la liberte republicaine
est le patrimoine commun, et qu'elle est la condition absolue de l'evolution
regulière de la democratie »114.
112 Numéro du 6 avril 1902.
113 Numéro du 18 avril 1902.
114 Profession de foi du député de la
2ème circonscription de l'arrondissement d'Albi
(Tarn).
De son côté, Gérault-Richard
écrit dans « la Petite republique » : « ll y a parfois
necessite pour le proletariat d'appuyer, entre les diverses fractions de la
bourgeoisie, celle qui, menaçant le moins ses facultes de propagande,
d'organisation, est la plus susceptible au contraire de lui conceder de
nouvelles garanties et d'ameliorer ses conditions d'existence et de travail
»115 (115).
Pour les seconds, en prêtant leur appui a une
des fractions de la bourgeoisie, les socialistes ne font que prolonger la vie
du régime capitaliste. Le Parti socialiste de France déclare que
: « Parti de revolution, et par consequent d'opposition a l'Etat
bourgeois, s'il est de son devoir d'arracher toutes les reformes susceptibles
d'ameliorer les conditions de lutte de la classe ouvriere, il ne saurait en
aucune circonstance, par la participation au pouvoir central, par le vote du
budget, par des alliances avec des partis bourgeois, fournir aucun des moyens
pouvant prolonger la domination de la chose ennemie »116. Aux
yeux des socialistes intransigeants, seule co mpte la question sociale : «
Les questions qui, a l'heure presente, occupent les partis politiques [...] ne
sont que des trompe-l'ceil pour masquer aux yeux des travailleurs la question
sociale, la seule question qui doive les interesser et les passionner
»117.
Le but visé par les socialistes, a quelque
tendance qu'ils appartiennent, est la transformation de la
société capitaliste en une société collectiviste.
Pour l'atteindre, au P.S.d.F., on envisage surtout d'avoir recours a des moyens
violents, a la révolution. L'avis du P.S.F. est plus nuancé :
«1l serait dangereux s'ecarter l'hypothese d'evenements revolutionnaires
qui peuvent être suscites ou par la resistance ou même par
l'agression criminelle des privilegies. 1l serait funeste, sur la foi du seul
mot de Revolution, de negliger les grandes forces d'action legale dont dispose
dans la democratie le proletariat conscient et organise »118.
Pour sa part, Millerand répudie même toute idée de violence
: « Je suis l'adversaire resolu de tous les moyens violents [...]. Je suis
le partisan convaincu de la methode reformiste »119.
Néanmoins, en attendant, tous les socialistes proposent a peu prês
le même programme, três co mplet, de réformes écono
miques et sociales.
115 La Petite République ,
n° du 16 mai 1902.
116 Déclaration du P.S.d.F., reproduite au
début du Barodet.
117 Le Petit Sou, n° du 28
avril 1902.
118 Déclaration du P.S.F., reproduite au
début du Barodet.
119 Profession de foi du député de la
1ère circonscription du 12ème
arrondissement de Paris.
On ne peut pas dresser ici une liste exhaustive des
mesures ainsi proposées. Contentons-nous d'indiquer les principaux
points. En matière fiscale, les socialistes réclament la
création d'un i mp8t global, progressif et personnel sur le revenu et
celle d'un
i mp8t progressif sur les successions. Dans le do
maine écono mique, ils envisagent de no mbreuses nationalisations, en
particulier celles des che mins de fer, des mines, des assurances, des grandes
industries et de la Banque de France. Au point de vue social, ils
préconisent toutes les mesures possibles afin d'améliorer les
conditions de travail des salariés, ils de mandent l'établisse
ment d'un systè me co mplet d'assurances et de retraites, et ils
réclament la liberté co mplète pour les syndicats ainsi
que le droit pour les fonctionnaires de se syndiquer.
Les problè mes religieux et scolaires
revêtent une importance plus grande pour les socialistes «
ministériels » que pour les autres. Toutes les mesures
proposées ont un caractère radical : les congrégations
doivent toutes être suppri mées et leurs biens confisqués :
la séparation de l'Eglise et de l'Etat doit être i mmédiate
et suivie de la reprise de tous les biens du clergé et de tous les
édifices du culte ; la loi Falloux doit être abrogée et le
monopole universitaire rétabli : a 1l faut que l'Etat laique et
républicain reprenne sur tout l'enseignement le droit de controle et de
direction dont il a été dépouillé
»120. La gratuité de l'enseigne ment a tous les
échelons est aussi réclamée.
Les socialistes n'ont aucune admiration pour
l'armée, pour « toute la ferblanterie nationale
»121. Les guesdistes la considèrent co mme un instrument du
« grand capital » ; on peut lire dans l'appel du Conseil national du
P.O.F. : a Et cette armée, qu'on vous présente comme
destinée a défendre le sol national, n'est mise au service que de
la grande propriété industrielle, financiére, commerciale
et fonciére : tantot pour aller dans les guerres coloniales ouvrir, au
prix du sang de vos fils et de vos fréres, de nouveaux
débouchés a des marchandises que vous êtes trop pauvres
pour consommer ; tantat pour fusiller les travailleurs réclamant un peu
de mieuxetre »122.
120 Cf. note
114.
121 La Petite
République, n° du 5 avril 1902.
122 Appel du P.O.F. reproduit
dans la profession de foi du député de la 2ème
circonscription de l'arrondissement de Montluçon (Allier).
Les articles anti militaristes se succèdent
toute la durée de la campagne électorale dans les colonnes de La
Petite Republique. L'état d'esprit réactionnaire des officiers et
les atrocités des co mpagnies disciplinaires d'Afrique du Nord y sont le
plus souvent dénoncés.
Ils sont évide mment partisans de la
réduction du service militaire a deux ans car ils ne veulent pas laisser
«echapper l'occasion qui se presente de liberer la jeunesse
française d'une annee de bagne et d'abrutissement K12<.
Mais ils ne veulent pas en rester là : a La reduction du service a deux
ans ou mime a un an n'est a nos yeux qu'une etape. Ces reductions successives
combinees avec un ensemble de mesures democratisant l'armee doivent nous
conduire au systeme des milices oil tous les soldats sont en mime temps
citoyens et oil l'apprentissage de la guerre defensive se confond avec la vie
civile »124.
Les socialistes qui ont accordé leur soutien a
Waldeck-Rousseau sont encore prêts, au lende main des élections,
non pas a participer a un gouverne ment, mais a appuyer son action s'il
s'engage résolu ment dans la voie des réformes. Jaurès
affirme que l'union de tous les républicains « se continuera, sans
abdication et sans confusion d'aucune sorte, dans la legislature prochaine pour
achever la deroute de l'ennemi et pour realiser les reformes urgentes sur
lesquelles l'accord immediat de tous les democrates est possible des maintenant
»12s
.
|