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Les élections législatives de 1902 en France

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par Lucien MITAIS
Université Paris- Sorbonne - Diplôme d'études supérieures 1967
  

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2. LA CAMPAGNE ELECTORALE DE LA GAUCHE

Si l'on met a part le cas tout a fait particulier des socialistes « révolutionnaires », la gauche forme une coalition a première vue aussi unie que celle de droite. Républicains de gauche, radicaux et radicaux socialistes « parle mentaires » ont soutenu sans défaillance pendant trois ans le ministère Waldeck-Rousseau et sa politique de défense et d'action républicaines. Ils pensent qu'à l'occasion de ces élections la République doit faire face, co mme au moment du 16 mai, a un assaut généralisé des forces de la « Réaction ». 1l

77 Profession de foi du député de la 2ème circonscription de l'arrondissement de Caen (Calvados).

78 Ibid.

79 Cité par Le Journal des Débats du 25 avril 1902.

s'agit, pour eux, d'assurer une fois de plus la sauvegarde des institutions et des lois républicaines : ce n'est donc pas le moment de se désunir.

Mais après le scrutin, il faudra former un gouverne ment, le charger d'appliquer un programme de réformes. De quels élé ments sera co mposé le nouveau ministère ? S'appuiera-t-il sur une majorité parle mentaire absolument identique a celle qui a soutenu Waldeck-Rousseau ? Et surtout quelles mesures prendra-t-il dans les do maines religieux, militaire, financier écono mique et social ? Autant de questions, autant de problè mes au sujet desquels des divergences i mportantes existent et apparaissent nette ment pendant la campagne électorale entre les trois tendances du Bloc des Gauches. Il est donc préférable, dans ces conditions, de les étudier toutes trois séparé ment.

*****

2 .1 Les républicains de gauche

Ils s'e mploient a justifier, aux yeux de leurs électeurs modérés, l'attitude qu'ils ont adoptée en 1899, et leur alliance électorale avec les partis de gauche, qu'ils avaient si vive ment co mbattu lors des élections de mai 1898 : « Au lendemain des elections de 1898, un parti audacieux forme de toutes les oppositions avait trouble la paix publique, atteint gravement notre prestige, paralyse tout travail parlementaire et compromis l'avenir. On marchait a une de ces crises qui blessent et affaiblissent pour longtemps les gouvernements et les peuples »80. En 1902 « l'heure est grave. Tant de fois repoussees de la conquête du pouvoir, les reactions tentent un nouvel effort ; grace a l'equivoque du nationalisme, elles veulent s'introduire dans cette Republique qu'elles n'ont pu emporter d'assaut »81. Ils approuvent pratique ment sans réserve la politique menée par Waldeck-Rousseau et ils préconisent de la continuer après les élections.

Ils se proclament « anticléricaux, mais non antireligieux » : « Je n'ai jamais ete, je ne suis pas et je ne serai jamais l'ennemi de la ReligionT]UJe suis l'ennemi du clericalisme, ce qui n'est

80 Profession de foi du député de l'arrondissement de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne).

81 Profession de foi du député de la 1ère circonscription de l'arrondissement du Havre (Seine-Inférieure).

pas du tout la meme chose. Le clericalisme n'est que l'hypocrisie de la Religion, et comme tout ce qui est hypocrite etfaux, il est meprisable et halssable » déclare l'un d'eux82.

La loi de 1901, qu'ils ont tous voté ou approuvé s'ils n'étaient pas députés, doit selon eux être appliquée ferme ment mais d'une fagon i mpartiale : « J'entends encore que la nouvelle loi sur les associations soit appliquee aux congregations religieuses avec la mesure, mais aussi avec la fermete et l'esprit de suite necessaires » dit Joseph Caillaux a ses électeurs8<. Un député de la Gironde s'engage pour sa part a ne pas se montrer sectaire : « Appele a me prononcer sur les demandes des congregations, je le ferai sans parti pris, decide a accorder l'autorisation a toutes les associations religieuses dont les membres sauront rester etrangers a nos luttes politiques »84.

S'ils ont été divisés au sujet du projet de loi sur le stage scolaire et lors du vote sur l'abrogation de la loi Falloux, ils se déclarent tous néanmoins partisans de la liberté de l'enseigne ment et par conséquent hostiles au monopole d'Etat. On les trouve unique ment résolus a « exiger des etablissements libres des garanties plus severes de surveillance et des conditions plus serieuses de capacite »85.

Ils sont pratique ment unani mes a vouloir le maintien du régi me concordataire qui, a leurs yeux, garantit a la fois les droits de l'Etat et le plein exercice de la liberté de conscience : J'ai toujours vote le budget des cultes et je suis oppose a la separation des Eglises et de l'Etat, justement parce que je veux que chacun ait la faculte de suivre sa religion a son gre »86 déclare un député de la Dordogne. 1l y a malgré tout quelques exceptions. Ainsi Jules Siegfried pense que l'eventualite de la separation des Eglises et de l'Etat peut etre envisagee » mais seule ment quand le gouverne ment « croira pouvoir la proposer en toute securite et sans creer d'agitation »87.

82 Profession de foi du député de la 2ème circonscription de l'arrondissement de Lannion (Côtes-du-Nord).

83 Profession de foi du député de l'arrondissement de Mamers (Sarthe).

84 Profession de foi du député de la 5ème circonscription de l'arrondissement de Bordeaux (Gironde).

85 Discours prononcé par Louis Barthou le 6 avril 1902 à Oloron (Basses-Pyrénées), reproduit par Le Temps du 7 avril 1902.

86 Profession de foi du député de la 2ème circonscription de l'arrondissement de Bergerac (Dordogne).

87 Cf. note 81.

Ils se proclament confiants a dans le loyalisme de l'armee nationale, chargee, sous la suprematie du pouvoir civil, de defendre le sol, le drapeau et la Constitution »88. Et ils désirent qu'elle soit respectée et tenue en dehors de la politique. Ils sont favorables a a la reduction du service militaire a deux ans, mais avec les mesures qui en sont la condition necessaire, c'est-a-dire la suppression absolue de toutes les dispenses, l'incorporation des services auxiliaires, les rengagements avec primes dans les cadres inferieurs »89 .

Co mme ils ont occupé pendant trois ans les principaux postes du gouverne ment, et que l'un des leurs, Joseph Caillaux, était ministre des Finances, ils ont tendance a minimiser le déficit budgétaire ; certains mê me nient : a Tous les adversaires de la Republique cherchent a effrayer les electeurs en leur parlant de deficit budgetaire, ce n'est la qu'une manceuvre »90. Quant a Caillaux, il ne craint pas d'affirmer : a Les trois budgets que, ministre des Finances, j'ai eu l'honneur d'executer, presentent, dans leur ensemble, un excedent considerable, quoiqu'en puissent dire mes adversaires »91.

Néanmoins ils reconnaissent qu'il existe certaines difficultés financières et ils préconisent avant tout pour les surmonter une politique d'écono mie : a 1lfaut apporter dans nos finances une economie serieuse et, pour cela, reglementer l'initiative parlementaire en ce qui concerne les augmentations de depenses »92. Théorique ment favorables a l'i mp8t sur le revenu, ils é mettent toutefois a son sujet d'importantes réserves. Ainsi Jules Siegfried déclare : a Partisan d'un imp9t sur les revenus, mesure d'egalitefiscale, je repousse comme inutile, vexatoire et dangereux l'imp9t global et progressif, qui aurait pour consequence de chasser les capitaux »98. Adoptant déjà une position proche de la droite en matière fiscale, les républicains de gauche ont une attitude pratique ment identique a celle des progressistes et des conservateurs a l'égard des questions économiques et sociales. Ils sont protectionnistes et hostiles a toute mesure de nationalisation ; ils s'érigent en défenseurs de la liberté du

88 Extrait de l'appel de l'Alliance républicaine démocratique reproduit dans la profession de foi du député de la 2ème circonscription de l'arrondissement d'Angoulême (Charente).

89 Cf. note 85.

90 Profession de foi du député de la 1ère circonscription de l'arrondissement de Valenciennes (Nord).

91 Cf. note 83.

92 Cf. note 84.

93 Cf. note 81.

travail, pronent la solidarite des classes et sont partisans de resoudre le probleme des retraites ouvrieres par la mutualite.

Pour l'heure les republicains de gauche considerent que le principal danger est d'ordre politique et se situe a droite. Mais ils ne sous-esti ment pas le danger que represente le collectivis me pour l'ordre social et la propriete privee : «Je suis l'adversaire de ce parti et de tous ceux qui songent a un retour vers le passe. Mais, d'autre part, je considere la propriete individuelle comme un droit sacre » declare un depute des Pyrenees-Orientales94.

Depuis trois ans, ils n'ont accepte que contraints et forces l'alliance et le concours socialistes. Beaucoup d'entre eux ne cachent d'ailleurs pas qu'ils ont a pour defendre nos institutions, impose silence a leurs preferences personnelles »95. Ils sont bien decides a se passer de l'appui de l'extrê me gauche dans les delais les plus courts. Leur objectif parait clair : ils souhaiteraient detacher les progressistes de la droite et les amener a former avec euxmê mes et les radicaux une majorite de « concentration ».

Dans son discours prononce a Oloron le 6 avril 190296, Louis Barthou prend nette ment position a ce sujet : «Je ne saurais admettre que la participation d'un socialiste au pouvoir, a laquelle M. Waldeck-Rousseau nous avait demande de nous resigner comme a un accident, devienne la loi durable et la methode permanente de la politique republicaine » dit-il tout d'abord. Puis, apres avoir condamne avec une egale fermete le socialisme de Guesde et celui de Jaures, il affirme : a Les interets menaces par le socialisme risqueraient de tomber par lassitude et par mefiance, et attires par la nouveaute de ses promesses, dans le piege fallacieux du nationalisme. Il n'y a qu'un moyen d'eviter ce double peril. Entre le nationalisme et le collectivisme, j'estime en effet qu'il y a place pour une politique large et feconde d'union republicaine. Cette politique s'appelle d'un nom connu et je n'ai pas besoin de lui en trouver un autre : c'est la concentration ».

Les journaux moderes du Bloc, durant les quinze jours precedant les elections, font avec obstination campagne en faveur de la « concentration republicaine ». Presque

94 Profession de foi du député de l'arrondissement de Prades (Pyrénées-Orientales).

95 Cf. note 84.

96 Cf. note 85.

chaque jour, Le Temps publie un article en ce sens et préconise la formation d'une majorité parle mentaire allant a de Ribot a Leon Bourgeois ». Il engage a ce sujet une polé mique avec LeGaulois et Le Journal des Debats.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote