5. LES SOCIALISTES
« L'affaire Dreyfus pose plus fortement et avec
des donnees nouvelles le probleme de l'union socialiste. Le mouvement ouvrier,
au fur et a mesure de son renforcement et au gre des circonstances, ne doit-il
pas assumer de nouvelles t)ches, recourir a de nouvelles methodes ? Ne doit-il
pas prendre en charge la defense de la Republique ? L'union socialiste, en
raison des menaces qui pesent sur le regime, s'inscrit ainsi a l'extreme fin du
siecle, dans le cadre d'une alliance eventuelle avec toutes les forces
republicaines et democratiques »21.
Le déroule ment de l'Affaire se mble d'abord
vouloir favoriser le mouve ment d'unité socialiste. En octobre 1898 un
co mité de vigilance est créé, ou chaque parti et chaque
journal socialistes ont deux délégués, puis en nove mbre
de la mê me année est mis sur pied un co mité d'entente,
véritable « co mité de rapprochement socialiste » entre
la F.T.S. de Brousse, le P.O.F. de Guesde, le P.O.S.R. d'Alle mane, le P.S.R.
de Vaillant et
20 Claude
NICOLET,Le radicalisme, p.42.
21 Claude WILLARD,
op.cit., p.440.
les socialistes indépendants. En juin 1899,
malgré les réticences guesdistes, l'unité socialiste se
mble en bonne voie, mais a en quelques fours, les conditions oil se constitue
le ministere Waldeck-Rousseau vont faire perdre a la cause de l'unite
socialiste tout le terrain gagne depuis 1896 »22.
En effet la question de savoir si un socialiste, en
l'occurrence Millerand, peut participer a un gouverne ment « bourgeois
» divise très nette ment les socialistes français en deux
camps. Il faut dire que le problè me est posé dans de très
mauvaises conditions du fait de la cohabitation dans le mê me
ministère de Millerand et du « fusilleur de la Commune », le
générale de Galliffet. Une partie des socialistes, conduite par
Jaurès et Viviani, approuve la participation de Millerand et soutient
Waldeck-Rousseau. Jaurès déclare a ce sujet23:
«Que la Republique bourgeoise, a l'heure oa elle se debat contre la
conspiration militaire qui l'enveloppe, proclame elle-même qu'elle a
besoin de l'energie socialiste, c'est un grand ait ». Les autres
socialistes, groupés derrière Guesde et Vaillant, proclament par
contre : a Le Part socialiste, parti de classe, ne saurait devenir sous peine
de suicide un parti ministeriel. Il n'a pas a partager le pouvoir avec la
bourgeoisie dans les mains de laquelle l'Etat ne peut etre qu'un instrument de
conservation et d'oppression sociale »24.
Cependant, au congrès de Japy en déce
mbre 1899, l'unité du mouve ment socialiste se mble se réaliser :
un co mité général est créé, un
congrès est prévu chaque année. Mais ce n'est qu'une
unité de façade réalisée in extremis. Tout au long
du congrès, le « cas Millerand » a fait s'affronter avec
violence Guesde et Jaurès et le premier n'a obtenu qu'une victoire de
principe. Dès l'année suivante, au congrès de Paris oil la
question de la participation ministérielle est encore au centre du
débat, les guesdistes font sécession. En fait les guesdistes ne
voulaient pas de l'unité avec les indépendants qui, pour eux,
n'étaient pas de véritables socialistes : Guesde ne
considérait pas et ne considérera peut-être jamais
Jaurès co mme un socialiste authentique. En 1901, a Lyon, / une fois de
plus le debat se cristallise autour de Millerand »25. Cette
fois ce sont les blanquistes, Vaillant en tête, qui s'en vont. Ils
rejoignent les guesdistes et avec eux ils fondent le Parti
22 Georges LEFRANC,
Le mouvement socialiste sous la Troisième
République, p.105.
23 Dans La
Petite République du 24 juin 1899 (cité par Georges
LEFRANC, op.cit., p.106).
24 Manifeste du P.O.F., du
P.S.R. et de l'Alliance communiste, cités par Georges
LEFRANC, op.cit.
25 Georges LEFRANC,
op.cit., p.111.
socialiste de France (nove mbre 1901). a Pour eux
l'unité est faite. Ceux qui demeurent en dehors ne sont pas de vrais
socialistes »26. De leu coté, Jaurés et ses amis
fondent le Parti socialiste frangais et s'apprêtent à prendre
place aux cotés des radicaux et des républicains de gauche dans
la coalition de gauche lors de prochaines élections.
En 1902, certes l'unité socialiste n'a pas
encore été réalisée, mais la situation au sein du
mouve ment socialiste frangais se trouve clarifiée. Les no mbreuses
formations qui existaient encore il y a peu de temps se sont en effet
regroupées en deux organisations qui correspondent en gros aux deux
tendances fondamentales du socialis me frangais: la tendance
révolutionnaire et la tendance réformiste. Au point de vue
électoral, la situation du P.S.F. parait meilleure que celle du P.S.d.F.
auquel son intransigeance a déjà fait perdre no mbre de militants
et risque de faire perdre aussi beaucoup d'électeurs.
26 Georges LEFRANC,
op.cit., p.112.
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