4. LES RADICAUX
Contraire ment a ce qu'affirma plus tard la
droite16, les radicaux n'ont eu aucune responsabilité dans le
déclenche ment de l'affaire Dreyfus. L'i mmense majorité d'entre
eux n'a mê me été gagnée que très tardive
ment a la cause révisionniste. En fait l'affaire les e mbarrasse, et
pendant très longte mps ils sont partisans de lui conserver un
caractère stricte ment judiciaire. La plupart d'entre eux ne deviennent
révisionnistes et ne prennent conscience du danger qui menace la
République qu'au début de 1899 : le 10 février 1899, cent
vingt radicaux et radicaux-socialistes votent en effet contre la loi de
dessaisisse ment. Dès lors ils s'opposent presque tous a Dupuy, qu'ils
contribuent a renverser le 12 juin.
Mais, il faut bien le dire, les radicaux n'ont pas un co
mporte ment très brillant lorsqu'il s'agit de dénouer la crise.
Daniel Halévy n'est pas tendre a leur égard a ce
sujet
16 Jacques PIOU,
op.cit., pp.79-80.
(co mme d'ailleurs a beaucoup d'autres) ; il
écrit17 : « Parti sans doctrine, parti sans courage,
ecole de lachete. Quand il fallut enfin resoudre la crise, Paris etait a demi
souleve et versant dans la guerre civile, c'est en vain qu'on cherchait les
radicaux : ils s'etaient terres, on ne les voyait plus et le President Loubet
dut equiper ou laisser equiper sous ses yeux un ministere de fortune ».
Jacques Kayser, pourtant porté a plus de mansuétude du fait de
ses attaches avec le Parti radical, écrit pour sa part14 :
« Au cours de la crise les radicaux n'ont pas joue le role qu'on attendait
d'eux. Leurs chefs, pressentis a des titres et a des moments divers, pendant
les dix journees de negociation, se sont toujours recuses : Brisson invoquant
son etat de sante, et surtout Bourgeois --ce Sarrien plus eloquent mais encore
moins muscle, comme le decrit a l'epoque un depute radical --pretextant la
tache qu'il accomplissait a la Conference de la paix a La Haye ou il avait ete
delegue par Dupuy ».
Peu favorables de prime abord a Waldeck-Rousseau, les
radicaux finissent presque tous par lui accorder leur soutien, car ils se
rendent co mpte que c'est la seule solution qui leur reste pour écarter
le péril de droite que jusque-la, ils avaient eu par trop tendance /
sous-esti mer. Três vite les mesures de « défense
républicaine » prises par le Président du Conseil satisfont
les radicaux qui dês lors ne lui ménagent plus leur appui
jusqu'à la fin de la législature : « Inaptes a combattre,
ils furent admirables pour grappiller sur la victoire, ne quittant pas d'une
semelle le vainqueur, l'impressionnant par leur nombre »19
.
Décidés a exploiter a fond contre
l'Eglise l'attitude adoptée par la majeure partie des catholiques lors
de l'affaire Dreyfus, ils souscrivent avec e mpresse ment a la politique
anticléricale de Waldeck-Rousseau et contribuent même a lui donner
un caractère beaucoup plus accentué. Majoritaires au sein de la
commission chargée d'étudier le projet de loi gouverne mental sur
les associations, ils sont en effet responsables de sa considérable
aggravation. Ce sont eux aussi qui prennent l'initiative du vote sur le
principe de l'abrogation de la loi Falloux.
La « défense républicaine » et
l'anticléricalis me ont l'i mmense avantage de masquer les divergences
qui existent sur d'importantes questions, et en premier lieu sur la question
sociale, entre la fraction libérale et la fraction socialisante du
radicalis me. La formation du Parti républicain radical et
radical-socialiste s'en trouve donc d'autant
17 Daniel HALEVY,
La République des comités,
p.47.
18 Jacques
KAYSER, Les grandes batailles du radicalisme,
p.285.
19 Daniel HALEVY,
op.cit., pp.49-50,
facilitée. C'est chronologique ment le premier
grand parti frangais: il est fondé a Paris en juin 1901. Ses deux
principales caractéristiques sont le rôle
prépondérant alloué aux parle mentaires dans sa direction
et son extrê me décentralisation « puisque
l'élément fondamental en est le comite local a base electorale
»20. Les congressistes qui fondent le Parti radical en 1901 ne
sont pas telle ment soucieux d'élaborer une doctrine et un programme
mais bien plutôt de préparer les prochaines
élections.
Celles-ci se présentent dans les meilleures
conditions possibles pour les radicaux. Rasse mblés dans une seule
organisation, ils disposent, avec l'anticléricalis me, d'une excellente
plate-forme électorale. De plus, co mme ils font partie de la
majorité, ils peuvent co mpter sur l'appui de l'appareil de l'Etat au
cours de la campagne électorale. Mais en mê me temps, co mme ils
n'occupent aucun poste important au sein du ministere, ils peuvent pratiquer
avec une assez grande liberté la surenchere électorale. En 1902,
beaucoup lus e mpressés qu'en 1899, ils se placent volontiers au premier
rang des défenseurs de la République et s'apprêtent a
recueillir le fruit de leur fidele soutien / Waldeck-Rousseau.
|