3. LES REPUBLICAINS MODERES
D'avril 1896 a juin 1898 l'immense majorité des
républicains modérés soutient le ministere Méline.
Cependant certains d'entre eux, a vrai dire peu no mbreux, prennent alors place
dans l'opposition. Hostiles a la politique d'apaise ment, ils sont en effet
restés partisans de la concentration, c'est-à-dire de l'alliance
des modérés et des radicaux. Ils sont rasse mblés a la
Chambre dans le petit groupe de l'Union progressiste, appelé encore
groupe Isambert, du nom de son président; parmi eux,
Delcassé.
Méline doit se retirer en juin 1898 car une
quarantaine de progressistes, inquiets du renouveau de co mbativité
manifesté par la droite lors des élections de mai, l'abandonnent
lors du scrutin sur la majorité « exclusive ment
républicaine ». Divisés face au cabinet Brisson, les
modérés soutiennent tous ensuite le cabinet Charles Dupuy a ses
débuts. Mais en février 1899, Poincaré, Barthou, Leygues
ainsi que quelques autres abandonnent Dupuy qui, pour faire voter la loi de
dessaisisse ment, sollicite tacite ment l'appui de la droite et des
nationalistes. Enfin en juin 1899, craignant un coup de force nationaliste ou
royaliste contre la République, une soixantaine de progressistes
lâche Dupuy et se joignent a la gauche pour former la majorité qui
vote la confiance a Waldeck-Rousseau.
Il est excessif de prétendre, co mme le fait M.
Beau de Lo ménie12, que les progressistes dissidents ont
adhéré au Bloc des gauches afin d'exploiter le a
derivatif
12 Emmanuel BEAU DE LOMENIE,
Les responsabilités des dynasties bourgeoises
, t. III, p.332.
anticlerical », a pour detourner les doctrinaires
democrates, radicaux et socialistes de leurs preoccupations de revendications
sociales ». En juin 1899, Waldeck-Rousseau et ses amis se sont
séparés du gros des progressistes parce qu'ils jugeaient les
institutions républicaines menacées. Ils restent ensuite
fidèles a leur alliance avec la gauche surtout parce qu'ils ne veulent
pas se a couper » du grand a parti republicain »13
étant a persuades que l'avenir est a la Republique democratique
»14. Cependant il faut bien admettre que si Waldeck-Rousseau a
fait de la lutte anticléricale l'article essentiel de son programme de
gouverne ment, c'était bien parce que les républicains de gauche
étaient plus que réticents a l'égard des projets d'impot
progressif sur le revenu est de réformes sociales profondes.
L'alliance des progressistes dissidents avec les
radicaux et surtout avec les socialistes, la présence de Millerand au
ministère du Commerce et le vote de la loi sur les associations d'une
part, le rapprochement de plus en plus marqué de la majorité des
progressistes et de la droite conservatrice et même nationaliste d'autre
part, rendent impossible a brève échéance toute
réconciliation entre les deux fractions du parti modéré.
Les républicains de gauche décident donc, a l'approche des
élections, de s'organiser d'une manière autono me. C'est ainsi
qu'en mai 1901 est fondée l'Alliance républicaine dé
mocratique. Ce n'est pas un véritable parti politique : elle ne cherche
pas a recruter des militants, mais elle vise a rasse mbler toutes les
personnalités modérées, politiques ou non, favorables au
gouverne ment de défense républicaine. Elle a constitue
plutôt un brillant et nombreux etat-major qu'une armee
»15. Son influence provient pour une part i mportante des liens
qui unissent ses principaux me mbres a certains milieux d'affaire et a la
grande presse.
Le passage a droite de la plupart des
républicains modérés, entrainés par Méline
et ribot, revêt une importance capitale, car il est définitif. A
la vérité l'affaire Dreyfus n'a fait là que
précipiter une évolution déjà bien entamée
entre 1893 et 1898. Pour les progressistes, le seul danger véritable se
situe désormais a gauche. Dans l'opposition ou ils prennent place, ils
gardent encore pour la plupart leurs distances avec les nationalistes, mais en
revanche ils resserrent considérable ment les liens qui
déjà les unissent aux
13 Jacques CHASTENET,
La république triomphante 1893-1906,
p.218.
14 Ibid.
15 Ibid.
conservateurs. Rasse mblés a la Chambre dans le
groupe des républicains progressistes, ils n'ont pas encore fondé
dans le pays une organisation identique a l'Alliance républicaine
dé mocratique des modérés du Bloc : la
Fédération républicaine ne sera en effet
créée qu'en 1903. On doit signaler que quelques
républicains modérés, qui en 1899 avaient soutenu l'action
de Waldeck-Rousseau, car ils jugeaient alors la République
menacée, ont par la suite rejoint les rangs de l'opposition. Toutefois
ces ho mmes, au rang desquels figure Poincaré, ne sous-estiment pas a
l'instar de la majorité des progressistes, le danger
nationaliste.
Divisés, les modérés n'abordent
pas les élections dans des conditions favorables. La situation n'est pas
encore trop grave pour les républicains de gauche, maitres de l'appareil
gouverne mental, mais l'est en revanche beaucoup plus pour les progressistes
qui, pour la première fois depuis vingt-cinq ans, affrontent le verdict
des urnes en étant dans l'opposition et en ayant par surcroit de fortes
chances d'y rester. 1l est évident qu'ils risquent d'être
abandonnés par certains de leurs électeurs, gouverne mentaux de
te mpérament, et de plus intéressés par les avantages que
peut procurer le fait d'avoir un député siégeant dans la
majorité.
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