2. LES CONSERVATEURS
La fin brutale de la politique « d'apaise ment
» menée par Méline de 1896 a 1898 apparait co mme
étant la principale conséquence de l'affaire Dreyfus. Les
ralliés pensent que la responsabilité de cet échec inco
mbe pour une part a certains catholiques et pour une autre part,
décisive celle-là, aux radicaux. Jacques Piou reproche aux
catholiques regroupés dans la fédération
présidée par Etienne Lamy d'avoir, par leur intransigeance, co
mpro mis le résultat des élections de 1898'. Mais il
accuse surtout les radicaux, écrivant a leur sujet8: L'esprit
nouveau etait leur cauchemar, l'accord des catholiques et des republicains
moderes le grand danger de l'avenir. Pour dissiper ce cauchemar, pour conjurer
ce danger, ils inventerent l'affaire Dreyfus. Ce fut une trouvaille ». En
fait il est générale ment admis par les historiens que ce fut
l'attitude des catholiques au cours de l'affaire Dreyfus qui provoqua un
violent retour offensif de l'anticléricalis me : a La droite catholique
provoqua la naissance de la Republique anticlericale de Combes en essayant de
detruire la Republique conservatrice de Meline »9. Cependant,
pour M. Adrien Dansette1°, a la raison profonde de
l'échec de l'apaisement [est] d'ordre psychologique ». Selon lui,
«il n'était pas possible d'escompter, en quelques annees, la
disparition des prejuges enracines depuis un siecle et fortifies par des luttes
dont le souvenir demeurait vivant»11. Il pense que mê me
s'il n'y avait pas eu d'affaire Dreyfus une crise aurait éclaté
qui aurait été simple ment peut-être un peu moins
grave.
Waldeck-Rousseau ayant fait de l'anticléricalis
me l'article essentiel de son programme de gouverne ment, aussitot la
défense religieuse devient la principale et presque l'unique
préoccupation des conservateurs. Au cours du débat sur le projet
de loi sur les associations, ils lutt"rent avec acharne ment pour tenter de
sauver les congrégations mais tous leurs efforts, toute
l'éloquence d'Albert de Mun ne purent rien contre la volonté bien
arrêtée de la majorité. Le vote de la loi fait co mprendre
a la droite catholique qu'elle est décidé ment incapable d'e
mpêcher le vote d'une législation hostile a l'Eglise. De plus
certains discours prononcés au cours du débat parle mentaire lui
font
7 Jacques PIOU,
Le Ralliement, son histoire, pp.72 à
77.
8 Ibid.,
p.80.
9 François GOGUEL,
op.cit.
10 Histoire religieuse de la
France contemporaine, p.561.
11 Ibid.
craindre une notable aggravation de la
législation en cas de victoire du Bloc des gauches aux prochaines
élections. 1l lui se mble que ses craintes regoivent un début de
confirmation lorsque le 14 février 1902 la Chambre vote le principe de
l'abrogation de la loi Falloux.
L'antiparle mentaris me avait
pénétré dans les rangs catholiques a l'occasion de
l'affaire Dreyfus. Ce renouveau d'anticléricalis me en favorise certaine
ment les progrès dans les milieux conservateurs. En effet,
exaspérés de voir la majorité leur échapper depuis
plus de vingt ans et se voyant i mpuissants a empêcher le vote d'une
législation qu'ils détestent, un certain no mbre de catholiques
mettent leurs espoirs dans la disparition du régi me parle mentaire. La
politique anticléricale du gouverne ment aida aussi grande ment la
pénétration de l'antisé mitis me dans ces mêmes
milieux de droite. Les Juifs y sont considérés co mme les
perpétuels enne mis de l'Eglise, co mme les instigateurs de toutes les
mesures dirigées contre elle. Des accusations identiques sont
lancées contre la franc-magonnerie et parfois contre les
protestants.
Cependant dans l'ense mble les conservateurs ne sont
pas décidés a s'avouer vaincus sans avoir tenté auparavant
un dernier effort pour changer la majorité en leur faveur. Ce sont
maintenant les ralliés « vrais » ou « faux » qui
constituent l'élé ment peutêtre le plus no mbreux et sfire
ment le plus actif de la droite catholique. Leur no mbre s'est notable ment
accru car la plupart des conservateurs se sont rendus co mpte que leur
adhésion a la République, ou du moins la cessation de leurs
attaques contre le régi me républicain, faciliterait une action
commune des catholiques et des républicains modérés
hostiles au Bloc. 1l est d'autre part possible que leurs échecs
répétés et de plus en plus cuisants lors des
élections générales leur aient fait co mprendre que la
cause monarchiste constituait désormais une bien mauvaise plate-forme
électorale dans un pays oil la République était devenue
synony me d'ordre et de stabilité, et oil la classe moyenne, pourtant
foncière ment conservatrice, avait en majorité donné son
adhésion au régi me républicain. En vue des
élections générales de 1902, les ralliés
décident de créer un mouve ment rasse mblant les catholiques en
vue d'une action de défense religieuse. A la fin de 1901, l'Action
libérale populaire est donc fondée ; des co mités
régionaux sont mis
en place, dont la premiere tâche est de recueillir
des fonds et d'organiser la propagande électorale.
Le mouve ment dé mocrate-chrétien
frangais a beaucoup souffert du renouveau d'anticléricalis me. Il se
mble mê me condamné apres la promulgation en janvier 1901 de
l'encyclique Graves de communi. Pourtant l'action de Marc Sangnier commence
alors a se situer sur le plan politique et elle acquiert une certaine ampleur.
Mais pas plus que l'Action frangaise, le Sillon ne joue un role important a
l'occasion des élections.
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