CHAPITRE IV
LES PARTIS POLITIOUES
1. LE NATIONALISME
L'affaire Dreyfus «fixe difinitivement le parti
« nationaliste » a droite ou a l'extrême droite de l'horizon
politique »1. Elle lui permet aussi d'exprimer avec le maximum
d'intensité ses trois « idées » essentielles: le
militaris me, l'antiparle mentaris me et l'antisé mitis me. Elle
provoque enfin un rapprochement non seule ment tactique mais aussi
idéologique entre les nationalistes et la droite « classique »
: « Les thimes majeurs du nationalisme de combat, et principalement
l'antiparlementarisme, ont largement pinitri les masses profondes des vieux
partis conservateurs. Mais c'est en mime temps la defense de la plupart des
valeurs essentielles du conservatisme que le jeune parti « national »
a, de façon plus ou moins consciente, fini par prendre en charge
»'. Mais, si prononcé soit-il, il ne s'agit encore là que
d'un simple rapprochement entre deux idéologies politiques aux origines
fort différentes. C'est Charles Maurras qui, par l'élaboration de
la doctrine de l'Action française, en acco mplit la
synthèse.
Jusqu'à la découverte du faux Henry,
c'est-à-dire jusqu'à ce que les partis de gauche prennent
position en faveur de la révision du procès de Dreyfus, les
nationalistes ne peuvent pas être classés nette ment à
droite ; ils conservent encore de no mbreux liens avec les groupes politiques
de gauche. En juin 1898, ils ont d'ailleurs voté avec la gauche contre
le ministère Méline et ils ont ensuite soutenu le
ministère Brisson dans lequel un de leurs chefs, Godefroy Cavaignac,
détenait le portefeuille de la Guerre. Mais à partir d'octobre
1898, ils mêlent à la Chambre leurs voix à celles de la
droite dans tous les scrutins politiques i mportants. On ne doit pas dire
cependant que l'affaire Dreyfus a provoqué le passage du nationalis me
de la gauche à la droite; elle a si mple ment
accéléré et conduit jusqu'à son terme une
évolution dont le point de départ se situait une
dizaine
1 Raoul
GIRARDET, Le nationalisme français 1871-1914,
p.173.
2 Ibid.,
p.174.
d'années plus tot, au temps du boulangis me. La
prise de position révisionniste de l'ense mble de la gauche, ainsi que
le progrès de l'anti militaris me, de l'internationalis me et du pacifis
me dans les rangs de l'extrê me gauche ont joué un role
déterminant a cet égard.
a Le nationalisme, qui fait de la grandeur nationale
sa preoccupation première, porte naturellement a l'armee qui en est
l'instrument un inter,t de tous les instants: la droite nationale est
militariste »3. Ce militaris me prend des proportions
extraordinaires : l'armée fait de la part des nationalistes l'objet d'un
véritable culte, la moindre parole, la moindre mesure qui se mble porter
atteinte a sa discipline ou a son honneur constitue a leurs yeux un
sacrilège. Ils finissent par être plus militaristes que
patriotes.
L'antiparle mentaris me s'était
déjà exprimé avec force au moment du boulangis me et de
l'affaire de Panama mais il fut exacerbé par l'affaire Dreyfus. 1l
s'explique certaine ment en partie par l'attitude adoptée alors par la
majorité parle mentaire mais ses raisons profondes sont tout autres. En
effet, leur gout de l'autorité et leur admiration pour l'armée,
leur mépris de la parole et leur attrait pour l'action inclinent tout
naturelle ment les nationalistes a mépriser le régi me parle
mentaire.
L'antisé mitis me a une origine
différente de celle du nationalis me. Leur rapprochement date de
l'affaire de Panama mais c'est l'affaire Dreyfus qui fait de l'antisé
mitis me un des principaux thè mes nationalistes. Les Juifs sont
présentés co mme des étrangers inassi milables qui vivent
aux dépens des « bons » Francais et sont toujours prêts
a trahir leur pays d'adoption : leur présence en France fait donc courir
au pays un danger mortel. La vigueur de cet antisé mitis me s'explique
par le caractère essentielle ment défensif que revêt a
cette époque le nationalis me frangais. Nulle ment expansionniste,
contraire ment au nationalis me alle mand d'alors, il est inquiet et il cherche
surtout / dresser des barrages, a repousser des attaques.
Leur opposition au gouverne ment de «
défense républicaine » et leur rancceur / l'encontre des me
mbres de la majorité d'une part, leur rapprochement avec la droite
conservatrice d'autre part poussent les nationalistes a adopter des positions
identiques /
3 René REMOND,
La droite en France, p.160.
celles de leurs alliés sur les questions
sociales et religieuses. Leurs antécédents politiques ne se
mblaient pourtant pas les prédisposer a prendre de telles attitudes: en
effet beaucoup d'entre eux avaient été encore tout réce
mment d'ardents socialistes ou de farouches anticléricaux. Et pourtant
en 1901, on voit voter contre le projet de lois sur les associations des ho
mmes co mme Paulin-Méry+, élu avec l'étiquette
socialiste en 1898, ou encore Cavaignac et Dumas', anciens radicaux
qui, en juin 1899, votaient contre le ministere « réactionnaire et
clérical » dirigé par Méline.
La principale faiblesse du nationalis me réside
dans sa pauvreté doctrinale. En période de crise, ses bruyantes
manifestations de rue et les violentes polé miques de presse masquent
l'absence de programme et de véritables idées: l'action re mplace
avantageuse ment la pensée. Mais en période de cla me, le
nationalis me est conda mné a ne plus jouer qu'un role médiocre.
D'autre part, il existe une contradiction entre la place qu'occupe maintenant
le nationalis me a l'extrême droite de l'échiquier politique et le
fait que ses tenants se réclament toujours des grands principes
dé mocratiques proclamés par la Révolution. C'est Maurras
qui co mble cette lacune et met un terme a cette contradiction en dotant le
nationalis me d'une doctrine solide ment construite et franche ment
contre-révolutionnaire. Cependant les idées de Maurras ne sont
pas neuves en elles-mêmes ; ce qui est neuf, c'est la synthêse
qu'il a réalisée de deux courants de pensée a l'origine
diamétrale ment opposés.
Mais en 1902, l'Action frangaise n'en est encore
qu'à ses débuts et son influence est encore restreinte dans les
milieux nationalistes et conservateurs. A la veille des élections la
principale organisation nationaliste est la Ligue de la patrie frangaise.
Fondée en janvier 1899 par des intellectuels anti-révisionnistes
pour répondre A la fondation de la Ligue des droits de l'ho mme
révisionniste, elle est présidée par l'acadé micien
Jules Lemaitre. Faible ment organisée, elle a un programme
modéré sans grande originalité?. Au printe mps
de 1902, l'ordre, rétabli par Waldeck-Rousseau, rêgne depuis plus
de deux ans et demi. La situation se mble donc a priori moins favorable aux
nationalistes qu'elle ne l'était en 1900 quand ils re mport"rent les
élections municipales a Paris.
4 Député du
13ème arrondissement de Paris, non réélu en
1903.
5 Député de
l'Ariège, non réélu en 1902.
6 Raoul GIRARDET,
op.cit., pp.169 à 172.
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