2. LA PREPARATION DU SECOND TOUR
Co mme il est de regle les lende mains
d'élections, tous les partis se félicitent des résultats
qu'ils ont obtenus. Chacun tente de passer sous silence ses propres revers et
monte au contraire en épingle les échecs de ses adversaires. A ce
jeu, la gauche est d'ailleurs gagnante car elle peut se prévaloir des
victoires re mportées sur trois des principaux chefs de l'opposition :
Jacques Piou, Paul de Cassagnac et Edouard Dru mont. Moins bien
partagée, la droite mêne surtout grand bruit autour des mises en
ballottage d'Henri Brisson8 et Millerand.
5 Jacques
KAYSER, Les grandes batailles du radicalisme, p.
267.
6 Ibid.
7 Les guesdistes, p.
477.
8 Député de
Paris (10ème arrondissement) depuis 1871, Henri Brisson est
mis en ballottage le 27 avril 1902 dans des conditions telles que la
défaite semble inévitable au second tour. Il quitte alors Paris
et va se faire élire le 11 mai dans la 4ème
circonscription de Marseille (Bouches-du-Rhône).
A l'extrême droite, le lende main du scrutin, on
se déclare très satisfait des résultats obtenus. La Libre
Parole9 n'hésite pas a proclamer sur toute la largeur de la
première page: a l'echec des ministeriels ». Le
Gaulois1° et La Croix11parlent de a première
victoire ». L'accent est surtout mis sur les succès nationalistes
enregistrés a Paris : a Paris a donne un magnifique exemple »
peut-on lire dans Le Gaulois12.
Du côté des républicains
progressistes, les premiers co mmentaires sont beaucoup lus mesurés. Le
Journal des Debats1< affirme certes que a les republicains
moderes n'ont pas a se plaindre de la journee d'hier », mais il
déclare aussi qu'aucun parti a n'est completement victorieux
».
Les journaux modérés favorables au
gouverne ment, comme Le Temps et Le Petit Parisien , écrivent que le
fait marquant est la défaite des deux extremes : le nationalis me et le
socialis me. Selon eux, il n'y a aucun doute : la majorité des
électeurs a voulu expri mer son désir de voir se réaliser
la "concentration républicaine". C'est ainsi que l'on peut lire dans Le
Temps1+: a Le suffrage universel s'est donc charge d'operer
lui-même cette concentration que nous ne cessions de preconiser comme la
seule issue possible de la crise ».
Chez les radicaux et les socialistes
ministériels, on se réjouit bruyamment. a Les resultats du
premier tour passent nos esperances », déclare La Depêche de
Toulouse1) qui ajoute : «La journee de dimanche marquera
l'effondrement des esperances confues par le parti retrograde, l'echec des
intrigues ourdies par la faction clericale et la fin des trahisons melinistes
». Pourtant certains ne cachent pas que les succès nationalistes a
Paris constituent une o mbre au tableau. a Ce n'est qu'avec une grande
tristesse qu'on peut parler du vote de Paris » écrit Lockroy dans
La Depêche de Toulouse1?. Quant au Progres de
Lyon15, il oppose le vote de
9 Numéro du 28 avril
1902.
10 Numéro du 28 avril
1902.
11 Numéro du 29 avril
1902.
12 Cf. note
10.
1< Numéro du 29 avril 1902.
14 Numéro du 29 avril
1902.
15 Numéro du 29 avril
1902.
16 Numéro du 3 mai
1902 ; Lockroy a lui-même été réélu dans le
11ème arrondissement de Paris dès le 27
avril.
17 Numéro du 29 avril
1902.
Paris a celui de la province : « Si Paris s'enlise
de plus en plus dans le nationalisme, le reste de la France est toujours fidele
a la Republique et a l'esprit democratique ».
Les socialistes anti ministériels sont
satisfaits eux aussi. Dans Le Petit Sou14, Louis Dubreuilh
écrit : « Nous n'avons plus a craindre, pour l'instant, un retour
offensif des forces cesariennes ».
Cependant la droite finit par admettre au bout de
quelques jours que ce qu'elle a d'abord présenté co mme une
victoire n'en est pas tout a fait une. Dans La Libre Parole1%,
Edouard Dru mont, que son retentissant échec d'Alger a sans doute rendu
pessi miste, écrit : «Sans être accuse d'être un
decourage ou un pessimiste, il semble, il est permis de penser que le pays n'a
pas repondu aussi completement qu'on l'aurait souhaite a l'effort qui a ete
accompli, ~ l'appel qui lui a ete adresse par tant d'hommes de devouement et de
cc'ur... ».
Les deux blocs ayant obtenu chacun le même no
mbre de sieges au premier tour, il fallait attendre le résultat des 174
ballottages pour connaitre la physiono mie définitive de la nouvelle
Chambre. Bien stir, l'i mmense majorité de ces ballottages se mblait
devoir tourner a l'avantage de la gauche, mais encore fallait-il que ses
candidats et ses électeurs fassent preuve de discipline. C'est pourquoi
entre les deux tours de scrutin de no mbreux appels sont lancés par les
divers partis, mouve ments et journaux de gauche.
Dans l'autre camp aussi, la discipline des candidats
et des électeurs est une nécessité mais dans la plupart
des cas elle ne saurait suffire a assurer le succês. Aussi les
organisations et journaux de droite tentent-ils un dernier effort pour
renverser la situation en leur faveur : d'une part, ils cherchent a diviser le
Bloc des gauches en exhortant les électeurs modérés et
radicaux a « ne pas faire le jeu du collectivisme », d'autre part,
ils font appel aux abstentionnistes du premier tour, car ils sont
persuadés que « tous les mauvais votent »20. Selon
Jules Lemaitre, « la France sera sauvee si la moitie seulement des
abstentionnistesfont cette fois leur devoir »21.
18 Numéro du 30 avril
1902.
19 Numéro du 7 mai
1902.
20 La Croix,
numéro des 11 et 12 mai 1902.
21 L'Echo de Paris,
numéro du 4 mai 1902.
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