CHAPITRE II LES RESULTATS DU SCRUTIN
Le mode de scrutin en vigueur lors des
élections de 1902 était le scrutin d'arrondisse ment uninominal a
deux tours. Les candidatures multiples étaient interdites. Mais les
nouvelles candidatures étaient acceptées au second tour de
scrutin, et un candidat battu ou mis en ballottage dans une circonscription au
premier tour pouvait fort bien aller tenter sa chance au second tour dans une
autre circonscription.
Le no mbre des électeurs inscrits variait dans
de très fortes proportions d'une circonscription a l'autre. C'est ainsi
que la circonscription de Castellane, dans les BassesAlpes, ne contait que
5.181 électeurs inscrits, alors qu'il n'y en avait pas moins de 31.931
dans celle de Cahors, dans le Lot. Dans les Basses-Alpes, cinq
députés représentaient 37.645 électeurs inscrits
tandis que les 74.735 électeurs inscrits de l'Ariège
n'étaient représentés que par trois
députés.
Il y avait en tout 591 sièges a pourvoir : 575
pour les 87 départe ments métropolitains, 6 pour les trois
départe ments d'Algérie et 10 pour les colonies. Par rapport aux
élections de 1898, la métropole avait gagné 10
sièges. 590 sièges seule ment ont été pourvus, car
celui de la deuxiè me circonscription de la Martinique est, par suite de
la catastrophe survenue le 5 mai 1902, resté vacant pendant toute la
durée de la huitiè me législature.
*****
Selon Le Journal des Débats1, il y a
eu au premier tour de scrutin 2.515 candidats dans l'ense mble des 591
circonscriptions, dont 353 dans le seul départe ment de la Seine. Cela
fait donc une moyenne de sept candidats par circonscription dans la Seine et
de
1 Le Journal des
Débats, n° du 27 avril 1902.
quatre candidats par circonscription dans le reste du
pays. Pour les élections de 1898, Le Journal des Débats cite le
chiffre de 2.037 candidats. En 1902, on constate donc, par rapport aux
élections précédentes, un sensible accroisse ment du no
mbre des candidatures qui ne peut pas s'expliquer unique ment par
l'augmentation des sieges a pourvoir. Il est essentielle ment di] a l'attitude
du Parti socialiste de France qui a décidé de présenter un
candidat dans chaque circonscription métropolitaine.
On co mpte environ 2.450 candidats dans les 87
départe ments métropolitains. Un peu moins de 2.000 peuvent
être classés politique ment. Il y a environ 1.300 candidatures de
gauche, réparties en trois catégories. On déno mbre 711
candidats socialistes dont 5432 pour le seul P.S.d.F. : bien que ce
parti se déclare antigouverne mental, il n'y a pas lieu de classer dans
deux catégories différentes ses candidats et les autres candidats
socialistes. Les candidats radicaux et radicaux-socialistes sont environ 400.
On co mpte enfin quelques 190 républicains de gauche.
A droite, on peut identifier environ 690 candidatures.
Il n'est pas possible là d'établir une classification valable en
trois tendances. D'une part, no mbre de candidats sont désignés
co mme libéraux, républicains libéraux,
républicains indépendants, ce qui ne permet pas de les ranger
dans une catégorie politique bien définie. D'autre part, dans 437
des 549 circonscriptions métropolitaines oil la droite est
représentée, il n'y a qu'un seul candidat, ou du moins un seul
candidat sérieux de l'opposition. Aussi dans quatre circonscriptions sur
cinq, les électeurs ne peuvent, en votant pour l'unique candidat de
droite que manifester leur hostilité a la politique du Bloc. Il serait
donc arbitraire de classer les candidatures et a plus forte raison les
suffrages de droite en plusieurs catégories distinctes.
*****
2 Chiffre donné par
La Petite République, n° du 30 avril
1902.
1. LE PREMIER TOUR DE SCRUTIN (27 avril 1902)
La participation électorale est forte. En
métropole, on co mpte 8.717.493 votants, soit 79,15 % des
électeurs inscrits (11.013.325). Dans quelques départe ments, il
y a plus de 85 % de votants et dans certaines circonscriptions on en enregistre
près de 90 %. C'est la participation électorale la plus forte
qu'a connu la France depuis 1877. En 1898, un peu moins de 76 % des
électeurs inscrits avaient voté.
416 députés sont élus dès le
premier tour, dont 405 en métropole. Politique ment, ils se
répartissent ainsi :
|
Métr op ole
|
Outre-mer
|
Socialistes
|
22
|
1
|
Radicaux et radicaux-socialistes
|
129
|
4
|
Républicains de gauche
|
47
|
5
|
Républicains progressistes
|
98
|
1
|
Conservateurs
|
72
|
0
|
Nationalistes
|
37
|
0
|
Sur les 405 sièges métropolitains
pourvus, la droite en a donc enlevé 207 contre seule ment 198 pour la
gauche. Ainsi, a première vue, a l'issue du premier tour de scrutin, la
situation de l'opposition se mble très favorable. Mais il reste encore
170 sièges a pourvoir, et l'i mmense majorité des ballottages
parait, selon toute probabilité, devoir tourner en faveur de la
majorité. Dans le Nord, l'Est et surtout l'Ouest, la droite a
enlevé au premier tour de no mbreux sièges qui lui étaient
acquis d'avance. Sur les 58 députés élus pratique ment
sans aucune opposition, 45 se situent a droite. En fait, co mme dans quatre
circonscriptions sur cinq la droite avait réalisé l'unité
de candidature, elle a dès le
premier tour fait le plein de sieges ou presque. Au
contraire, dans d'assez no mbreux cas, les voix de gauche se sont
réparties sur plusieurs candidats, dont aucun n'a eu la majorité
absolue.
D'une maniere générale, la lutte a
été extremement serrée. On se rend particulierement bien
co mpte de ce phénomene lorsqu'on prend connaissance de la
répartition des suffrages qui s'établit ainsi3
:
Inscrits
|
11.013.325
|
%/inscrits
|
V otants
|
8.717.493
|
79,15
|
Abstentions
|
2.295.832
|
20,85
|
Suffrages classes
|
8.498.908
|
77,17
|
|
%/inscrits
|
%/suffrages classes4
|
Droite
|
4.172.102
|
37,88
|
49,08
|
Gauche
|
4.326.806
|
39,29
|
50,91
|
|
%/inscrits
|
%/suffrages classes
|
Républicains de gauche
|
1.091.856
|
9,91
|
12,85
|
Radicaux
|
2.313.713
|
21,01
|
27,22
|
S ocialistes
|
921.237
|
8,36
|
10,84
|
L'écart qui sépare la gauche de la droite
est donc vrai ment peu important : 154.704 voix et 1,83% des suffrages
classés.
A l'intérieur de la gauche, ce sont les
radicaux qui obtiennent, et de loin, le plus grand no mbre de suffrages :
53,47%. Les républicains de gauche en recueillent pour leur part 25,23%
et les socialistes 21,3%.
3 Pour effectuer les
différents calculs dont les résultats figurent ci-dessous, j'ai
utilisé les chiffres fournis par le Tableau des élections
(8ème législature) publié par la Chambre des
Députés. La classification des candidats en quatre tendances a
été effectuée principalement à l'aide de journaux
et revues (Le Temps, Le Journal des
Débats, La Petite
République, La
Dépêche de Toulouse, Le
Socialiste, L'Action libérale,
Le Gaulois, etc.) et aussi à l'aide de
L'année politique 1902.
4 Il s'agit du total de tous
les suffrages qui se sont portés sur des candidats politiquement
identifiables. Ce total est très voisin de celui des suffrages
exprimés.
En 1898, les radicaux avaient recueilli environ
2.150.000 voix, soit 2',5% des suffrages expri més5. Ils ont
donc gagné un peu moins de 165.000 voix, mais en pourcentage, ils ont
enregistré une três légère baisse (0,3%). Les
socialistes ont, quant / eux, gagné un peu plus de 160.000 voix par
rapport a 1898 ; et leurs suffrages, qui représentaient 9,8% des
suffrages exprimés en 18986, en représentent 10,8% en
1902 : soit un gain de 1%.
Selon M. Willard', le P.O.F. a obtenu au
premier tour 186.891 suffrages et les autres candidats du P.S.d.F. 135.000
suffrages. Les socialistes anti ministériels ont donc totalisé
environ 322.000 voix contre 600.000 environ pour les socialistes
ministériels.
En ce qui concerne les républicains de gauche
et la droite, il est impossible d'établir des co mparaisons valables
entre les résultats de 1898 et ceux de 1902. Cela vient essentielle ment
du fait que, même d'une fagon approxi mative, on ne peut évaluer
la part des suffrages de droite qui revient aux républicains
progressistes.
*****
|