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Conversion des lieux de culte à  Alger du XVIIIème au XXème siècle. Cas de la mosquée/ cathédrale Ketchaoua

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par Samir NEDJARI
Université Paris I Panthéon- Sorbonne - Master recherche patrimoine et conservation- restauration 2012
  

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B- Conversion cultuelle : édifice mosquée - fonction cathédrale :

Après la prise d'Alger par l'armée française en 1830, le traité de capitulation signé par le Dey d'Alger Hussein Pacha et le compte de Bourmont du côté Français stipulait de « laisser la liberté aux habitants de toutes les classes et à déclarer que leur religion, leur commerce et leur industrie ne recevraient aucune atteinte »39, en contrepartie le Dey et ses janissaires conservaient leurs biens personnels.

37 GOLVIN Lucien, Le legs des Ottomans dans le domaine artistique en Afrique du Nord, dans : Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N°39, 1985

38 BERQUE.A, art antique et art musulman en Algérie, dans : cahiers du centenaire de l'Algérie - livret VI, publications du comité national métropolitain du centenaire de l'Algérie, 1930.

39 Louis de BAUDICOUR, La Colonisation de l'Algérie: ses éléments, Ed Jaques Lecoffre, Paris, 1856.

Le nouveau pouvoir en place prend possession des biens `habous'40 en changeant la législation relatif à la propriété, un changement justifié par les législateurs de l'administration coloniale de l'époque : « Le régime de la propriété foncière s'écartait trop de nos conceptions juridiques pour que nous la laissions subsister, il eut paru d'ailleurs étrange de soumettre les nouveau colons à la loi du vaincu »41 ; Par la force de la nouvelle législation, des mosquées sont transférées au culte catholique comme celle de Ketchaoua, ou détruites dans le cadre des opérations de réaménagement comme ce fut le cas de la mosquée `Essayeda' et la ` Djenina', ou transformées en casernes ou dépôts de l'armée française ; Ainsi, « À Alger en 1830, tout avait commencé par des destructions. Le Génie avait ouvert une grande Place d'Armes dans le bas de la ville indigène, élargi plusieurs rues, réaffecté de nombreux bâtiments après les avoir transformés Des mosquées avaient été rasées d'autres aménagées en hôpitaux ou en églises, des palais avaient été transformées en casernes et des maisons arabes en habitations à la française »42.

Cette occupation des édifices religieux est sentie comme une humiliation par les autochtone, à l'exemple du long poème de Sidi Abdelkader sur la prise d'Alger où il crie sont mépris «Ô croyant le monde a vu de ses yeux Leurs chevaux attachés dans nos mosquées»43.

1- La prise de la mosquée :

La mosquée de Ketchaoua fut convertie au culte chrétien en 1832, « Le 24 décembre de cette année, la messe y fut dite par l'abbé Collin, préfet apostolique de la Régence»44.

Cette conversion fut très controversée et contesté par la communauté musulmane ainsi que par quelques parties dans le camp même des nouveaux occupants ; cette contestation s'est appuyée sur le cinquième paragraphe du traité de capitulation d'Alger du 5 juillet 1830 qui

40 Les biens --essentiellement religieux- placés sous ce régime sont immobilisés de sorte qu'ils ne sont ni vendus ni donnés, et leurs revenus reviennent à l'aumône.

41 TERRAS Jean, Essai sur les biens habous en Algérie et en Tunisie, Etude de la législation coloniale, Lyon, Impr. du Salut public, 1899, cité dans OULEBSIR Nabila, « Les usages du patrimoine », Éd. de la Maison des sciences de l'homme, Paris, 2004.

42 BEGUIN François, Arabisances ; Décor architectural et tracé urbain en Afrique du Nord 1830-1950, Dunod, Paris, 1983.

43 Smaïl Hadj Ali, La mission civilisatrice un processus de décivilisation, article paru dans le quotidien El Watan, édition du 26/02/2007.

44 KLEIN.H.op.cit.

stipule que « l'exercice de la religion mahométane restera libre»45 et garantie au musulmans le maintien de leurs lieux de culte.

Le duc de Rovigo46 fut le principal instigateur de cette conversion, son choix de cette mosquée n'était pas fortuit, « la mosquée de Ketchaoua représentait pour la population d'Alger le plus important lieu de culte musulman de la ville....en fixant spécialement son choix sur la mosquée de Ketchaoua, le duc de Rovigo voulais faire une démonstration de force à l'intention de la population »47 locale, il « constitua une commission présidée par le savant Berbrugger et où siégeaient les muftis et deux notables musulmans»48. Toutefois les algériens refusèrent de céder la mosquée en invoquant le traité de capitulation de 1830 qui couvrait les lieux de culte.

Pharaon Florian49, décrit le climat dans lequel s'est effectuer la prise de la mosquée, il décrit l'obsession du duc de Rovigo qui « voulait tout briser, faire arrêter les muftis, entrer de vive force dans la mosquée et faire couper le coup à tous ceux qui s'opposerait à l'exécution de sa volonté », lors de la dernière séance de la commission « L'agitation était extreme et l'on craignait un instant, sinon un soulèvement, du moins une émeute » avec la présence de près de dix mille manifestants à l'extérieur du palais du gouvernement, et l'opposition au projet de conversion meme au sein du pouvoir colonial à l'instar de M.Pichon l'intendant qui « proposait. qu'on renonçet au projet et qu'on élève une église paroissiale »50.

Bouderbala, un notable musulman au sein de la commission réussira à obtenir la cession d'une autre mosquée pour épargner la mosquée de Ketchaoua, il s'agit en l'occurrence de la mosquée de la pêcherie (Djamaa El Djadid), ce qui n'était pas du gout du duc de Rovigo qui déclara : « On vous a donné la mosquée la plus mal placée et la moins vénérée de la ville. Je n'en veux pas ! Je veux la plus belle ! Nous sommes les maitres, les vainqueurs ! Je ne veux pas prêter à rire ». Avec cette obsession du duc de Rovigo, il était impossible de négocier,

45 Traité de capitulation d'Alger du 5 juillet 1830, dans Nadine GASTALDI, Culte musulman 1839-1905, paris, 2006.

46 Anne-Jean-Marie-René SAVARY, Duc de Rovigo nommé par CHARLES X le 6 décembre 1831 comme Gouverneur des Possessions Françaises en Afrique.

47 OULEBSIR Nabila, « Les usages du patrimoine », Éd. de la Maison des sciences de l'homme, Paris, 2004.

48 JULIEN Charles André, Histoire de l'Algérie contemporaine, Vol I, Presse universitaires de France, Paris, 1964.

49 Fils de Joanny Pharaon, interprète du duc de Rovigo, cité dans JULIEN Charles André, Histoire de l'Algérie contemporaine, Vol I, Presse universitaires de France, Paris, 1964.

50 JULIEN Charles André, op.cit.

contrairement à l'intendant M. Pichon qui lui suggéra « qu'il était plus digne de respecter les traités et d'ériger une église » nouvelle. Ne tenant pas compte de cet avis, Le duc de Rovigo ordonna la substitution de la mosquée de Ketchaoua à celle de la pêcherie sur le contrat de cession et il « donna, le 17 décembre 1831, l'ordre d'occuper la mosquée le lendemain. La croix et l'étendard de la France seront fixés au minaret et salués par des batteries de terre et de mer ».

Pharaon Florian51 donne une description détaillé de la prise effective de la mosquée, Le jour de l'assaut « Quatre mille musulmans environ étaient enfermés dans la mosquée dont les portes étaient barricadées. On fit les sommations légales, puis une escouade des sapeurs du génie se mit en mesure de faire sauter les gonds de la porte. Aux premiers coups de haches les rebelles se décidèrent à ouvrir, et une immense rumeur sortit de la mosquée. Mon père (Joanny Pharaon, l'interprète de Rovigo), MBelensi (l'interprète de Pichon) et Sidi Bouderba montèrent les marches du portail, mais immédiatement éclatèrent quelques coups de feu, et une bousculade formidable vint renverser les membres de la commission et les ulémas52'. La troupe croisât la baïonnette et refoula les musulmans dans la mosquée. La panique se saisit d'eux et ils s'enfuirent par une issue qui donnait du côté de la rue du vinaigre. On trouva dans la mosquée plusieurs hommes à moitié étouffés et quelques autres blessés dans la tentative de sortie. La prise de possession était faite~ Le duc de Rovigo fut camper dans la mosquée une compagnie d'infanterie ».

Cette prise de la mosquée par la force n'a pas fait l'unanimité au sein des deux communautés musulmane et catholique, mais aucune voix ne se leva pour contester le fait accompli, mais des désaccords été exprimé à l'instar de l'intendant Pichon qui déclara : « Il n'y a plus eu de culte chrétien public de juillet 1830 à janvier 1832ket quelques mois après nous voulons planter la croix dans une mosquée ! »53.

Mais les différentes communautés présentes dans le pays ou en métropole n'avait pas la même conception des choses en ce qui concerne la conversion des mosquées en temples chrétiens, Ainsi ressenti comme un sacrilège au sein de la communauté musulmans, comme une violation des accords de reddition de 1830 par une partie de l'administration coloniale,

51 Ibid.

52 Terme arabe pour : savants, désigne généralement les théologiens sunnites.

53 Déclaration du baron Pichon, intendant civil de la Régence, cité dans : JULIEN Charles André, Histoire de l'Algérie contemporaine, Vol I, Presse universitaires de France, Paris, 1964.

elle fut justifié et son impact minimisé et les mosquées convertis sont décrites comme «conquises par quelques paroles »54, ainsi M.P.Genty de Bussy écrit : « Quand quelques mosquées sont tombées de vétusté, ou se sont ouvertes devant nos besoins, les Maures ont trouvé pour les pratiques de leur religion un refuge inviolable au sein des temples nombreux qui leur restaient »55.

Ces écrits qui rentraient dans le cadre de la mission civilisatrice en Algérie, décrivaient ces conversions comme rentrant dans un processus de civilisation de la population locale, les nouveaux colonisateurs étant « Plus avancés que ces peuples, [ils pouvaient] déplorer que leur religion les pousse vers la contemplation »56, mais toute en relativisant sur la manière de changer les traditions locales en déclarant que même « si la civilisation semble nous convier à propager nos dogmes, la philosophie nous défend de nous servir d'autres auxiliaires que de ceux de la persuasion, et, en pareil cas, c'est au temps surtout à se charger du succès »57.

Dans ce contexte la conversion de la mosquée de Ketchaoua est expliquée par une toute autre manière, comme un accord entre les différentes parties pour l'aménagement d'un lieu de culte pour les nouveaux arrivants de confession chrétienne, ainsi « devant ce besoin de tous les temps, la sollicitude de l'administration ne pouvait rester oisivek.A la suite d'une négociation conduite avec autant de mesure que de convenance, et sous l'inspiration d'une nécessité réciproquement appréciée, le culte catholique à Alger a trouvé dès la fin de 1832, un lieu digne de lui »58 en l'occurrence la nouvelle cathédrale Saint-Philippe installée dans les bâtiments de l'ancienne mosquée Ketchaoua ; On peut faire un parallèle avec une argumentation de même type dans une consultation juridique du cadi Iyad (543 H / 1148- 1149) analysée par Vincent Lagardère et rendant compte de l'avis des juristes malikites en ce qui concerne la conversion des églises en Andalousie à l'époque almoravide : « Qu'à la suite de l'expulsion des tributaires de leur église celui qui administrait les musulmans l'ait transformée en mosquée constitue un acte fort judicieux vu que les musulmans installes a la place des tributaires évincés avaient besoin d'une mosquée pour faire leur prière... le mieux étant de se servir à cette fin de l'église et de la convertir en mosquée ; après l'expulsion de

54 M.P.Genty DE BUSSY, de l'établissement des français dans la régence d'Alger, librairie de Firmin Didot frères, Paris, 1839.

55 Ibid.

56 Ibid.

57 Ibid.

58 Ibid.

ces gens-là, leur église et ses `habus' reviennent au `bayt al-mal' [le Trésor public] »59, ces écrits émanant de la partie dominante insistent dans les deux cas sur le besoin en église ou mosquée et minimise l'impact de cette conversion sur l'autre communauté dans un discours qui accompagne et justifie cette action.

Pareillement, les écrits des autorités religieuses catholiques concernant la conversion de la mosquée Ketchaoua insistent sur le fait que « La mosquée étant de rite hanéfite«était fréquentée surtout par les Turcs dont beaucoup quittèrent Alger en 1830 »60, et que les autorités musulmanes finissent par céder la mosquée suite à la demande formulée par le duc de Rovigo; La semaine religieuse d'Alger, une publication de l'église catholique cite un passage dans une lettre que le grand muphti adressa au gouverneur : " Notre mosquée changera de culte sans changer de maître. Vous pouviez nous la prendre, vous avez préféré nous la demander. C'est let marque de condescendance que nous n'oublierons pas"61. On perçoit presque une marque de reconnaissance envers les autorités coloniales, et une approbation de la conversion de la mosquée, qui garde toutefois son usage cultuel.

Ces textes insistaient sur la persuasion et la convenance dans les rapports avec la communauté musulmane, dans le respect de la tradition chrétienne et des principes de liberté de la république. Mais d'un autre coté les conversions comme rentrant dans un processus de retour de la chrétienté des territoires qu'elle avait déjà conquis au IVème et Vème siècle au cours de l'occupation romaine de la région, « Après un si long exil, il était, réservé et la France de le [le christianisme] faire reparaître sur des rivages« car la religion et la civilisation sont inséparables »62, comme ce fut le cas pendant la reconquête en Espagne où Alphonse VI fait référence dans la charte de dotation de la cathédrale de Tolède à un rétablissement du culte chrétien dans la région, et que par sa victoire « II efface l'humiliation (opprobrium), le blasphème (mauris... blasfemantibus), restaure l'adoration de Dieu après la parenthèse de trois cent soixante-seize ans pendant laquelle la ville de Tolède fut par jugement secret de Dieu aux mains des Maures qui blasphèment le nom du Christ »63.

59 BURESI Pascal, op.cit.

60 La semaine religieuse d'Alger, cité dans : Théo BRUAND, la cathédrale d'Alger, article paru dans la Dépêche d'Algérie, édition du 1er Août 1962.

61 Ibid.

62 M.P.Genty DE BUSSY, op.cit.

63 BURESI Pascal, op.cit.

Ainsi en se référant aux sources de différentes provenances, on a plusieurs versions et interprétations sur les motivations, le déroulement et les conséquences de la prise de la mosquée de Ketchaoua et son affectation au culte catholique. Sur un sujet aussi sensible que le changement de confession d'un lieu de culte, qui exprime un conflit entre des communautés religieuses, les rédacteurs ont souvent du mal à être objectifs ; La réalité se situe certainement entre ces différents récits qui prennent parti pour groupe ou un autre selon l'appartenance et l'opinion personnelle du rédacteur. Mais toutes les sources confirment que la mosquée a été prise le 18 décembre 1832 et consacrée une semaine plus tard à l'occasion des fêtes de noël le 24 décembre 1832.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein