II- CHAPITRE II : Mosquée Ketchaoua /
Cathédrale Saint-Philippe :
La conversion des lieux de culte d'une confession à une
autre est une pratique courante à travers l'histoire, liée
essentiellement aux conflits qui opposent deux parties de confession
différentes ; ainsi l'appropriation des lieux de culte de la partie
adverse vaincue apparait comme une suite logique de la victoire militaire et
une forme de consécration de la domination d'une communauté sur
une autre.
L'Algérie qui a connue à travers son histoire
plusieurs envahisseurs et de longue période de colonisation, depuis la
colonisation romaine qui a engendré une sorte de mixité entre les
croyances romaines et les pratiques religieuses libyques et puniques
déjà présente en cette partie de l'Afrique, une
mixité qui s'est traduit par une assimilation cultuelle de la population
de la région induite par l'intégration de leurs cultes et la
présentation de leurs divinités dans les espaces de culte.
Par contre, les religions monothéistes
chrétienne et musulmane ne pouvaient accepter la perpétuation des
pratiques cultuelles ancestrales en arrivant dans la région, de par
l'impossibilité d'intégration de ces pratiques dans des religions
qui constituent une rupture avec la multiplicité des dieux.
Mais même après plusieurs siècles
d'islamisation de la région, il existait encore des conflits autour des
lieux de culte entre différentes dynasties islamiques dans la
région par rapport au style architectural, à l'ornementation et
selon les différentes doctrines de l'islam et la provenance des nouveaux
souverains.
Mais le véritable bouleversement qu'a subit la
région est l'occupation française qui débute en 1830 et
l'arrivée d'un nouveau pouvoir qui ne partage que peu de choses avec les
habitants autochtones du point de vue culturel et religieux ; Cette
confrontation de deux cultures différentes a été
particulièrement violente en Algérie, où la France a
pratiqué une colonisation de peuplement à l'inverse des
politiques de protectorat pratiquées en Maroc et en Tunisie.
Cette confrontation s'est exprimée en partie avec les
traitements réservés aux lieux de culte présents sur les
territoires occupés, ainsi avec l'enclenchement de la colonisation de
peuplement après la victoire militaire et la conquête du nord
algérien, s'exprime le besoin d'aménager des lieux de culte pour
cette nouvelle population de confession différente, soit par
la construction de nouveaux édifices religieux ou par la
conversion des lieux de culte déjà existants dans la
région.
Et c'est dans cette deuxième catégorie que
rentre le cas de la mosquée de Ketchaoua qui fut convertie au culte
chrétien lors des premières années de colonisation pour
devenir la cathédrale Saint-Philippe, première cathédrale
d'Alger.
La métamorphose de cet édifice s'est faite
durant plusieurs décennies pour devenir une cathédrale à
part entière que ce soit du point de vue fonctionnel, architectural ou
décoratif ; Ce processus impliquait des interventions sur le
bâtiment et sur son aménagement ainsi que la
célébration de différentes cérémonies
liées au culte chrétien dans ce lieu, et cela jusqu'à
l'indépendance de l'Algérie en 1962 et la réappropriation
de ce lieu de culte par la communauté musulmane, et sa reconversion en
mosquée sans pour autant effectuer de modifications architecturales
majeures sur le bâtiment.
Ce tiraillement qu'a subit ce lieu de culte est
révélateur des rapports entre les communautés, ces
rapports évoluent dans le temps en faveur d'une communauté ou une
autre, ainsi la conversion de ce lieu de culte, loin d'être un acte
fortuit imposé seulement par la nécessité d'avoir un
espace de prière constitue un symbole fort d'affirmation des pouvoirs en
place.
Etudier la transmission de cet édifice à travers
une analyse chronologique de son histoire occulterai les véritables
enjeux et impactes de l'évolution de cette édifice dans le temps,
cette évolution représente des séquences dans la vie de ce
bâtiment, des séquences de continuité ou de rupture que ce
soit par rapport à la fonction, la confession ou le corps même de
cet édifice.
Ces séquences représente les interventions
majeurs qu'a subit l'édifice, en commençant avec sa
création, sa conversion cultuelle, sa transformation architecturale et
enfin sa reconversion. L'étude de la transmission de ce monument,
implique de se référer aux sources historiques relatant son
évolution ainsi qu'aux traces architecturales en analysant l'objet
architectural en son état actuel et les plans des différentes
intervention qu'il a subit.
A- Création : édifice mosquée -
fonction mosquée :
La mosquée de Ketchaoua doit son appellation à
son emplacement, le plateau de Ketchaoua (plateau des chèvres), la date
exacte de la fondation de cette mosquée reste inconnue mais elle est
antérieur à 1612, date à laquelle un acte de cadi signale
son existence32.
La grande mosquée telle que représentée
dans la lithographie de Lessore et Wild (Figures 1) et sur le plan et la coupe
réalisés par Amable Ravoisié (Figures 2 et 3) fut
édifiée en 1794 sous le règne de Hassan
Pacha33, comme le confirme l'inscription datée par un
chronogramme au-dessus de l'entrée : «Quelle belle
mosquée ! Elle est recherchée par les désirs, avec un
empressement extrême. Les splendeurs de son achèvement ont souri
sur l'horizon du siècle. Elle a été construite par son
sultan, agréable à la puissance éminente : Hassan Pacha,
avec une beauté sans pareille»34.
Il existe dans le monde musulman plusieurs types de plans de
mosquée , « schématiquement on distingue d'une part le
plan présentant une cour et une salle de prière hypostyle, qui se
trouve plutlit au Proche Orient et au Maghreb, d'autre part une grande cour
centrale flanquée de quatre iwâns #177; un iwân est une
salle voûtée ouverte sur un clité ~, en Iran, et enfin une
cour jouxtant une vaste salle de prière centrale surmontée d'une
coupole aux dimensions généralement importantes inspirée
de Sainte-Sophie à Istanbul, que l'on trouve principalement en Turquie
et en Asie Centrale »35. La nouvelle mosquée
construite en 1794 rentrait dans cette dernière catégorie, elle
avait des proportions plus grandes que celle de l'ancienne, la coupe de
Ravoisié confirme qu'elle a été construite sur un plan de
mosquée à grande coupole centrale couvrant une salle carré
entourée de galeries recouvertes de petites coupoles , cet espace
centrale « carrée et entourée de fortes colonnes en
marbre était bordée sur trois faces de basclités
coupés par de larges tribunes placées à mi-distance du sol
des arceaux; une grande coupole à base octogonale la recouvrait. Des
peintures et des inscriptions ornaient cet intérieur fort coquet et
élégant»36, Le minaret d'origine se trouvait
à l'arrière de la double rangée de galeries du
côté du `mihrab' indiquant la direction de la Mecque, ce plan
similaire à
32 KLEIN Henri, Feuillets d'El Djazair, Tome
I et II, Ed du Tell, Alger, 2003.
33 MARÇAIS Georges, Manuel d'art musulman :
L'Architecture (Tunisie, Algérie, Maroc, Espagne, Sicile), Vol II,
Chap.7-9, Ed Picard, Paris, 1926-1927.
34 KLEIN Henri, op.cit.
35 BAYLE.M.Hélène, Qu'est-ce qu'une
mosquée ? Institut européen en sciences des religions,
Septembre 2007.
36 Descriptions d'Albert DEVOULX, responsable des
Domaines, dans KOUMAS Ahmed, NAFAA Chéhrazade, « L'Algérie
et son patrimoine », éditions du patrimoine, Paris, 2003.
ce qu'on peut trouver en Turquie, correspond au type de
mosquées construites en Maghreb central pendant la période
Ottomane.
Lucien Golvin donne une description générale de
cette édifice bâtie « sur plan barlong, environ 24/20 m,
la salle de prière comprenait un espace carré de 11,50 m de
côté, que coiffait une vaste coupole octogonale sur trompes en
coquilles ; des galeries bordaient cet esSI7I1IfLJial1 elles étaient
doubles, à l'opposé du mihrâb. Ces galeries étaient
coiffées de coupoles secondaires, séparées par des arcs
doubleaux ; toutes reposaient sur des pendentifs. Tous les arcs, de forme
brisée outrepassée, étaient supportés par de
grosses colonnes à vastes chapiteaux »37, le
minaret de la mosquée était plaqué d'émail et
l'intérieur décoré avec de grandes inscriptions en
caractères arabes avec le mihrab à l'orient de la salle
carrée entourée de colonnes de marbre
d'Italie38.
La Ketchaoua était l'une des plus prestigieuses
mosquées de la ville, les habitants d'Alger y été
très attachés ; sa décoration somptueuse et son aspect
monumental consacrait l'architecture ottomane à Alger. Pratiquement
collée au palais Hassan Pacha et à quelque mètres de la
résidence `Dar Aziza', cette mosquée occupait une place
privilégiée dans la ville ; Situé dans la basse Casbah
entre la ville en hauteur et la coté dans une zone qui regroupe `El
Jnina' ancienne résidence du Dey, les deux autres grands mosquées
de la ville (Djamaa el Jdid et Djamaa El Kébir) et desservie par les
grandes rues marchandes, la Ketchaoua faisait partit du coeur de la ville.
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