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Conversion des lieux de culte à  Alger du XVIIIème au XXème siècle. Cas de la mosquée/ cathédrale Ketchaoua

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par Samir NEDJARI
Université Paris I Panthéon- Sorbonne - Master recherche patrimoine et conservation- restauration 2012
  

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II- CHAPITRE II : Mosquée Ketchaoua / Cathédrale Saint-Philippe :

La conversion des lieux de culte d'une confession à une autre est une pratique courante à travers l'histoire, liée essentiellement aux conflits qui opposent deux parties de confession différentes ; ainsi l'appropriation des lieux de culte de la partie adverse vaincue apparait comme une suite logique de la victoire militaire et une forme de consécration de la domination d'une communauté sur une autre.

L'Algérie qui a connue à travers son histoire plusieurs envahisseurs et de longue période de colonisation, depuis la colonisation romaine qui a engendré une sorte de mixité entre les croyances romaines et les pratiques religieuses libyques et puniques déjà présente en cette partie de l'Afrique, une mixité qui s'est traduit par une assimilation cultuelle de la population de la région induite par l'intégration de leurs cultes et la présentation de leurs divinités dans les espaces de culte.

Par contre, les religions monothéistes chrétienne et musulmane ne pouvaient accepter la perpétuation des pratiques cultuelles ancestrales en arrivant dans la région, de par l'impossibilité d'intégration de ces pratiques dans des religions qui constituent une rupture avec la multiplicité des dieux.

Mais même après plusieurs siècles d'islamisation de la région, il existait encore des conflits autour des lieux de culte entre différentes dynasties islamiques dans la région par rapport au style architectural, à l'ornementation et selon les différentes doctrines de l'islam et la provenance des nouveaux souverains.

Mais le véritable bouleversement qu'a subit la région est l'occupation française qui débute en 1830 et l'arrivée d'un nouveau pouvoir qui ne partage que peu de choses avec les habitants autochtones du point de vue culturel et religieux ; Cette confrontation de deux cultures différentes a été particulièrement violente en Algérie, où la France a pratiqué une colonisation de peuplement à l'inverse des politiques de protectorat pratiquées en Maroc et en Tunisie.

Cette confrontation s'est exprimée en partie avec les traitements réservés aux lieux de culte présents sur les territoires occupés, ainsi avec l'enclenchement de la colonisation de peuplement après la victoire militaire et la conquête du nord algérien, s'exprime le besoin d'aménager des lieux de culte pour cette nouvelle population de confession différente, soit par

la construction de nouveaux édifices religieux ou par la conversion des lieux de culte déjà existants dans la région.

Et c'est dans cette deuxième catégorie que rentre le cas de la mosquée de Ketchaoua qui fut convertie au culte chrétien lors des premières années de colonisation pour devenir la cathédrale Saint-Philippe, première cathédrale d'Alger.

La métamorphose de cet édifice s'est faite durant plusieurs décennies pour devenir une cathédrale à part entière que ce soit du point de vue fonctionnel, architectural ou décoratif ; Ce processus impliquait des interventions sur le bâtiment et sur son aménagement ainsi que la célébration de différentes cérémonies liées au culte chrétien dans ce lieu, et cela jusqu'à l'indépendance de l'Algérie en 1962 et la réappropriation de ce lieu de culte par la communauté musulmane, et sa reconversion en mosquée sans pour autant effectuer de modifications architecturales majeures sur le bâtiment.

Ce tiraillement qu'a subit ce lieu de culte est révélateur des rapports entre les communautés, ces rapports évoluent dans le temps en faveur d'une communauté ou une autre, ainsi la conversion de ce lieu de culte, loin d'être un acte fortuit imposé seulement par la nécessité d'avoir un espace de prière constitue un symbole fort d'affirmation des pouvoirs en place.

Etudier la transmission de cet édifice à travers une analyse chronologique de son histoire occulterai les véritables enjeux et impactes de l'évolution de cette édifice dans le temps, cette évolution représente des séquences dans la vie de ce bâtiment, des séquences de continuité ou de rupture que ce soit par rapport à la fonction, la confession ou le corps même de cet édifice.

Ces séquences représente les interventions majeurs qu'a subit l'édifice, en commençant avec sa création, sa conversion cultuelle, sa transformation architecturale et enfin sa reconversion. L'étude de la transmission de ce monument, implique de se référer aux sources historiques relatant son évolution ainsi qu'aux traces architecturales en analysant l'objet architectural en son état actuel et les plans des différentes intervention qu'il a subit.

A- Création : édifice mosquée - fonction mosquée :

La mosquée de Ketchaoua doit son appellation à son emplacement, le plateau de Ketchaoua (plateau des chèvres), la date exacte de la fondation de cette mosquée reste inconnue mais elle est antérieur à 1612, date à laquelle un acte de cadi signale son existence32.

La grande mosquée telle que représentée dans la lithographie de Lessore et Wild (Figures 1) et sur le plan et la coupe réalisés par Amable Ravoisié (Figures 2 et 3) fut édifiée en 1794 sous le règne de Hassan Pacha33, comme le confirme l'inscription datée par un chronogramme au-dessus de l'entrée : «Quelle belle mosquée ! Elle est recherchée par les désirs, avec un empressement extrême. Les splendeurs de son achèvement ont souri sur l'horizon du siècle. Elle a été construite par son sultan, agréable à la puissance éminente : Hassan Pacha, avec une beauté sans pareille»34.

Il existe dans le monde musulman plusieurs types de plans de mosquée , « schématiquement on distingue d'une part le plan présentant une cour et une salle de prière hypostyle, qui se trouve plutlit au Proche Orient et au Maghreb, d'autre part une grande cour centrale flanquée de quatre iwâns #177; un iwân est une salle voûtée ouverte sur un clité ~, en Iran, et enfin une cour jouxtant une vaste salle de prière centrale surmontée d'une coupole aux dimensions généralement importantes inspirée de Sainte-Sophie à Istanbul, que l'on trouve principalement en Turquie et en Asie Centrale »35. La nouvelle mosquée construite en 1794 rentrait dans cette dernière catégorie, elle avait des proportions plus grandes que celle de l'ancienne, la coupe de Ravoisié confirme qu'elle a été construite sur un plan de mosquée à grande coupole centrale couvrant une salle carré entourée de galeries recouvertes de petites coupoles , cet espace centrale « carrée et entourée de fortes colonnes en marbre était bordée sur trois faces de basclités coupés par de larges tribunes placées à mi-distance du sol des arceaux; une grande coupole à base octogonale la recouvrait. Des peintures et des inscriptions ornaient cet intérieur fort coquet et élégant»36, Le minaret d'origine se trouvait à l'arrière de la double rangée de galeries du côté du `mihrab' indiquant la direction de la Mecque, ce plan similaire à

32 KLEIN Henri, Feuillets d'El Djazair, Tome I et II, Ed du Tell, Alger, 2003.

33 MARÇAIS Georges, Manuel d'art musulman : L'Architecture (Tunisie, Algérie, Maroc, Espagne, Sicile), Vol II, Chap.7-9, Ed Picard, Paris, 1926-1927.

34 KLEIN Henri, op.cit.

35 BAYLE.M.Hélène, Qu'est-ce qu'une mosquée ? Institut européen en sciences des religions, Septembre 2007.

36 Descriptions d'Albert DEVOULX, responsable des Domaines, dans KOUMAS Ahmed, NAFAA Chéhrazade, « L'Algérie et son patrimoine », éditions du patrimoine, Paris, 2003.

ce qu'on peut trouver en Turquie, correspond au type de mosquées construites en Maghreb central pendant la période Ottomane.

Lucien Golvin donne une description générale de cette édifice bâtie « sur plan barlong, environ 24/20 m, la salle de prière comprenait un espace carré de 11,50 m de côté, que coiffait une vaste coupole octogonale sur trompes en coquilles ; des galeries bordaient cet esSI7I1IfLJial1 elles étaient doubles, à l'opposé du mihrâb. Ces galeries étaient coiffées de coupoles secondaires, séparées par des arcs doubleaux ; toutes reposaient sur des pendentifs. Tous les arcs, de forme brisée outrepassée, étaient supportés par de grosses colonnes à vastes chapiteaux »37, le minaret de la mosquée était plaqué d'émail et l'intérieur décoré avec de grandes inscriptions en caractères arabes avec le mihrab à l'orient de la salle carrée entourée de colonnes de marbre d'Italie38.

La Ketchaoua était l'une des plus prestigieuses mosquées de la ville, les habitants d'Alger y été très attachés ; sa décoration somptueuse et son aspect monumental consacrait l'architecture ottomane à Alger. Pratiquement collée au palais Hassan Pacha et à quelque mètres de la résidence `Dar Aziza', cette mosquée occupait une place privilégiée dans la ville ; Situé dans la basse Casbah entre la ville en hauteur et la coté dans une zone qui regroupe `El Jnina' ancienne résidence du Dey, les deux autres grands mosquées de la ville (Djamaa el Jdid et Djamaa El Kébir) et desservie par les grandes rues marchandes, la Ketchaoua faisait partit du coeur de la ville.

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