Conversion des lieux de culte à Alger du XVIIIème au XXème siècle. Cas de la mosquée/ cathédrale Ketchaoua( Télécharger le fichier original )par Samir NEDJARI Université Paris I Panthéon- Sorbonne - Master recherche patrimoine et conservation- restauration 2012 |
C- La conversion des lieux de culte :Le patrimoine culturel religieux et particulièrement les lieux de culte ont une signification qui dépasse les valeurs matérielles de ces bâtisses, de par leurs usages cultuels et leurs associations aux croyances, ils acquièrent des significations religieuses, politiques, symboliques et même mystiques. 16 Le Coran, Sourate El Jinn 72, Verset 18, traduction du site http://www.al-islam.com. 17 ARKOUN Mohamed, essais sur la pensée islamique, Maison neuve et La rose, Paris, 1984. 18 BERTAUX Jean-Jacques, « Biens sacrés et biens religieux, le point de vue du conservateur », dans Brigitte Basdevant-Gaudemer, Marie Cornu, Jérôme Fromageau (dirs.), op.cit. De par la multiplicité des valeurs associées à ce type d'édifice, les enjeux liés à l'appropriation des lieux de culte sont particulièrement nombreux et se manifestent notamment en période de conflit. « Ces symboles sacrés associant un signifiant architectural et un signifié politique »19 et spirituel ont été au centre des conflits, que ce soit entre des communautés de religion différentes ou de la même confession ; la prise, l'accaparation, l'appropriation ou même la démolition des lieu de culte à des portées politiques, religieuse et symboliques qui vont bien loin du simple fait de l'action de s'emparer d'un bfitiment. La conversion est un acte qui suit une idéologie, une pensée, il dépend « de la conception que se fait une religion de l'autre, d'un point de vue pratique, des relations entre les communautés en présence »20. Les musulmans voient la conversion d'une église en mosquée comme une réforme, puisque le coran reconnait toutes les religions qui proclament un dieu unique, on peut y lire que Mohamed (s.a.w.s) est « le messager d'Allah et le dernier des prophètes »21, ainsi le passage d'une église à une mosquée est perçu comme une réforme et même l'existence de l'église n'est pas contesté puisque le coran multiplie les consignes de tolérance à l'égard des « gens du livre22 » `ÈÇ'ß~~ áå' ; Ainsi pendant les conquêtes musulman en Espagne, les musulmans « auraient eu une politique de concurrence plutôt que d'élimination des églises existant au moment de la conquête »23. En revanche, le christianisme étant antérieur à la religion musulman, il ne la reconnait guère et Mohamed (saws) « apparait dans les textes au mieux comme un pseudo-prophète, au pire comme l'Antéchrist et la mosquée comme l'antre de Satan »24, dans ce contexte, la présence de la mosquée est perçue comme une profanation des territoires chrétiens, ce qui accélère le processus de conversion par un changement de consécration en un premier temps suivi par une transformation architecturale, puisque même la réutilisation du bâtiment de la mosquée pour la célébration du culte chrétien peut être incommode pour les fidèles. 19 BARON Mathilde, Conversion des lieux de culte à Tolède : le témoignage de l'historiographie, le témoignage du bâti, Mémoire de maîtrise, Université LYON 2-LUMIÈRE, 2003. 20 BURESI Pascal, « Les conversions d'églises et de mosquées en Espagne aux XIe XIIIe siècles », Dans : Religion et société urbaine au moyen âge, Publications de la Sorbonne, Paris, 2000. 21 Coran, surate el Ahzab 33, Verset 40 : « Muhammad n'a jamais été le père de l'un de vos hommes, mais le messager d'Allah et le dernier des prophètes. Allah est Omniscient », « óãóÊÇóÎóæ ö Çááåøó óá~õÓóÑ úäößó~óæ úãõßö~ÇóÌöÑ úäö~ òÏóÍó ÇóÈó ñÏøóãó~õe óäÇó~ Çó~ Çðãíöáó~ òÁúí Ôó øöáõßöÈ õÇááåøó óäÇó~óæ óäíøöíö~øó~~~ », traduction du site http://www.al-islam.com. 22 L'évangile et la torah. 23 BURESI Pascal, op.cit. 24 Ibid. L'acte de conversion d'un édifice de culte résulte d'un rapport de force entre différentes communautés, ce rapport de force évolue dans le temps en faveur d'une communauté ou d'une autre et s'exprime en parti par la conversion d'édifices religieux. De ce fait, le sort réservé aux lieux de culte d'une autre religion en territoires conquis et souvent révélateur des intentions des conquérants, «convertir quelque chose, c'est le ramener à l'usage auquel il était prédestiné, c'est affirmer ou réaffirmer une hiérarchie"25, et c'est ainsi que survient la conversion des lieux de cultes comme un acte de conquête ; En Espagne du XIème au XIIIème siècle, les récits historiques « insistent sur le lien entre victoire militaire et conversion »26, en cette période de conflit et de fluctuations des frontières entre l'Andalousie musulmane et les royaumes chrétiens du Nord, « le jeu de miroir des conversions d'églises et de mosquées »27 est riche en enseignement sur les causes, le déroulement et les conséquences de ces opérations de conversion ; Un exemple marquant est celui des mosquées de Calatrava et Almeria convertis en églises après les conquêtes d'Alphonse VII et puis reconvertis en mosquées peu après suite à la reprise de ces villes par les Almohades. Ainsi les conversions de mosquées durant la
reconquête jusqu'au XVème siècle sont en
même temps un résultat et un moteur de l'idéologie de la
reconquête, comme c'était le cas pendant la conquête
islamique du VIIème au VIIIème
siècle qui s'exprimait par des actes définissant le nouveau
rapport entre les communautés, dans ce contexte historique particulier
rythmé par les conquêtes militaires, « le choix de
convertir un édifice religieux et donc de le réutiliser
après purification et restauration, plutôt que le détruire
et en construire un neuf est très révélateur de la
relation à l'Autre »28 Le choix de la conversion est aussi dicté par un pragmatisme lié aux économies de temps et d'argent réalisées en réutilisant l'ancien édifice en plus de l'expression d'une certaine domination en se réappropriant le coeur de la ville et en le gardant comme un butin de guerre tout en mettant l'édifice aux normes de la nouvelle religion. Ce choix est tributaire de l'évolution des rapports de
forces et de l'occupation des territoires, « il est en tout
état de cause un acte de pouvoir »29 25 BUC Philippe, Conversion of objects, article paru dans la revue Viator, Volume 28 / 1997, Brepols, Bruxelles. 26 BURESI Pascal, op.cit. 27 Ibid. 28 Ibid. 29 Ibid. Ainsi, la conversion correspond à une appropriation des territoires conquis, à une mise en place d'un nouvel ordre religieux, social et politique ; Ainsi pendant la reconquête en Espagne, c'est la grande mosquée qui était sujet à la conversion en priorité et cela n'impliquait pas forcément la conversion de toutes les autres mosquées.30 Conséquence de la victoire militaire, la conversion peut aussi être un objectif et servir à justifier et légitimer une conquête qui a comme but la purification des territoires ennemis profanes, cette action de conversion vise un symbole, une représentation de l'ancien pouvoir qui été en place, ainsi la conversion des mosquées au nord de l'Andalousie pendant la reconquête a précipité l'intervention des Almohades qui ont réunies les petits royaumes d'Andalousie dans le but de réparer ce sacrilège. Même si la conversion d'un lieu de culte est souvent l'expression de la domination d'une communauté, il ne faut pas trop schématiser les parties de ce rapport de force qui n'oppose pas que deux camps, ainsi au sein d'une même communauté religieuse, il existe des conflits d'intérêts qui peuvent aller dans le sens de la conversion ou dans d'autres sens. Mais l'acte de conversion peut aussi s'avérer avoir des conséquences sur les relations intérieures au sein de ces communautés. Mais au sein même de ce processus de conversion il faut dissocier deux actions, deux phases qui font partie de ce processus ; la première action -de portée essentiellement immatérielle- c'est le changement de confession du lieu de culte qui peut s'accompagner d'aménagements mineurs de l'espace et d'installation de mobilier, la deuxième c'est la transformation de ce lieu, une transformation architecturale du bâtiment dans le but «d'harmoniser nature, fonction et forme de l'édifice~ en annulant la contradiction portée par les pierres»31 La transformation d'une mosquée en église ou vice-versa se fait progressivement et généralement en deux étapes : une première étape au moment de la conquête et de la prise de l'édifice, ou il est réutilisé en tant que lieux de culte d'une autre religion ; la deuxième étape se traduit soit par la destruction de l'ancien bfitiment et sa reconstruction dans un style qui correspond au nouveau culte à lequel il est consacré, soit par une transformation architecturale progressive qui au fil du temps change l'aspect total de l'édifice. 30 Ibid. 31 BARON Mathilde, op.cit. |
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