III- CHAPITRE III : Conversion des lieux de culte et
transmission du
patrimoine
Tous les édifices et les objets
patrimoniaux82 de manière générale subissent
des interventions, des modifications, des changements plus ou moins
remarquables qui interviennent et même déterminent
l'évolution de l'objet patrimoniale. Que ce soit à cause des
aléas naturels et le vieillissement que subisse un objet à
travers le temps, ou des interventions humaines dans le but est de restaurer ou
de transformer, aucun objet patrimonial ne peut traverser le temps figé
dans son état initial.
Ainsi, on peut se questionner par rapport à la
transmission des objets patrimoniaux et du patrimoine, sur la nature même
de ces objets, et est-ce qu'il s'agit du méme objet qui évoluent
dans le temps ou de plusieurs objets qui existent à des époques
différentes.
Le patrimoine bâti, de par sa complexité, sa
variété d'usage et la multiplicité des fonctions qu'il
remplit, fait sans doute partie des objets patrimoniaux qui subissent le plus
de transformation au cours de leur existence. Edifice remplissant une fonction
ou plusieurs, symbole d'une idéologie, d'un culte ou une appartenance,
et façade des idées, des arts, des techniques et capacités
de construction d'un groupe social à une époque donnée ;
Les créations architecturales regroupent plusieurs valeurs, des valeurs
qui elles même évoluent dans le temps avec l'évolution de
l'édifice.
La transmission du patrimoine architectural reste un
défi entre : ce qu'on voudrait transmettre et ce que perçoit les
récepteurs de ce patrimoine, et cela en tenant compte des
impératifs d'usage, de cout et de faisabilité. Dans ce contexte,
la réception d'un patrimoine est la finalité de toute
transmission, et si on considère que « ce n'est pas le monument qui
nous impose son interprétation~c'est nous qui devons trouver les
questions à poser au monument, et il nous répondra. Cela
implique, comme pour les textes, que le monument contient un potentiel non
82 « L'objet patrimonial est simplement l'objet grace auquel
une communauté existe. Elle a besoin de lui pour exister, et il a besoin
d'elle pour exister en tant que patrimoine. » MELOT Michel, «
Qu'est-ce qu'un objet patrimonial ? », BBF, 2004, n° 5, p.
5-10, [en ligne] <http://bbf.enssib.fr/> Consulté le 20 mai
2012.
délimité de réponses »83,
et on se retrouve avec autant de réponses qu'on a d'interrogateurs, et
même les réponses aux mêmes questionnes peuvent être
différentes d'un récepteur à un autre. Dans l'exemple d'un
patrimoine lié à un ou plusieurs conflits, comme le
bâtiment cas d'étude de ce mémoire, en l'occurrence la
mosquée/cathédrale de ketchaoua, « Si l'on
considère que l'histoire se structure autour d'antagonismes entre
égaux, classes sociales, groupes ethniques ou religieux et, plus
récemment, entre états-nations, le patrimoine culturel peut
être imprégné des conflits du
passé. Des bâtiments, des sites et des artéfacts, dont de
magnifiques monuments à la valeur artistique incontestable comme des
cathédrales gothiques, d'anciens hôtels de ville, des manoirs et
leurs jardins ou des collections de musée de toutes sortes, rappellent
l'histoire d'un affrontement militaire, civil, social ou culturel, d'une
exploitation, d'une tromperie ou mme d'un vol »84, ce
monument participe activement à la construction de l'histoire qui se
fait dans le présent, et d'un autre côté, l'histoire
influence la perception qu'on peut avoir de ce monument.
Les interventions les plus importantes qu'a subit ce monument
sont liées aux deux conversions qu'il a subit, de mosquée
à cathédrale en un premier temps, pour retrouver sa fonction
initiale de mosquée en 1962 ; Ces conversions qui sont loin d'être
imposée que par l'impératif du besoin en matière de lieu
de culte, mais sont plutôt « l'expression d'un projet politique
»85, d'une idéologie. Les deux niveaux de la conversion
d'un lieu de culte que sont : la conversion cultuelle et la transformation
architecturale, nous amènent à se questionner sur la pratique
d'un culte dans un environnement conçu pour un autre culte en ce qui
concerne le premier type, et les réflexions sur l'adaptation de
l'élément architecturale au nouveau culte et les limites de cette
adaptation qu'est la transformation de l'édifice.
Le processus de conversion va être abordé en ce qui
suit dans le cadre de la dualité mosquée/église, et cela
à travers le cas d'étude qui a subit ce processus dans les deux
sens.
83 GABI Dolff-Bonekämper, «Lieux de
mémoire et lieux de discorde : la valeur conflictuelle des
monuments», in Prospective : Fonctions Du Patrimoine Culturel Dans
Une Europe En Changement, dirigé par Daniel THEROND, Division du
patrimoine culturel, Conseil de l'Europe.
84 GABI Dolff-Bonekämper, « Patrimoine
européen des frontières #177; Points de rupture, espaces
partagés », Direction de la culture et du patrimoine culturel
et naturel, Projet intégré «Réponses à la
violence quotidienne dans une société démocratique»,
Editions du Conseil de l'Europe, imprimé en Allemagne, décembre
2004.
85 BARON Mathilde, op.cit.
A- La prise de l'édifice :
La conversion d'un lieu de culte d'une confession à une
autre commence tout naturellement par l'occupation des lieux, l'ancien lieu de
culte est soit pris par la force des armes ou par d'autre moyens ou il peut
s'agir d'un lieu vacant qui ne remplit plus aucune fonction.
Cette prise de l'édifice est particulièrement
importante pour la suite du processus, et déterminent le
caractère des relations entre les communautés parts de ce
conflits, puisque un édifice convertie d'une religion à une autre
est toujours enlevé à une communauté pour l'usage d'une
autre. C'est dans ce contexte conflictuel que l'occupation d'un lieu de culte
d'une autre religion, influence l'atmosphère dans lequel va se
dérouler l'utilisation de ce lieu de culte et même les actions qui
vont suivre que ce soit pour légitimer cette prise ou pour adapter lieu
au nouveau culte.
Ainsi, en Espagne pendant la reconquête, la conversion
presque de toutes les grandes mosquées des villes conquises ne se
faisait pas de la même façon, « dans les cas de
capitulation, la conversion de la grande mosquée n'intervient pas
immédiatement après la conquête. Les musulmans conservent
par exemple à Tolède l'usage de la grande mosquée~d'autres
exemples plus tardifs de capitulations comme celle de Saragosse en 1118, qui
stipulait que les saraqustis pourraient conserver leur grande mosquée
pendant un an au terme duquel elle reviendrait aux chrétiens qui en
feraient leur cathédrale »86, mais dans le cas de
villes prises par la forces des armées suite à des batailles, les
vaincue n'ont plus aucun droit et la conversion de la grande mosquée de
la ville se fait beaucoup plus rapidement, .
Cette différence d'usage, selon que
l'établissement du nouveau rapport de force s'est fait par un conflit
armé ou par des négociations qui ont aboutie à la cession
de l'édifice, conduit tout de méme au méme résultat
qu'est la conversion du lieu de culte. Mais le déroulement, la
brutalité de cette conversion est fortement tributaire de cette phase,
ainsi la prise en main de l'édifice de culte par la nouvelle
communauté dominante se fait, soit progressivement en laissant aux
anciens occupants des lieux le droit de les utiliser pendant le temps
nécessaire à la transition, ou brutalement, on s'appropriant les
lieux dès l'installation du nouveau pouvoir87.
La prise brutale d'un monument peut engendrer un traumatisme
qui dure dans le temps, ainsi ces édifices rappelant l'architecture,
les arts et la richesse d'une époque peuvent aussi bien
86 BURESI Pascal, op.cit.
87 Ibid.
évoquer des souvenirs des conflits du passés,
vue que ces monuments sont souvent crées et liés à des
périodes historique chargé de conflits. Ces valeurs
conflictuelles, véhiculées en parallèle des «
valeurs positives, historiques, artistiques ou morales »88
restent présente dans la mémoire collective et sont
rappelé à la fois par les récits historiques que par le
monument en lui-même à travers son expression architecturale,
malgré que « La qualité et l'objectivité du
message pédagogique [du patrimoine] dépendent des valeurs
véhiculées par ceux chargés de l'interprétation du
patrimoine »89, et ce message peut être
différent selon sa provenance, ainsi « un monument peut
s'inscrire dans des narratifs différents, mrme contradictoires, d'une
part et d'autre d'une frontière de territoire ou d'une limite de
classe»90, comme c'est le cas de la
mosquée/cathédrale de Ketchaoua, ou les épisodes
historiques liés à la prise de la mosquée en 1832 ou de la
cathédrale en 1962 sont racontés de manière
différente par les parties qui ont pris part à ce conflit.
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