2. Le choix du conjoint : affaire individuelle.
Le lien socialement reconnu (mariage, concubinage) qui unit
les conjoints est appelé "alliance" et avec l'irruption des nouvelles
valeurs telles l'école, le salariat, le choix du conjoint, autrefois
affaire des parents, est a priori devenu une "affaire individuelle" ;
donc concernant les futurs mariés d'abord. En effet, « au
modèle du mariage traditionnel, "arrangé par les
familles", on oppose le mariage contemporain oil les jeunes gens, sans
aucune pression extérieure, se rencontrent, s'aiment et se marient.
»192 Cela ne veut pas dire que les parents ou la famille n'a
plus d'avis à donner, il s'agit juste de dire que cet avis est toujours
présent, surtout lors de la célébration du mariage
à la coutume par exemple, seulement il est relayé au second plan
a priori.
Certainement que l'école, l'Eglise, le travail
rémunéré, etc., y sont pour beaucoup dans cette nouvelle
configuration du choix du conjoint, et partant, du mariage. Il va s'en dire que
« l'effacement des parents dans le choix du conjoint de leurs enfants
paraît clairement perçu par l'ensemble de la population [...]
D'une manière générale, le mariage arrangé
apparaît comme relevant des usages d'une autre
génération.»193
Plus important encore et toujours pour partager le point de
vue de Louis ROUSSEL, a priori, « la liberté
"d'élire" son conjoint apparaît comme un droit
191 Aderanti ADEPOJU et al, La famille africaine.
Politiques démographiques et développement,
op.cit., p.14.
192 Louis ROUSSEL, Le mariage dans la
société contemporaine. Faits de population, données
d'opinion Préface d'Alain GIRARD, ibid., p.204.
193 Louis ROUSSEL, Le mariage dans la
société contemporaine. Faits de population, données
d'opinion Préface d'Alain GIRARD, ibid., p.205.
imprescriptible et l'idée qu'une contrainte puisse
exister sur ce point paraît proprement scandaleux.»194
A ce titre, le Pasteur OGOULA-M'BEYE ajoute
qu'antérieurement au mariage et dans le choix du conjoint, « quand
on s'aimait, on s'unissait sans aucune consultation préalable des
parents et c'est ce qui était caution à palabre et à
désordre. Les parents ne pouvaient pas en l'occurrence intervenir.
Dès lors qu'une personne était venue à eux, devant
témoins pour demander publiquement mariage avec leur fille afin de
fonder une famille et par conséquent, créer un village, les
parents de la fiancée acceptèrent le principe
envisagé.»195
Cette illustration du Pasteur OGOULA-M'BEYE nous invite
seulement à comprendre que même si dans cette
société traditionnelle, le choix du conjoint est du ressort
exclusif de la famille, il y avait tout de même des exceptions ou des
faits accomplis qui attestaient un tout petit peu de poches de
résistance devant le monopôle des parents.
A cet effet, en nous référant à nos
divers entretiens196, il ressort que le choix du conjoint n'est plus
une affaire où les parents sont impliqués en premier,
particulièrement dans le choix de la bru, c'est plutôt devenu un
choix libre, qui engage d'abord les enfants eux-mêmes. Considérons
par exemple le cas de madame A.M.S. A la question de savoir qui a choisi votre
belle-fille, elle nous a répondu en disant que c'est son fils «
lui-même, il a amené sa copine chez moi.
»197 Ou encore le cas de madame E.T, à qui la
même question lui a été posée, et pour qui c'est
aussi son fils « lui-même. Nous avons seulement fait les
présentations qui étaient comme le mariage »198 nous
a-t-elle confié. Pour madame M.D ; selon elle, se sont ses 3 fils «
qui sont venus eux-mêmes nous présentés leurs femmes.
On a accepté. »199
194 Ibid., p.204.
195 Pasteur OGOULA-M'BEYE, op.cit., p.86.
196 Entretiens obtenus avec des brus et des
belles-mères.
197 Propos de madame A.M.S, mariée à la fois
à la coutume et à l'état-civil, âgée de 63
ans, Fang( Estuaire), institutrice retraitée, avec 8 enfants.
198 Propos de madame E.T, âgée de 63 ans, Fang,
retraitée, avec 7 enfants.
199 Propos de madame M.D, 78 ans, Massango, sans profession,
veuve avec 8 enfants dont 3 belles-filles.
Ce qu'il faut retenir ici c'est que ces trois exemples
confirment le fait que le choix du conjoint est bien devenu une affaire
individuelle, surtout dans une formation sociale gabonaise en proie à
des mutations découlant de la décolonisation et de ses nouvelles
valeurs.
En fin de compte, ce qu'il faut retenir ici c'est que «
les jeunes sont donc libres du choix de leur conjoint, en ce sens au moins
qu'ils savent désormais que leurs parents n'interviendront
généralement qu'avec prudence : le souci de respecter le choix
personnel de leur enfant et aussi parfois la conscience qu'une opposition
résolue n'aurait d'autre conséquence qu'une brouille temporaire
avec le jeune ménage. »200 Nous partageons ce point de
vue de Louis ROUSSEL.
De même qu'en filigrane, même si avec la
société traditionnelle l'on peut reconnaître et admettre
aux parents le droit et pourquoi pas le devoir de choisir un conjoint pour
leurs enfants, avec la colonisation et ses nouvelles valeurs (l'école et
la scolarisation des jeunes filles par exemple), « les jeunes gens
choisissent eux-mêmes leurs conjoint, le rôle des parents se
limitant à émettre un avis consultatif sur la personne qui leur
est présentée et à légaliser l'union. On peut
d'ailleurs penser que l'autonomie de la femme dans le choix du conjoint est en
progrès dans les sociétés où elle n'était
pas traditionnellement établie, principalement sous l'effet de la
scolarisation.»201
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