Chapitre II : L'impact de la période coloniale
sur la société gabonaise.
Avec l'irruption du mode de production capitaliste, et
partant, de l'implantation de l'administration coloniale au Gabon et ses
corollaires ; il s'agit en fait de la désagrégation du mode de
production lignager ; mieux, il s'agit d'un "traumatisme colonial". En effet,
comme l'écrit l'historienne Florence BERNAULT173 ; à
travers la colonisation et surtout l'institution des nouvelles valeurs
occidentales (école, église, salariat, état-civil, etc.)
ce qui a changé, « c'est la conscience d'une immense fragilisation
de la reproduction lignagère et familiale »174 au
Gabon.
Aussi, ce chapitre nous permettra de nous rendre compte, autant
que faire ce peu, de l'impact de la période coloniale sur le mariage
dans la société gabonaise.
173 Florence BERNAULT, Economie de la mort et
reproduction sociale au Gabon, in Mama Africa :Hommage à Catherine
COQUERY-VIDROVITCH, edited by Odile G2 ( 5 * LIt IWIN:III) $ 1 ' (
,I3EUVIT1-F apLIWQMILLEL, E 12 p.
174 Ibid., p.8.
Section 1 : Instrumentalisation des valeurs
occidentales.
Par "valeurs occidentales", nous entendons ici l'école,
le catholicisme, le salariat, mais surtout, la célébration des
mariages à l'église et devant l'administration coloniale en place
au Gabon.
1. L'école, le travail salarié et
l'Eglise.
Considérons d'abord l'exemple de l'école ; pour
tenter de montrer son rôle dans les changements intervenus au Gabon. En
effet, que l'administration ait été directe (Belgique, France,
Portugal) ou indirecte (Angleterre), il faut dire que l'école a
été introduite pour former ses auxiliaires ainsi que ceux de la
religion et du commerce. Dans un premier temps, elle s'est adressée aux
chefs coutumiers sur lesquels le pouvoir entendait s'appuyer. Cependant, au
début, ces derniers étaient peu motivés car ils y
percevaient là une attaque contre leurs traditions, leurs moeurs, leurs
coutumes. Aussi envoyèrent-ils les fils de leurs dépendants tout
comme ils les envoyèrent aux chantiers, aux plantations, à
l'armée. D'où, s'est amorcée la transformation de la
société traditionnelle par l'émancipation des esclaves
qui, grace à la scolarisation et le salariat, ont obtenu souvent une
position économique supérieure à celle de leurs anciens
maîtres. Ceux-ci se rendront compte alors assez vite de
l'intérêt que présentait l'école pour le maintien et
l'extension de leur influence.
En définitive, ils changèrent leur attitude en y
envoyant désormais leurs propres enfants.175 Ce qui fait que
va se constituer une couche moyenne intermédiaire entre les blancs et la
masse de la population : ce sont "les évolués" ; dont
l'administration coloniale veillera à en limiter le nombre, de peur
d'être débordée. Dans le même ordre d'idée, le
travail salarié a permis également une mutation de l'organisation
sociale gabonaise. Ici, il s'agit de l'introduction de l'argent en
échange
d'un travail manuel intense à réaliser dans les
chantiers ou les plantations. Car l'administration coloniale avait pour souci
de mieux s'implanter et pour se faire, avait besoin d'une main d'oeuvre
abondante et bon marché pour batir les infrastructures (routes, ponts,
écoles, dispensaires...)
Pour rester dans cette perspective du salariat, il faut dire
que le choix du conjoint est « de plus en plus libre et les conjoints
s'ils se marient n'attendent plus le concours de l'ensemble de la famille. Car
par le passé, les rites contribuaient eux aussi à la promotion de
la vie, du mariage et des naissances. »176
En outre, le rôle de l'Eglise dans cette
société traditionnelle lignagère n'est pas en reste. On
peut par exemple s'appuyer sur le roman de Chinua ACHEBE "Le monde
s'effondre" pour voir l'impact des missionnaires dans le village Ibo au
Nigeria et où cette société traditionnelle va être
bouleversée. Pour le personnage principal du roman (Okonkwo), le monde
s'effondre parce qu'il s'agit de la profanation de la foret sacrée et
interdite, forêt des ancêtres, des génies protecteurs du
village par les missionnaires blancs. De plus, les enfants vont être vite
convertis au christianisme.
Au Gabon, la situation a été a priori similaire
; puisque quand l'école apparaît, elle sert à former les
dirigeants religieux et civils ainsi que les scribes destinés à
les seconder dans l'administration politique et économique. L'exemple de
l'Eglise catholique177 qui, pendant deux siècles, a
exercé un quasi monopôle sur l'éducation des jeunes
gabonais. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'avec l'Eglise, il s'agit de la
criminalisation des coutumes gabonaises, avec l'aide de l'administration
coloniale comme l'écrit Florence BERNAULT. Parmi ces coutumes, il y a la
prohibition du mariage coutumier et l'exigence de la dot, qualifiée
d'achat de la femme.
176 Steeve Thierry BALONDJI, Les
conjugalités de faits en milieu ouvrier au Gabon, op.cit.,
p.28.
177 On peut mentionner par exemple l'action du pqre
BESSIEUX, qui débarqua au Gabon dans les années 1843 ; fondateur
du coll~ge qui porte son nom. Comme aussi la création des coll~ges
catholiques à l'intérieur du pays ; Val Marie de Mouila, Sainte
Marie, Immaculée Conception, Quaben à Libreville, etc. Sans
oublier la présence de l'Eglise protestante à
Lambaréné, avec la Mission Protestante de Ngomo n'Oronga, qui a
participé à la formation de certains cadres actuels du pays.
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