Chapitre II : Les reliques comme symbole
d'autorité et de pouvoir
Ce chapitre tente de montrer le traitement
réservé aux reliques et surtout mettre en lumière le
rôle qu'ils jouent dans la société gabonaise
traditionnelle.
Section 1 : L'utilisation des reliques des
défunts rois et chefs de clan
Les reliques des défunts rois ou celles des chefs de
familles ou de clan demeurent fondamentales, indispensables dans le culte des
ancêtres. Car ces reliques sont considérées par le clan, la
famille comme des symboles d'autorité et de pouvoir. Le chef
défunt ou le roi est un homme doté du charisme152 et
qui détient ce pouvoir extraordinaire que lui reconnaît la
communauté. De plus, « le chef de clan est aussi chef de village
dans la mesure où sa résidence est la même que celle des
membres de son clan ».153 Il est donc à la tête du
clan et a pour mission « d'entretenir le culte des ancêtres au nom
du clan [...] Le culte manique est donc la principale obligation et, à
notre sens, l'une des raisons d'être du chef ».154
Et pour bien exercer son autorité, le chef actuel
hérite de son prédécesseur lors de son intronisation des
biens de fonction, destinés au culte des ancêtres qu'il a la
charge d'organiser : « ce sont les crânes des ancêtres,
alumbi, conservés dans un reliquaire cylindrique en
écorce, facilement maniable ».155
152 Raymond BOUDON et François BOURRICAUD,
op.cit., p.77.
153 François GAULME, Le pays de Cama. Un ancien Etat
côtier du Gabon et ses origines. Préface de Jean PING, Paris,
Karthala, 1981, p.213.
154 Ibid., pp.213-214.
155 Ibid., p.214.
Comme nous l'avons signalé précédemment,
ce ne sont pas les ossements de n'importe quel individu, plutôt ceux
« prélevés d'une part, sur des femmes fondatrices de clan et
de sous-clan, d'autre part sur les chefs précédents
».156 Par ailleurs, on peut ajouter d'autres
éléments ou objets qui sont considérés comme
reliques et servent le chef ou le roi dans l'exercice de ses fonctions. On peut
citer par exemple le cas de « la clochette à manche de fer, nkendo,
que du CHAILLU appelle le sceptre royal chez quelques unes des tribus de
l'Afrique centrale, est un instrument dont le rôle est inséparable
de celui de la boîte à reliques. Le chef s'en sert pour
communiquer avec ses ancêtres, le matin au petit jour en particulier,
lors des grandes occasions comme un mariage ou un voyage et il est alors le
signal de l'arrivée du chef ».157
L'entretien du culte des ancêtres permet ainsi à
celui qui officie la cérémonie, en l'occurrence le chef ou le
roi, d'asseoir son autorité et son pouvoir. En ce sens qu'il exerce la
domination symbolique au sens bourdieusien, dans le double mouvement de la
reconnaissance (dans l'adhésion du dominé à l'ordre
dominant qui lui parait légitime, « normal », « naturel
») et de la méconnaissance (dans l'ignorance qu'il s'agit d'une
domination arbitraire, « non nécessaire », « non
naturelle »). Les fonctions du chef de clan sont de protéger ceux
qu'il gouverne, en dehors de l'entretien du culte des ancêtres. «
Cette protection s'exerce d'abord d'une manière matérielle : si
le chef possède des richesses, et reçoit un pourcentage sur le
commerce qui se fait sur son territoire, il se doit de les redistribuer aux
membres de son clan ».158 Puis, par le culte des ancêtres
qu'il a la charge de présider, il protège moralement les siens ;
car il peut devenir juge pour toutes les affaires criminelles qui ont lieu
à l'intérieur du clan ; et pouvant se faire assister de l'oganga,
ministre du culte des esprits et guérisseur.
L'importance du jugement du chef dans les accusations de
sorcellerie est liée à la croyance en ses dons surnaturels de
double vue, que lui confère les reliques des ancêtres qu'il
détient. Pour ce qui est du
156 François GAULME, Le pays de Cama. Un ancien Etat
côtier du Gabon et ses origines, ibid., p.214.
157 Ibid., p.214.
158 Ibid., p.215.
conseil du chef, il y a lieu ici de dire que « le conseil
du chef est une institution qui est destinée à tenir compte de la
morphologie du clan, et de ménager en quelque sorte des gens sur
lesquels s'exercent des forces surnaturelles, des détenteurs de reliques
et de futures mères-fondatrices ».159
En fin de compte, « la fonction de chef de clan implique
aussi une éducation, une connaissance du culte des ancêtres en
particulier »160, car les successeurs étaient
désignés à l'avance et donc connus de tous, d'où
une socialisation stricte dans le milieu de la chefferie et des reliques et une
connaissance parfaite du rôle du culte des ancêtres pour l'assise
spirituelle du pouvoir et de l'autorité. « Quand meurt le chef de
famille, son fils aîné maintes cérémonies [...]
détache soigneusement le crâne du mort, et le place ensuite dans
la boîte d'écorce où, barbouillé de rouge, il va
rejoindre les aïeux et attendre son successeur ».161
Grosso modo, il apparaît bien clair que « dans
cette société lignagère, le culte des ancêtres
constitue le support du pouvoir »162 et que « le chef de
clan ou de lignage est le pont de jonction entre le clan (ou le lignage)
actuel, constitué par les vivants, et le clan (ou lignage)
idéalisé, porteur des valeurs ultimes, symbolisé par la
totalité des ancêtres aux vivants, celle des vivants aux
ancêtres ».163 Les reliques utilisées permettent
d'acquérir l'autorité et de l'asseoir pour veiller sur le clan et
demander richesse et protection des ancêtres pour ses membres.
159 François GAULME, Le pays de Cama. Un ancien Etat
côtier du Gabon et ses origines, ibid., p.216.
160 Ibid., p.217.
161 Annie MERLET, Le pays de trois estuaires (1471-1900).
Quatre siècles de relations extérieures dans les trois estuaires
du Muni, de la Mondah et du Gabon, Libreville, CCF St
Exupéry/Sépia, (coll. « Découvertes du Gabon
»), 1990, p.283.
162 Georges BALANDIER, op.cit., p.137.
163 Ibid., p.118.
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