A-3- dépistages de la prostitution des enfants
3-1. Secteur où s'exerce la prostitution des
enfants.
On s'est heurté, lors de notre enquête, au
principal problème qui se pose lorsque l'on aborde la prostitution en
général, et celle des enfants en particulier, à savoir
l'absence des données et des statistiques fiables. En outre, le droit
algérien fait problème en ce qui concerne la définition de
l'enfant. La majorité est prévue à l'article premier de la
convention des droits de l'enfant du 20.11.1989, qui fixe la règle et
apporté l'exception. Cet article stipule : « au sens de la
présente convention, un enfant s'entend de tout être humain
âgé de moins de 18 ans, sauf si la majorité est atteint
plutôt en vertu de la législation qui lui est applicable
».
En effet à la lecture de notre législation, on
se retrouve devant une multitude de majorités qui déroute
l'enfant, et qui crée en son « statut » une
divisibilité contraire à la lettre et à l'esprit de la
convention. D'après les juristes, l'article 40 du code de la famille
fixe la majorité à 21 ans, pour le garçon et à 18
ans pour la femme pour contracter mariage. Le code de la nationalité
à 21 ans.
Ce qui est surtout surprenant, c'est le fait que le code
électoral fixe la majorité à 18 ans, c'est à dire
qu'à cet âge, un individu engage l'avenir de la nation par le
choix de ses représentants alors qu'au même âge, il ne peut
disposer d'un bien aussi minime soit-il, que par l'intervention de son tuteur.
On peut certes évoquer la volonté du législateur pour
comprendre l'origine de ses différentes majorités. Mais sur quoi
repose cette volonté ? Quel est son fondement ?
Nous ne pouvons répondre à ces questions.
Néanmoins, nous pouvons dire que la convention des droits de l'enfant
est le fruit d'une coopération étroite entre le
législateur et les différents spécialistes en sciences
humaines et sociales. Et, qu'il serait judicieux de s'aligner sur la convention
plutôt que d'invoquer des arguments d'ordre politiques ou religieux.
Nous n'avons remarqué sans restriction aucune que le
nombre d'enfants impliqués dans la prostitution, surtout les petites
filles, est monté en flèche. Cette situation, avec son
cortège de conséquences désastreuses (absentéisme
et décrochage scolaires précoce, petite et grande
délinquance, banditisme, drogue, rupture des liens avec la famille et
grossesses prématurées) créé des problèmes
d'ordre sanitaire et social.
La prostitution est devenue conventionnellement, un moyen
acceptable de gagner sa vie, et à cette vitesse, on arriverait peut
être à l'institutionnaliser. Elle touche des enfants, dont le
niveau social est inférieur à la norme, (09 millions de personnes
selon CNES). Cette catégorie est de plus en plus marginalisée par
les pouvoirs publics, L'autre catégorie, et là nous ne risquons
pas de tomber dans l'erreur, est en train de s'engloutir dans la
pauvreté caractérisée. Le danger nous guette et
l'explosion sociale pourrait avoir lieu à tout moment.
Il est intéressant de noter aussi que la
majorité des politiciens prétendent que la prostitution des
enfants ne revêt qu'un caractère marginal. Or l'enquête
confirme que les enfants entre 12-18 ans sont impliqués dans ce type de
fléau. Certes, la prostitution ne s'accroît pas au même
rythme dans les divers régions du pays, celles qui posent
problèmes, sont les régions que nous avons sillonnées.
Alger, Bejaia, Constantine, Annaba, Guelma, Sétif, et Tamanrasset.
La prostitution des enfants devra être
considéré comme un problème grave dans ces régions,
et il en va de même dans les zones frontalières, surtout parmi les
populations de l'extrême Sud.
Dans le constantinois, les prostituées mineures
racolent le long de la nationale Constantine-Alger vers le Sud, Constantine
Annaba vers l'Est, et Constantine-Alger vers le Nord. A l'intérieur de
la ville, la prostitution est concentrée dans la zone de loisir de
Djebel Ouahch, et les pizzerias de la ville.
On a rencontré deux filles de moins de 16 ans, La
mère de ces deux filles, rencontrées les avait emmené sur
la route pour les obliger à se prostituer. L'argent ainsi gagné
lui servirait - d'après ses filles - à acheter de la drogue. Elle
se droguerait en présence de ses filles.
Questionnés, les usagés de ces routes
déclarent, qu'il y a un boom de la prostitution des enfants, surtout les
filles, dans la ville de Constantine qui s'est ensuite propagé à
l'Est vers Annaba, Skikda, Guelma, vers le nord Sétif, Bougie, vers le
Sud Batna (...) En somme la ramification de ce fléau prend des
proportions énormes, inquiétantes et, dangereuses. Le principal
problème que pose ce cercle fermé (prostitués et leurs
souteneurs) est son manque de coopération quant aux conseils qu'on
pourrait lui donner sur les dangers qu'encourent les enfants. Malheureusement,
ce cercle fermé ne croit en rien. L'augmentation des adeptes de ce
cercle nous laisse perplexe, avec la liberté des mass medias, ils sont
au courant de tout, rien ne leur échappe, ils sont conscients des
risques et des dangers qu'ils encourent. Ils sont insensibles aux discours,
qu'ils qualifient de démagogiques, ils croient en une seule chose :
le concret.
Effectivement, que pourrait-on répondre à cette
fille qui nous développe, cette argumentation : « Mon père,
après tant d'années de services loyaux, se trouve actuellement
sans travail, marginalisé, exclu sans ressources aucunes. Il n'ose plus
me regarder en face. Sa dignité est bafouée,
piétinée, par cette fille qui se prostitue, C'est normal, il
aimerait me voir bien habiller, fréquentant l'université, mais
(...). Ma mère, au foyer, des frangins, tous au chômage, je n'ai
aucune qualification. Malheureusement, le seul moyen de gagner ma vie est de
vendre mon corps au plus offrant ». Sans commentaire ! ...
En général, ces filles souffrent
déjà de toxicomanie et de solitude. Un autre sujet de
préoccupation est l'absentéisme scolaire qui touche de plus en
plus ces couches vulnérables. Les marchands du secteur, pour la plupart
des repris de justice, engagent des jeunes filles pour s'occuper du recrutement
de leurs paires, pour les versées ensuite dans la prostitution.
L'Etat ne fait pas preuve d'une grande vigilance en ce qui
concerne les enfants de moins de 18 ans et, surtout nous déplorons
l'absence des services d'aide sociales qui devront descendre sur terrain et se
rapprocher de ces enfants, ne serait- ce que pour un soutien moral, ou une
visite médicale afin de prévenir des maladies sexuellement
transmissibles.
La plupart des filles impliquées dans la prostitution
ont, entre 15 et 18 ans, encore que l'ont ait vu apparaître des filles de
moins de 15 ans. La plupart de ces filles se sont enfuies des centres de
rééducations. Dans la plupart des cas, elles se prostituent pour
gagner de l'argent ou pour trouver à se loger,
généralement, chez leur souteneurs, ou les femmes adultes
prostituées, ayant des appartements, qui leur servent de maisons closes,
et où elles peuvent recevoir, sans aucune inquiétude les quelques
personnalités locales, où même nationales, pour abuser des
petites filles de moins de 18 ans. Ces prostituées professionnelles, en
collaboration étroite avec les souteneurs, qui représentent
actuellement, « un certain danger », par les
pressions qu'ils exercent notamment sur certains responsables et à ce
titre, ils peuvent être tenu pour responsables de la catastrophe que vit
actuellement l'Algérie d'aujourd'hui. Pour ce qui est des pouvoirs
publics, on pourrait avancer que leur complicité est devenue
évidente. Les endroits, où opèrent ces prostituées
professionnelles et leurs souteneurs sont connus par tout le monde. Mais la
question, qu'on se pose est : où est l'Etat ?
Depuis 1995, on constate un essor prodigieux d'hôtels de
luxe, où la prostitution fleurit légalement, or il est
illégal pour les filles de moins de 18 ans de travailler dans de tels
endroits. Par ailleurs, ces hôtels luxueux sont des territoires
réservés aux professionnelles, aux souteneurs et leurs clients
fortunés. Les souteneurs de seconde zone n'ont pas trouvé mieux
que d'envahir les lieux légaux (Pizzeria, Bar, restaurant) et où
on remarque l'absence totale de l'Etat.
L'emploi des jeunes filles de 15 à 18 ans est
formellement interdit par la loi, et tombe sous le coup des dispositions du
code pénal qui incrimine les activités mettant en danger le
développement moral des jeunes. Or on relève qu'un grand nombre
d'enfants, surtout les filles y travaillent, non seulement comme serveuses mais
aussi comme prostituées.
Les jeunes, fréquentant ces endroits, sont unanimes
quant à la question : N'avez-vous pas peur de la police ? La
réponse est négative : « non la police ne s'intéresse
pas à ces endroits, vu leurs caractères légaux ».
Chaque endroit, selon leurs dires, bénéficie d'une protection et
de couverture. Nous avons essayé de comprendre la portée de leurs
propos, mais on s'est rendu compte que même ces jeunes n'en savent pas
plus.
En ce qui nous concerne, nous prenons ces propos pour une
stratégie, une forme de propagande développée par les
souteneurs afin de mettre en confiance ces jeunes filles mineures qui se
donnent à coeur de joie à la boisson alcoolisée et
à la cigarette (...) ou ils faudra prendre leurs propos, pour une
vérité, dans la mesure ou ils n'ont jamais été
inquiétés. La réponse exacte pourrait se trouver chez les
pouvoirs publics. Car s'aventurer à vérifier ces deux
hypothèses revient à se condamner à des
représailles.
L'Etat devra prendre ce problème au sérieux. Les
filles de moins de 18 ans prises entrain de travailler dans ces endroits,
devront être ramenées dans leurs familles qui sont civilement
responsables, ou dans des centres de rééducations, mais avec
instruction ferme de les accepter. Quant aux responsables de l'implication de
ces enfants dans la prostitution, ils doivent être poursuivis.
3-2. Prostitution des garçons.
Dans la rue, des centaines et des centaines de garçons
se prostituent comme à Constantine par exemple au niveau de la route de
Sétif. La plupart de ces garçons ne sont pas forcément
homosexuel. Ce sont en majorité des garçons de 15-20 ans qui se
sont enfuis de chez eux et sont venus des villages avoisinants dans la
perspective de gagner de l'argent facilement. Ils n'ont été
poussés à la prostitution que par la pauvreté.
Les témoignages des garçons confirment que la
prostitution des garçons est bel et bien établie. La
majorité d'entre eux a 16 ans, tous sont hétérosexuels et
ils sont pour la plupart issus de familles dysfonctionnelles. Il s'agit soit de
fugueurs, soit d'enfants rejetés par l'école, ou par les parents.
La plupart d'entre eux travaillent en ville.
Tous les garçons ont dit qu'ils avaient peur de la
maladie et de la solitude. Certains avaient peur du SIDA. Pour ce qui est des
préservatifs, les enfants ont déclaré que les clients
n'acceptaient pas de les utiliser, le refus est catégorique, quitte
à payer plus. En plus, ils nous ont déclaré que la
pédophilie existe surtout dans l'extrême Sud du pays.
Un petit nombre de garçons a déclaré ne
pas avoir peur du SIDA, Mais par contre, beaucoup d'entre eux affirment que
cette maladie existe, surtout à Tamanrasset, où ils auraient vu
des garçons mourir d'une mort suspecte.
La préoccupation croissante que suscite la
dépendance à l'égard du jeu semble tout à fait
justifiée. Car l'enquête établit également que la
plupart de ces garçons ont un grand besoin d'argent, non pas pour
survivre, mais plutôt pour assouvir leur passion du jeu.
L'augmentation de la prostitution des garçons, tout
particulièrement dans les grandes agglomérations, nous a
été signalée par notre échantillon. Cela est
dû, selon nous, à ces dix années de guerre, où
l'Etat s'est mobilisé à éradiquer le terrorisme,
reléguant ainsi le social et le culturel au second plan, ce qui aura
provoqué l'augmentation des problèmes sociaux, dont la
prostitution de plus en plus croissante d'enfants mineurs. Ce que nous
remarquons aussi, c'est que malgré cette marginalisation apparente,
jamais le social n'a été au coeur des débats politiques
comme cette année 2000.
En ce qui concerne la toxicomanie, dans notre enquête,
on note que le lien entre toxicomanie et prostitution n'est pas bien
établi. Il semble que les toxicomanes préfèrent voler de
l'argent ou fabriquer leurs propres stupéfiants plutôt que de se
livrer à la prostitution. En outre les souteneurs n'acceptent pas les
prostitués toxicomanes parce qu'elles leur coûtent plus
chères. En revanche, notre inquiétude est très grande,
quant à la pauvreté, qui commence à devenir un facteur
influent. La corrélation entre la pauvreté et la prostitution
ressort clairement chez l'échantillon sur lequel on a travaillé,
surtout chez les jeunes filles attirées par les habits de luxe qu'on
expose dans les vitrines et qui se trouvent tentées à rêver
qu'un jour elles pourront porter ces effets, cette paire de souliers ou encore
ce beau manteau dont le prix est souvent exorbitant. Pas moins de 10.000 dinars
l'article. Or il se trouve que toute la famille réunie n'arrive pas
à faire 10.000 dinars par
mois, dont 60% va pour la nourriture. Alors, faisant les
comptes et voyons sérieusement et en toute objectivité autour de
nous. Ces jeunes filles, toutes habillées « made in », alors
que la majorité des familles ne boucle pas la fin du mois. Je vous
laisse tirer vos conclusions ! (...)
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