La défense des intérêts américains en Iran par le discours idéaliste, de 1945 à 1954( Télécharger le fichier original )par Mickaël, Milad Jokar Université Caen Basse Normandie - Master 2011 |
b) La stratégie discursive idéaliste et la fin de l`isolationnisme américainLe discours idéaliste du prédécesseur de Truman -- Franklin D. Roosevelt -- avait eu un impact, d`une part, pour persuader l`opinion publique et ses représentants de sortir l`Amérique de son non-interventionnisme afin de s`engager dans le conflit mondial et, d`autre part, pour faire voter la loi sur le Prêt-Bail (Lend Lease Act). Enfin, il a contribué à mobilisation de l`économie américaine selon les termes du Program Victory. 81 L`interventionnisme fédéral était assez mal perçu aux États-Unis82 et la rhétorique de Roosevelt avait encouragé l`opinion publique américaine ainsi que le Congrès d`accepter des réformes importantes (notamment lors du New Deal mais également des réformes en ce qui concerne les affaires étrangères). La présidence de Franklin Roosevelt a donc donné une nouvelle dimension dans les relations existantes entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Cette dimension a été favorable à Truman pour mettre en place sa doctrine de manière générale et, dans sa gestion de la situation en Iran. Lors de la guerre, le président démocrate envisageait d`augmenter les efforts américains pour apporter du soutien à l`Iran afin de l`aider à construire un « gouvernement 80 Patrick Charaudeau explique que « décrire les imaginaires, c`est contribuer à construire des Epistèmes, ces « grilles d`intelligibilité du champ social » dont parlait M. Foucault ». (L`auteur cite Foucault, La volonté de savoir, (Gallimard, Paris, 1976) p.122). A noter que ces imaginaires sociodiscursifs ayant été massivement repris par la presse, le vocabulaire exprimant la représentation américaine de la Guerre froide et de « la menace communiste dans le monde libre » a circulé très rapidement à travers le peuple américain et même au-delà. 81 La loi Prêt-Bail (Lend Lease Act) fut votée le 11 mars 1941 et elle permettait aux États-Unis d`approvisionner massivement la Grande-Bretagne, l`Union Soviétique, la France, la Chine et d`autres alliés. Le Victory Program est la politique d`économie de guerre lancée par Roosevelt lors de son discours de l`état de l`Union du 6 janvier 1942 (soit un mois après les attaques de Pearl Harbor et cinq jours après que la déclaration de solidarité n`eut été signée à Washington par 26 nations unies contre l`Axe). Voir le discours de l`état de l`Union du 6 janvier 1942 sur http://www.presidency.ucsb.edu/ws/index.php?pid=16253&st=&st1= (6 juin 2011) 82 La présidence de Franklin D. Roosevelt marqua la sortie des États-Unis de son traditionnel noninterventionnisme. En effet, à partir des attaques de Pearl Harbor une rupture s`est créée avec l`idéologie politique exprimée dans le célèbre discours d`adieu de George Washington en 1797 dans lequel il énonçait sa théorie de « non-engagement » (non-entanglement). Cette attitude américaine de « non-engagement » fut reprise par Thomas Jefferson puis par James Monroe avec sa « doctrine » de 1823. Le 6 janvier 1941, Roosevelt déclarait dans son discours sur l`état de l`Union (entièrement dédié à la politique étrangère) que les États-Unis ne pouvaient pas se contenter de « rester derrière une ancienne muraille de Chine » alors que le reste de la civilisation était en péril. démocratique » basé sur un « système de libre échange ».83 De manière plus générale, la rhétorique présidentielle n`a pas à elle seule sorti les États-Unis de leur isolationnisme mais c`est un outil qui y a contribué. En effet, la communication entre le pouvoir exécutif, législatif et le peuple est nécessaire puisque, d`une part, elle établit une confiance et, d`autre part, une grande majorité des américains attache une importance particulière à leurs valeurs. L`intervention américaine dans le conflit mondial d`après guerre a donc été facilitée par la présentation des événements et des valeurs. Ceci a permis à l`administration Truman de mettre en place sa politique étrangère. Par ailleurs, la solution apportée par la doctrine Truman -- qui consistait à adopter une politique interventionniste pour contrer le communisme et laisser place à une politique libérale mondiale -- avait déjà était envisagée par Roosevelt et, Washington rejoignait publiquement la Grande-Bretagne contre l`Union Soviétique en Iran. Bien que l`entente entre les États-Unis et l`Iran ft solide et que les compagnies américaines eussent pris le dessus face aux compagnies soviétiques et britanniques concernant l`obtention d`une concession pétrolière, le gouvernement iranien refusa toute concession.84 La stratégie d`intervention américaine en Iran -- qui se situe à des milliers de kilomètres et qui est inconnu pour une grande majorité des américains -- était d`inclure ce pays par le biais de la stratégie discursive idéaliste dans une politique de soutien économique dédiée à l`ensemble du Moyen-Orient. Afin de faciliter la compréhension et l`identification de l`espace ontologique dans lequel les États-Unis voulaient s`engager, l`Iran était essentialisé dans la formule « peuples libres » ; formule qui singularise (encore aujourd`hui) l`ensemble des espaces où les États-Unis avaient des intérêts à défendre. c) Discours idéaliste américain et soutien économique et militaire à l`Iran Le soutien de Washington apporté à l`Iran offrait au Shah l`occasion de devenir pour la première fois le commandant-en-chef de l`armée iranienne et lui permettait ainsi d`avoir le contrôle des provinces séparatistes d`Azerbaïdjan et du Kurdistan en octobre 1946.85 83 Peter Avery, Gavin Hambly and Charles Melville, op. cit., p.437. Le Shah venait d`être mis en place après l`abdication de son père qui subissait les pressions anglo-soviétiques car il refusait l`occupation de l`Iran par ces derniers. 84 Ibid. 85 Ibid. p.439 L`auteur explique également : the U.S. increased its military and economic aid to the Tehran government, while American police and military missions became active in reorganizing and equipping the Iranian security and military forces.? L`aide américaine se faisait sous forme d`assistance militaire et économique au gouvernement iranien. Celle-ci lui permettait de sécuriser sa souveraineté et son indépendance vis-à-vis de l`Union Soviétique qui apportait son soutien au régime autonome d`Azerbaïdjan -- dirigé par le parti Tudeh. Après le retrait des troupes soviétiques, l`Iran avait mis en place un programme de développement économique et pour cela, il lui fallait un investisseur pour financer son projet. L`Iran avait fait appel aux États-Unis pour, dans un premier temps, soumettre un rapport sur le développement économique en Iran. Comme les banques américaines ne répondaient pas favorablement à la demande du programme (car l`opération présentait certains risques), Overseas Consultants Inc. établit une étude économique complète en 1948-9.86 Cette étude prévoyait un programme de développement que l`Iran financerait grace aux redevances de l`Anglo-Iranian Oil Company.87 Cette aide pouvait permettre à l`Iran de se développer en faisant face aux nombreux problèmes de santé, de pauvreté et d`éducation dans le pays88 et elle permettait aux États-Unis de protéger leurs intérêts car ce qui importait en période de Guerre froide, c`était que l`Iran (comme tout autre pays) soit un modèle de stabilité, un fournisseur sûr de matières premières, un importateur de biens occidentaux, un allié solide, et enfin, un rempart contre le communisme. Pour faire en sorte qu`un tel programme de développement soit accepté, il était important de bien présenter les idées car « l`opération de la World Bank était limitée par la réticence du marché new-yorkais à prêter à l`étranger »89. L`assistance a pu avoir lieu grace à l`Export-Import Bank of the United States (US Ex-Im Bank) qui annonça en octobre 1950 un prêt à l`Iran. L`aide américaine délivrée à l`Iran fut bien plus importante lors du second mandat du président Truman.90 Ce mandat fut introduit par un discours d`inauguration qui se différencie des autres présidents américains puisqu`il traitait uniquement de la politique étrangère américaine.91 Les prêts américains à l`Iran avaient affiché une hausse croissante après ce discours, ce qui montre que le discours idéaliste établit une confiance concernant les transactions financières. 86 Rouhollah K. Ramazani, op. cit., p.155. 87 Auteur inconnu, Foreign Development: a Plan for the King of Kings?, Time Magazine (24 Octobre 1949), p.1/2. http://www.time.com/time/magazine/article/0,9171,805172,00.html WEB. 15 juin 2011. 88 Ibid. 89 Frances Bostock, Geoffrey Jones, Planning and Power :Ebtehaj and Economic Development under the Shah, (Exeter, A Wheaton & Co. Ltd, 1989) p.94. Rouhollah K. Ramazani, op. cit., p.155. 90 Department of State, American Foreign Policy, Basic Documents, 1950-1955, Volume II, (New York, Arno Press, 1971), en document annexe du livre - Grant Loan Funds Authorized and Appropriated for Major Foreign Aid Program of the United States, 1945-1956 91 Voir chapitre sur le Programme Point IV. La défense de l`intérêt national américain a donc été étayée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par le discours idéaliste qui mettait en avant la paix, la démocratie et le développement dans le monde par le biais du renforcement et de l`expansion du système économique et financier américain. La défense de l`intérêt national des États-Unis en Iran s`est faite par la préservation du régime iranien afin qu`il ne sombre pas dans ce que le discours idéaliste appelait « la terreur et le totalitarisme du communisme ». Par ailleurs, la cohérence discursive92 idéaliste américaine était à l`époque facilitée par le Maccarthysme qui régnait aux États-Unis et gagnait facilement l`accord de l`opinion publique et du Congrès (surtout après le passage du Legislative Reorganization Act ou du Congressional Reorganization Act de 1946 qui avait pour effet de réduire, bien que peu encore à cette époque, le pouvoir de la branche exécutive). Cette cohérence discursive créa une doxologie dichotomique (opposition entre « le communisme » et « le monde libre ») qui garantissait l`accord d`assistance économique, technique et militaire à un Iran membre des nations du « monde libre » et du système économique du libre échange. Cette assistance renforçait d`une part, la stabilité de l`Iran et d`autre part, elle en faisait un rempart contre l`URSS -- rempart important comme le mentionne le rapport du conseil national de sécurité sur la situation en Iran qui indique les enjeux géostratégiques pour la défense pragmatique de ses intérêts. Enfin, cette rhétorique présidentielle a augmenté la possibilité d`apporter un soutien à ce pays géographiquement éloigné des États-Unis. Ceci montre que la stratégie discursive est un outil contribuant à défendre les intérêts américains même dans un pays peu connu de l`auditeur américain et, pour ce cas spécifique, l`orateur (Truman) utilise le processus rhétorique de simplification afin de persuader les personnes adressées. Truman, par le biais de la construction des imaginaires sociodiscursifs, singularise l`espace et inclut l`Iran dans l`entité « monde libre » ou « peuples libres ». Or, le rapport de la CIG sur la situation en Iran expose uniquement des intérêts géostratégiques, ce qui démontre l`apport du discours idéaliste pour la défense des intérêts américains dans ce que plusieurs auteurs, dont David Harvey, appellent une « nouvelle forme d`impérialisme »93. 92 Edward Said dit à propos de la cohérence discursive : « Les représentations de l`orientalisme dans la culture européenne reviennent à ce que nous pouvons appeler une cohérence discursive, qui a non seulement pour elle l`histoire, mais une présence matérielle (et institutionnelle). [...] Cette cohérence est une forme de praxis culturelle, un système d`occasion d`affirmer des choses sur l`Orient. Edward Said, L'orientalisme, l'Orient crée par l'Occident, (Lonrai, Seuil, 1997), p.305 Une parallèle peut se faire entre ce que dit Saïd et les représentations mis en avant par les États-Unis. 93 David Harvey, The New Imperialism, (Oxford University Press Inc, New York, 2003) P.5 Ce nouvel impérialisme défend ses intérêts d`une toute autre manière que la France ou la Grande-Bretagne ont pu le faire dès le XIXe siècle : elle exporta ses valeurs et ses marchés selon le concept de la « destinée manifeste ». 94 La rhétorique traditionnelle a donc été associée aux événements d`actualité de l`époque. De cette manière, après les événements comme la crise d`Azerbaïdjan, les États-Unis ont posé les fondements s`agissant du choix laissé aux autres nations, d`une part, mais également pour ce qui est de la persuasion des américains (peuple, représentants du peuple, investisseurs privés, etc.) d`autre part. Lors de la crise d`Azerbaïdjan, le président Truman et son administration sont intervenus de manière diplomatique pour contrer l`occupation des troupes de Staline dans ce qui est considérer comme étant la première crise de la Guerre froide. Cependant, Truman n`a jamais adressé de communiqué pour clarifier publiquement la position des États-Unis. Ce n`est qu`une fois la crise résolue que Truman a lancé sa doctrine devant le Congrès américain et devant le monde entier, sans mentionner l`Iran.95 En résumé, le discours idéaliste américain a contribué à rompre avec l`isolationnisme, il simplifiait la situation globale et incluait l`Iran dans une entité nominalisé « monde libre ». Ainsi, la problématique iranienne était associée à celle de la Grèce et de la Turquie, sans être nommée. En revanche, l`intervention en Iran eut bien lieu et la stratégie discursive américaine de simplification (singularisation de la situation à l`étranger d`une part et, essentialisation des entités dichotomiques d`autre part) fut un outil indispensable pour justifier la libéralisation du marché iranien (par opposition à l`implantation du système communiste). 94 Thucydide.com Les héritages fondamentaux : la Destinée Manifeste et la mission des Etats-Unis « Vers 1890, les frontières étasuniennes étant fixées, les États-Unis étendirent au-delà de celles-ci leur « mission civilisatrice ». Pourtant, en tant qu`ancienne colonie britannique qui avait combattu pour son indépendance, les États-Unis ne pouvaient adopter la forme de colonialisme des Etats européens. C`est pourquoi, à part quelques cas (Philippines, 1898), le mode d`impérialisme américain fut fondé sur l`exportation de valeurs, aussi bien marchandes que culturelles, et ne provoqua pas une perte de souveraineté des pays. Les États-Unis, contrairement aux Etats européens pratiquèrent un expansionnisme économique, commercial et culturel, qui ne reposa pas sur la fondation de colonies (c`est à dire la confiscation de la souveraineté d`un État pour le contrôler). La mission des États-Unis devait être de « civiliser » le monde, le rendre à son image, pour faire littéralement le bonheur des autres Etats malgré eux. » http://www.thucydide.com/realisations/comprendre/usa/usa2.htm (6 juin 2011) 95 A noter que l`Europe était la priorité pour l`administration Truman comparé à l`Iran. |
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