3) Discours idéaliste et soutien apporté
à l9l ID( I NIMI1l95 P DUTXR1e111( (1(- interventionnisme
a) Processus discursif de simplification
Pour Washington, les enjeux stratégiques étaient
globaux et c`est pour cela que Truman exprimait rarement la situation en Iran
dans ses discours et conférences de presse (la question iranienne
était tres peu de fois mentionnée et lorsqu`un journaliste
demandait au président des détails sur la situation en Iran,
Truman répliquait -- comme il avait l`habitude de le faire -- de
manière très brève)69. La situation en Iran
faisait partie d`un problème régional et même mondial pour
les raisons mentionnées précédemment. Par
conséquent, face à la complexité de la situation et face
à la multitude de théatres qu`offrait ce début de Guerre
froide, Truman avait recours à un processus discursif de simplification.
En ne donnant pas de détails, il évite de mentionner trop
d`événements qui auraient compliqué la
compréhension de la nouvelle situation d`apres guerre aupres des masses.
Truman disait à ce sujet :
People don`t listen to a speaker just to admire his techniques
or his manners; they go to learn. They want the meat of the speech--a direct
statement of the facts and proof that the facts are corrects--not oratorical
trimmings. Of course, the political speaker must remember that the education of
the average man is limited. Therefore, he must make his message as simple and
clear as possible.70
Truman explique donc que le message doit être clair car
l`auditeur n`est pas forcément informé des affaires
étrangeres et, en ce qui concerne cette étude, l`auditeur est
encore moins informé de la politique étrangère de son pays
à propos de la situation en Iran.
69 Les conférences de presse pendant la
présidence de Truman n`était pas comme celles d`aujourd`hui
où l`on voit les présidents répondre de manière
élaborée aux questions des journalistes. Truman se contentait de
réponses brèves et renvoyait souvent à ses
secrétaires (d`Etat, à la Défense, etc.).
70 Halford R. Ryan, op. cit., p.12.
L`auteur cite White et Hinderlider, What Harry Truman Told Us About His
Speaking, pp.39-41
Ryan compare Truman à son prédécesseur et
il explique que Roosevelt était un bien meilleur orateur que son
successeur. Il est donc possible que Truman défende ses faibles
qualités d`orateur en argumentant qu`il est davantage favorable d`aller
droit au but.
Comme beaucoup de chercheurs argumentent, le président
américain n`était pas un grand orateur71 et il est
fort possible qu`il ait voulu se défendre en disant cela. Par contre, le
fait d`aller à l`essentiel faisait partie d`une stratégie
discursive : le « processus de simplification ".
Selon Charaudeau, il existe deux procédés de
simplification : « la singularisation » et «
l`essentialisation ». La « singularisation " consiste
à éviter de multiplier les idées -- leur «
multiplication pouvant prêter à confusion pour des esprits non
habitués à la spéculation intellectuelle
".72
Dans un premier temps, la crise d`Azerbaïdjan
n`était pas le seul conflit qui éclata à la fin de la
seconde guerre mondiale, et, bien que certains considèrent cette crise
comme la première de la Guerre froide 73 , d`autres rapports
des services de renseignements américains avaient été
écrits dans cette même période pour des crises qui eurent
lieu dans d`autres endroits du globe comme en Turquie et en Grèce. Le
président américain avait déjà
présenté les cas de la Grèce et de la Turquie dans sa
doctrine et il était certainement plus judicieux d`évoquer ce que
Patrick Charaudeau appelle « des conditions de simplicité "
c'est-à-dire, simplifier la complexité de la situation,
simplifier le processus de construction des opinions ; tenter de réduire
cette complexité à sa plus simple expression.74 Par
conséquent, afin de ne pas compliquer l`énonciation, Truman
n`évoquait pas l`Iran et les autres pays qui étaient dans cette
même configuration de Guerre froide. Ainsi, il évitait d`apporter
trop d`informations à son auditoire. Truman singularisait la Guerre
froide à la Grèce et à la Turquie. Il évitait de
multiplier le nombre de pays ayant des enjeux pour les intérêts
américains afin de ne pas prêter à confusion. Le programme
d`assistance prôné par la doctrine Truman devait s`appliquer
à plusieurs nations mais sa stratégie discursive singularisait
l`espace ontologique à ses deux pays afin d`obtenir un effet de
persuasion.
Le deuxième procédé est celui de «
l`essentialisation ». Selon l`auteur, il consiste à faire qu`une
idée soit « toute entière contenue, ramassée et
condensée en une notion qui existerait en soi, de façon
naturelle, comme une essence, indépendamment d`autre chose que
d`elle-même ; et pour ce faire, on la présente sous forme
nominalisé ".75 C`est le cas
71 Ibid. p.109. Il est évident que Truman
n`était pas un grand orateur. Un exemple est son discours d`inauguration
(voir la partie analyse du discours d`inauguration du président Truman
dans la 2ème partie du mémoire).
72 Ibid.
73 Comme George Kennan.
74 Patrick Charaudeau, op. cit., p.75.
75 Ibid.
du « monde libre » ou des « peuples libres
». Truman expliquait les mesures à prendre pour les
intérêts des États-Unis seulement en Grèce et en
Turquie. Ainsi, il essentialisait les autres pays qui étaient sous la
menace communiste dans l`entité « monde libre ». Patrick
Charaudeau explique que
Ce double procédé de singularisation et
essentialisation donne lieu à l`existence de formules dont le
succès et l`impact sont variables. Plus une formule est concise et en
même temps chargée sémantiquement, globalisant ainsi une ou
plusieurs idées en les essentialisant et en les rendant floues, plus
elle aura de force d`attirance. C`est du moins une hypothèse
psychosociologique qui dit qu`on serait d`autant plus attiré par une
idée que celle-ci serait déterminée76. Ce type
de formule est destiné à produire un effet
d`évidence.77
La stratégie discursive du président Truman dans
la présentation du conflit de la Guerre froide était de
singulariser les nombreuses crises et tensions qui prirent place entre les
États-Unis et l`URSS à la fin de la seconde guerre mondiale.
Harry Truman n`a pas désigné un à un chaque pays dans
lesquels les intérêts américains devaient être
défendus car cela aurait perturbé la compréhension de
l`auditoire. En revanche, en essentialisant un espace ontologique en le
nominalisant, en le conceptualisant « peuples libres », «
nations libres » ou encore « monde libre », Truman simplifiait
l`imaginaire du récepteur du discours.78 Ces
énoncés langagiers circulaient à l`intérieur d`un
groupe social (l`auditoire de Truman : le peuple américain, ses
représentants et ses alliés à travers le monde) et ils
s`instituaient en normes de référence afin que chacun puisse
former, ce que Patrick Charaudeau appelle, des « imaginaires
sociodiscursifs ».79 L`Iran était l`un des nombreux
théâtres de ce début de Guerre froide et, pour
défendre les intérêts américains, Truman avait donc
« singularisé » et « essentialisé » une
entité qu`il nominalisa « monde libre » afin d`avoir plus de
« force d`attirance ». En effet, cette « formule est à la
fois concise et chargée sémantiquement », et elle avait pour
effet de globaliser plusieurs théâtres de conflit, l`Iran inclut,
entre les deux superpuissances vainqueurs de la seconde guerre mondiale. Ces
processus de simplification se sont mis en place grâce à une
76 L`auteur ajoute une hypothèse
émise par Baudrillard dans De la séduction (1979) :
« Plus une idée est précise et plus elle laisse celui qui la
reçoit à l`extérieur de celle-ci ; plus elle est
définie de façon floue, et plus elle laisse à celui qui la
reçoit un champ ouvert pour qu`il puisse s`y projeter. »
77 Ibid. p.76
78 A noter que l`expression free democratic
world? avait été utilisé par Winston Churchill dans
son discours de Fulton une semaine avant Truman, le 5 mars 1946 (c`est dans ce
discours que Churchill parla d`un « rideau de fer » pour la
première fois).
79 Ibid. p.157
instrumentalisation des imaginaires sociodiscursifs à
des fins de persuasion80 et cela permettait à
l`administration Truman de défendre les intérêts
américains en Turquie, en Grèce, en Iran et dans l`ensemble
« des peuples libres » -- selon sa doctrine.
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