3ème PARTIE
LE DISCOURS IDEALISTE LORS DE LA CRISE DE
LA NATIONALISATION DU PETROLE IRANIEN DE 1951 ET DU COUP D'ETAT DE
1953
1) L e choc de la nationalisation et la
stratégie discursive de l'administration Truman
a) La crise d`Abadan
Pendant la Guerre froide, la politique étrangère
des États-Unis était guidée par les quatre points
énoncés par Truman lors de son discours d`inauguration du 20
janvier 1949. Le programme Point IV s`appliquait aussi en Iran sous le
Mutual Defense Assistance Act voté par le Congrès.
Celui-ci fut mis en place à compter du 30 juin 1950.148
L`Iran bénéficiait aussi du soutien technique et militaire des
États-Unis afin « d`améliorer l`efficacité de
l`armée iranienne » mais également celle de sa police et de
sa gendarmerie. Les accords prévoyaient que cela se fasse « sans
que l`Iran n`engage les services de personnel de tout autre gouvernement
étranger pour des devoirs de toute nature en rapport avec l`armée
iranienne, sauf par accord mutuel entre le gouvernement des États-Unis
d`Amérique et le gouvernement d`Iran ».149 L`Iran avait
demandé de l`aide aux États-Unis dès 1942 pendant la
seconde guerre mondiale. Cependant, en 1950, les États-Unis avaient
eux-mêmes renouvelé ce programme d`aide à l`étranger
dans le but de poursuivre ses objectifs de sécurité partout dans
le monde.150 Et pour défendre ses intérêts dans
le monde et en Iran, le programme d`assistance aux « nations libres »
était une priorité pour les affaires étrangères
américaines.
Bien que l`Iran attendît plus d`aide de la part des
États-Unis, les Iraniens avaient besoin de ce soutien pour affirmer sa
souveraineté territoriale. En effet, l`Iran était toujours sous
la pression de deux puissances qui mettaient en péril le maintien de son
indépendance nationale. D`une part, l`URSS avait toujours des ambitions
en Iran car le retrait des troupes soviétiques lors de la crise
d`Azerbaïdjan avait mis fin ni à l`influence
148 Le gouvernement iranien a adhéré au
Mutual Defense Assistance Act grâce à des accords avec
les États-Unis le 23 mai 1950. Rouhollah K. Ramazani, op. cit.,
p.162. L`auteur se réfère à U.S. Department of State,
United States Treaties and Other International Agreements 1, TIAS
no.2071 (May 23, 1950): 420-24
149 Ibid. p.161. L`auteur se réfère à
U.S. Department of State, United States Treaties and Other International
Acts Series 1924, Agreement between the United States and Iran,? amending
and extending agreement of Oct. 6 1947. Il explique que les accords ont
été renouvelés.
150 Ibid. p.162
communiste dans le pays ni aux activités du parti
Tudeh. D`autre part, il commençait à y avoir de sérieux
mécontentements avec la Grande-Bretagne à cause de la gestion de
l`Anglo-Iranian Oil Company (AIOC).151 Le professeur Rouhollah
Ramazani écrit à ce propos :
The era of Iranian disenchantment with American economic aid
was paralleled by the cold war with the Soviet Union, on the one hand, and, on
the other, a growing nationalistic crusade against the
British.152
Ce mécontentement favorisa la montée du
nationalisme qui fut menée par Mohammad Mossadegh153. Ce
dernier fut élu premier ministre le 21 avril 1951 après
l`assassinat de son prédécesseur Ali Razmara -- assassinat qui
eut lieu dans ce contexte de mécontentement populaire. Le Majlis vota la
nationalisation du pétrole iranien le 15 mars 1951154 et le
Shah fut contraint de signer la loi le 1er mai de la même
année.155
Cette nationalisation représente un choc en termes
d`enjeux géostratégiques et économiques pour l`Iran, la
Grande-Bretagne et les États-Unis puisqu`elle remet en cause la nature
des relations entre ces trois nations. De plus, elle joue sur
l`équilibre du Moyen Orient et du monde. D`un point de vue
économique, la nationalisation d`une industrie aussi importante que
l`AIOC représentait une grande menace pour la finance et
l`économie britannique (alors dirigée par le gouvernement
Travailliste de Clement Attlee). Un rapport intitulé «
l`instabilité politique et la réaction des marchés
boursiers suite à la nationalisation de l`AIOC en 1951 » explique
qu`environ 80% des actifs de la société (AIOC) étaient
déployés en Iran et que ces derniers étaient « soumis
à la confiscation par le gouvernement iranien ».156 Ali
Ansari ajoute que l`empire britannique, qui sortait d`une exhaustive et
ruineuse seconde guerre mondiale, ne pouvait pas se permettre de perdre ses
intérêts sur l`AIOC ainsi que son accès à un
pétrole bon marché.157 Enfin, Stephen Kinzer
151 Ibid. p.163
152 Ibid.
153 Il est également possible de trouver l`orthographe de
« Mossadegh » avec un « q » car le son final est un son
guttural qui n`a pas d`équivalent en français.
154 Stephen Kinzer, p.79. Op. Cit
155 Ibid. p.91
156 Neveen Abdelrehim, Josephine Maltby, Steven Toms,
Political Instability and Stock Market Reaction: The Anglo-Iranian Oil
Nationalisation, 1951, p.2
157 Ali M. Ansari, p.28. Op. Cit
Le membre du Congrès Jim McDermott explique que les
britanniques prenaient officiellement 85% de bénéfices sur le
pétrole iranien mais qu`il est possible qu`ils avaient des
bénéfices plus important : The United Kingdom also kept the
books secret merely telling Iran what its 15 percent take was? (U.S.
Congressman Jim McDermott, Bush Authorizes Covert Actions against Iran?.
Chambre des Représentants, 23 mai 2007. WEB. 14 juin 2011
http://www.gpo.gov/fdsys/pkg/CREC-2007-05-23/pdf/CREC-2007-05-23-pt1-PgH5685-4.pdf
explique qu`en 1947 la compagnie rapportait un profit de
£40 millions -- soit l`équivalent de 120 millions de dollars
d`époque (1.2 milliard de dollars aujourd`hui) -- et elle versait
à l`Iran seulement £7 millions158 (soit 21 millions de
dollars aujourd`hui).
En Iran, le mécontentement se faisait de plus en plus
entendre car les conditions de travail des ouvriers étaient
déplorables et elles ne correspondaient pas avec les accords
signés en 1933 sous Reza Shah. 159 L`Iran, qui recherchait
une reconnaissance internationale, défendait son droit à la
souveraineté. Toutefois, le pays avait besoin du soutien technique et
économique des Américains. Dans un premier temps, Washington se
contentait de mettre en garde les Iraniens contre des effets néfastes de
la nationalisation de l`industrie pétrolière pour les
intérêts de l`Iran et du monde (circulation du pétrole
iranien dans le marché mondial). En revanche, la Grande-Bretagne, en
déclin et ne pouvant se passer d`un accès
privilégié aux ressources iraniennes, adoptait un ton nettement
plus belliqueux vis-à-vis pour faire face à cette montée
du nationalisme iranien. Ce changement de ton basculait l`équilibre des
relations entre Londres, Téhéran et Washington, et cela
traduisait un changement de dynamique dans l`activité diplomatique.
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