La défense des intérêts américains en Iran par le discours idéaliste, de 1945 à 1954( Télécharger le fichier original )par Mickaël, Milad Jokar Université Caen Basse Normandie - Master 2011 |
b) L`intérêt national « réel » américain lors de la crise d`AbadanCette crise illustre l`écart qui existe entre les intérêts stratégiques américains et leur stratégie discursive idéaliste mis en place pour les défendre. Les États-Unis se trouvaient au centre de cette crise et ils devaient maintenir l`unité du « monde libre » afin de ne pas laisser de terrain au communisme. Pourtant, cette menace communiste n`était jamais mentionnée dans les échanges diplomatiques entre Washington et Téhéran.160 Les États-Unis devaient défendre deux intérêts majeurs en Iran. D`une part, la circulation du pétrole iranien dans le marché mondial et, d`autre part, le maintien de bonnes relations entre les pays du « monde libre ». Un rapport du Conseil National de Sécurité sur la situation en Iran datant du 20 novembre 1952 indique que les États-Unis « devraient maintenir une totale consultation avec le Royaume-Uni » mais qu`ils devraient 158 Stephen Kinzer, op. cit., p.67. 159 Ibid. L`auteur cite les mauvaises conditions de travail et le manque de respect des accords qui prévoyaient la construction d`hôpitaux, d`écoles, de route ou de lignes téléphoniques. 160 Ces échanges seront illustrés dans le point n°3 de ce chapitre. également « éviter de sacrifier inutilement les intérêts légitimes du Royaume-Uni ou de compromettre inutilement les relations entre les États-Unis et le Royaume-Uni ».161 Cette crise est apparue quelques temps après l`annonce de la doctrine Truman et du programme Point IV et elle marqua une confrontation stratégique et idéologique entre « le nouvel impérialisme américain » d`un côté, et le système impérialiste britannique d`un autre côté.162 La Grande-Bretagne était un allié incontestable des États-Unis et elle refusait de limiter ses exigences concernant les négociations à l`égard des revendications de souveraineté de l`Iran. La cohérence discursive de Truman est quant à elle en coordination avec la stratégie présentée dans sa doctrine, dans le programme Point IV et dans le Mutual Defense Aid. Son discours vis-à-vis de l`Iran met bien en valeur les principes de liberté, de démocratie et de paix ; gardant ainsi sa stratégie discursive idéaliste. Celle-ci insiste beaucoup plus sur l`idéalisme décrit par David McKay que sur les réalités géostratégiques et économiques. Cependant, il existe une distinction entre le discours et les intérêts géopolitiques. Le rapport du conseil de sécurité sur la situation en Iran exprime ces réalités que les États-Unis devaient protéger via la rhétorique idéaliste afin d`obtenir un bénéfice qui est le fruit d`une politique réaliste. Voici ce que représentait l`Iran pour les intérêts américains : It is of critical importance to the United States that Iran remains an independent and sovereign nation, not dominated by the USSR. Because of its key strategic position, its petroleum resources, its vulnerability to political subversion, Iran must be regarded as a continuing objective of Soviet expansion. The loss of Iran by default or by Soviet intervention would:
161 Rapport du Conseil National de Sécurité sur la situation en Iran. Rapport écrit à Washington le 20 novembre 1952, disponible sur The National Security Archives - http://www.gwu.edu/~nsarchiv/NSAEBB/NSAEBB126/iran521120.pdf (6 juin 2011). 162 Andrew Ives que le discours idéaliste est nécessaire pour les États-Unis en ce qui concerne la défense de ses intérêts en termes de politique étrangère. Il explique que cela est dû à cette « nouvelle forme d`impérialisme » car, contrairement au système impérialiste britannique, qui ne cachait pas la défense des intérêts de son empire, les États-Unis présentent la défense de la démocratie libérale et du capitalisme de marché mondial comme principale orientation pour sa politique étrangère. Andrew Ives, Op. cit. e) Set off a series of military, political and economic developments, the consequences of which would seriously endanger the security interests of the United States.163 Ce document montre à quel point la perte de l`Iran aurait sérieusement mis en péril les intérêts américains. La non-influence américaine de cette position stratégique représentait une menace pour les États-Unis. En effet, l`Union Soviétique cherchait depuis longtemps un passage jusqu`au Golfe Persique qui leur aurait permit d`avoir accès aux réserves de pétrole se situant majoritairement dans le sud de l`Iran. Moscou avait donc des raisons de déstabiliser le régime de Shah par l`intermédiaire du parti communiste iranien -- le parti Tudeh. Les États-Unis craignaient une intervention soviétique en Iran qui risquait de faire tomber le régime, provoquant ainsi un effet domino. Ceci est exprimé dans le premier point du document (a) qui mentionne que cette intervention serait « une menace pour la sécurité de l`ensemble du Moyen-Orient, Inde et Pakistan inclus ». Le point (b) du rapport mentionne ensuite, la menace de la perte de l`accès au pétrole pour l`ensemble du « monde libre » car l`influence soviétique dans la région aurait augmenté exponentiellement le risque de perte des marchés d`autres pays possédant des réserves de pétrole importantes. Le pétrole devenait à cette époque la principale source énergétique puisqu`elle dépassait le charbon en 1947.164 Cette source avait déjà attiré la Grande-Bretagne qui était présente en Iran depuis le début du siècle avec la découverte du pétrole dans le sud du pays et la création de l`Anglo-Persian Oil Company (APOC)165 fondée en 1909. Puis, en aoüt 1941, les forces britanniques et russes occupaient l`Iran et les troupes américaines arrivèrent quinze mois plus tard pour conduire le transbordement du ravitaillement à l`Union Soviétique qui se présentait sous le programme Prêt-Bail (Lend-lease).166 Il était primordiale pour les Américains d`avoir accès aux lignes de communication que les alliés avaient établi en Iran et le point (c) du rapport mentionne que la perte de l`Iran augmenterait les risques de perte de ces lignes. Ces dernières furent d`une importance majeure pour l`acheminement de matériel pendant la Seconde Guerre mondiale et elles continuaient à protéger les intérêts américains dans le contexte de la Guerre froide. Enfin, ce document montre que la stratégie américaine pouvait échouer à cause de cette perte car l` « ethos américain » -- présenté lors des discours tels la doctrine 163 Rapport du Conseil National de Sécurité sur la situation en Iran., op. cit. 164 Energy Information Administration, History of Energy in the United States, 1635-2000, (Voir annexe n°6). 165 L`APOC est devenu l`AIOC (Anglo-Iranian Oil Company) en 1935 lorsque le Shah Reza Pahlavi changea le nom de la Perse à Iran. 166 Chester J. Pach, Jr., Arming the Free World : the Origins of the United States Military Assistance Program, (the University of North Carolina Press, 1991) p.91 Truman et le programme Point IV -- risquait de remettre en cause la crédibilité et le prestige de « l`État supernation ». En effet, le point (d) du rapport explique que les pays se situant autour de l`Iran devaient garder une image positive de la politique proposée par Truman dans leurs structures cognitives afin de ne pas se tourner vers le communisme. Ceci déclencherait un changement considérable dans les mesures politiques, économiques et militaires entreprises par les États-Unis, mettant ainsi la sécurité des intérêts américains en danger (cf. e). |
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