2.2.12. LES ENJEUX DE LA LIBERALISATION DES FILIERES
AGRICOLES
Fongang (2010) note que dans les filières d'exportation,
des organisations de producteurs créées par l'État
servaient de relais aux sociétés de développement pour
la
5 Foumbot: 1930/31, Dschang 1932 (Coopcolv: 1948),
Bafoussam 1937, Mbouda 1958, Bafang: 1958, Bangangté: 1961.
collecte des produits agricoles, la distribution d'intrants,
etc. Ces organisations avaient également très souvent des
missions de développement régional. Elles étaient
contrôlées par l'État, qui désignait leurs
responsables exécutifs, s'assurant ainsi une influence sur les
dynamiques paysannes. C'était le cas de l'Union centrale des
coopératives agricoles de l'Ouest Cameroun (Uccao) et des groupements
paysans autour de la Société de développement du coton
(Sodecoton) au nord du pays.
Mais Dans un contexte dominé par la crise
économique et l'échec de la politique interventionniste, le
début des années 90 va marquer le désengagement de
l'État camerounais du secteur agricole.
C'est alors que pour la CNUCED et l'ONCC(2009), le vent des
libertés qui a soufflé dans le monde et sur notre pays depuis les
années 1990, a donné lieu a un très vaste mouvement de
dérèglementation avec notamment, la libéralisation des
activités économiques plus concrètement le
désengagement de l'Etat dans les secteurs productifs.
Ainsi, le processus de libéralisation engagé en
Afrique au sud du Sahara depuis la fin de la décennie 80 se traduit par
des changements structurels profonds dans la configuration des agricultures
familiales africaines ; la libéralisation induit un mouvement de
différenciation accéléré des agricultures
caractérisé par deux phénomènes qu'il convient de
détailler et que sont la croissance du risque économique pour les
agriculteurs et la croissance des asymétries entre les différents
agents du secteur agricole.
Ondoa(2006) remarque alors que dans la mise en oeuvre du
processus de libéralisation, l'Etat va aussi supprimer les
mécanismes de régulation administrée ; laissant les
producteurs agricoles, peu préparés à s'engager sur de
nouveaux types de relations basées sur la négociation et
l'établissement de liens contractuels avec des prestataires
généralement plus aguerris.
Les producteurs doivent d'abord compter sur leurs propres
forces pour affronter la compétition internationale, tant à
l'exportation que sur leurs marchés intérieurs où ils
subissent les prix de dumping des excédents importés des pays
industrialisés ; mais aussi pour résister à une plus
grande instabilité des prix liée à la fin des protections
de marché et des accords internationaux sur les produits de base,
à la fin des soutiens et de la coordination administrée.
Le bilan de la libéralisation des filières
agricoles africaines est sans équivoque : l'État,
précédemment omniprésent dans le secteur agricole, s'est
largement retiré d'un ensemble d'activités, notamment celles de
la commercialisation et de la transformation de la production primaire. Ce
désengagement de l'État s'est accompagné, à des
degrés très divers, d'un appui à la professionnalisation
des producteurs et par l'ébauche de la constitution d'une
interprofession qui regroupe les différents acteurs des
filières.
Le désengagement des États, avec l'arrêt
de l'administration des filières par des offices publics, n'a pas
seulement affecté les prix des produits ou des intrants, il a aussi
lourdement modifié l'accès aux différents services
agricoles. L'austérité budgétaire de l'ajustement et
l'impératif de privatisation ont supprimé (ou durement
réduit) les différentes structures d'appui à l'agriculture
(sociétés publiques et parapubliques, projets, administrations
techniques) avec comme conséquence l'assèchement des
approvisionnements, du conseil technique, du crédit, voire des
difficultés de commercialisation.
Amadou Fall (2009) souligne alors que les stratégies
néolibérales tendant à faire passer l'Afrique d'une
économie dominée par les acteurs publics à une
économie régie par le marché, sous la houlette des
institutions de Bretton Woods, n'ont pas eu les effets attendus sur la
production agricole et le revenu des ruraux. Avec le « moins d'Etat »
et l'abandon des paysans à eux-mêmes, elles se
sont plutôt traduites par le renchérissement des intrants et leur
faible utilisation, une désorganisation des cycles culturaux, la chute
des rendements, l'aggravation des difficultés d'écoulement des
récoltes et des prix aux producteurs fort peu
rémunérateurs, tous phénomènes accentués par
un désinvestissement massif du monde rural. La réduction de
l'intervention des Etats a laissé l'agriculture et le
développement rural sans soutien au crédit et à la
commercialisation, et sans services de fourniture d'intrants efficaces.
L'investissement dans les infrastructures a ralenti ou régressé.
Les politiques agricoles n'ont pas eu les moyens de leur mise en oeuvre.
Cheikh (2006) lui emboîte le pas en signalant que bien
que de nombreux pays africains aient adopté ces vingt dernières
années des réformes économiques parfois draconiennes, les
avantages de la libéralisation du commerce qui avaient été
promis : hausse des investissements étrangers directs, ouverture des
marchés du Nord et accroissement du transfert de technologies et de
l'assistance technique ne se sont pas matérialisés.
Au contraire comme le note le CTA dans son Programme de radio
rurale 2002/5, On a assisté en effet au démantèlement des
politiques publiques et au désengagement de l'Etat, au moment
précis où les producteurs africains avaient le plus besoin
d'appui. Conjugué a cela le fait que les agricultures africaines sont
maintenant en concurrence directe avec des agricultures plus puissantes, mieux
dotées et largement subventionnées, il est évident que les
producteurs africains sont largement désavantagés. Il est aussi
un fait incontestable que les agriculteurs pauvres ont
généralement beaucoup moins profité de la
libéralisation des filières que les propriétaires des
grandes exploitations, ceci en raison notamment du prix élevé des
intrants.
Dans le cas du café et du cacao, au Cameroun, la
transformation en 1991 des statuts de l'ONCPB, l'Office National de
Commercialisation des Produits de Base, qui avait jusqu'alors le monopole des
achats et de la commercialisation, a été l'ébauche de la
libéralisation de ces deux filières, qui s'est poursuivie
à partir de 1995 avec la suppression définitive des monopoles
d'achat, des concessions et du système de quotas d'achat.
A cet effet, Alary(1994) remarque alors que c'est
l'enfermement du Cameroun dans la logique de l'économie de rente qui
explique ainsi la fragilisation de son économie lors du retournement des
cours des principales matières premières tropicales. Les recettes
à l'exportation du café arabica et robusta et du cacao
représentent en 1990-1992, près de 27 % des recettes
extérieures et plus de 75 % des recettes agricoles.
1) Les effets sur la commercialisation
Dans toute l'Afrique, les agriculteurs opèrent
aujourd'hui dans un système de marché et sont donc responsables
de la commercialisation de leur production et des prix qu'ils obtiennent. Si
dans la plupart des cas, cette situation s'est traduite par une
précarité accrue, en revanche, grâce au processus de
libéralisation, les agriculteurs bénéficient
généralement aujourd'hui d'une part plus élevée des
prix F.O.B (Shepherd et farolfi ,1999). La disparition des offices de
commercialisation et des unions de coopératives inefficaces et
l'abaissement des taxes prélevées sur les agriculteurs sous la
forme des retenues effectuées par les offices, de même que
l'intensification de la concurrence entre les acheteurs dans la plupart des
pays, semblent avoir eu un effet bénéfique sur le revenu des
agriculteurs, même si le renchérissement des intrants a
annulé une partie des gains obtenus.
Ainsi, Van Der Laan (1992) a estimé qu'un pays en
développement a intérêt à confier la
commercialisation des exportations à un office compétent
plutôt que de l'abandonner au secteur privé, qui, selon lui, a
davantage de difficultés que les offices pour obtenir des financements.
Il indique en conclusion que la privatisation du système peut aussi
aboutir à la constitution de cartels. Enfin, de petites entreprises
privées ne sont pas à même de bénéficier
d'économies d'échelle, notamment dans le domaine du transport
international.
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