B. Contenu
L'ingérence humanitaire est une notion apparemment
discutée et contestée depuis sa naissance, en 1987, dans la
mouvance du « mouvement sans-frontieriste » (médecins du
monde, médecins sans frontières, reporteurs sans
frontières, etc.). Le droit d'ingérence comporte un contenu
éthique, politique et juridique. Il est à la fois « droit de
», « droit à», et même « devoir », selon
le côté où on se situe, celui de l'homme moral, qui,
doublement, croit devoir agir et se croit à droit d'agir, ou bien du
côté de la victime qui est en droit d'attendre une aide. Le droit
d'ingérence sonne à la fois comme un devoir et un droit. Il est
droit pour l'ingéré ; et il est droit et devoir à la fois
pour l'ingérant.
L'ingérence humanitaire reste une notion
prohibée en droit international car n'étant pas consacré
par une règle de droit ni par la charte de l'ONU. Mais cette notion
semble évoluée aujourd'hui avec les actions des Etats puissants
entreprises moyennant les interprétations larges des résolutions
du conseil de sécurité de l'ONU tout en prétendant
préservés la paix internationale et les droits humains. Ainsi,
par exemple la charte, dans son article 42 dispose : « si le Conseil
de sécurité estime que les mesures prévues à
l'article 41 seraient inadéquates ou qu'elles se sont
révélées telles il peut entreprendre, au moyen de force
aérienne, navale ou terrestre, toute action nécessaire au
maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité
internationale. Cette action peut comprendre des démonstrations, des
mesures de blocus et d'autres opérations exécutées par des
forces aériennes, navales ou terrestres de membres des Nations Unies
». C'est ce qui est couramment appelé «
opération de maintien de la paix des Nations Unies ».
Quand bien même la charte n'autorise les Nations Unies a
intervenir dans les affaires qui révèlent essentiellement de la
compétence nationale d'un Etat, « elle reconnaît pour
celles-ci le droit d'application des mesures de coercition prévues au
chapitre VII. »28.
Soulignons en sus que l'ingérence humanitaire est un
droit politique à ce qui concerne l'appréciation et la
détermination des normes éthiques pouvant justifier
l'ingérence. La politique de l'ingérant détermine
28 Voir article 2§ 7 de la charte de Nations
Unies
aussi bien l'opportunité que la nature, le degré
et la durée de l'ingérence. « Le droit d'ingérence
est ambivalent ou, si l'on veut trivalent, et aux yeux de plusieurs juristes,
fondamentalement ambigu et inapproprié parce que véhiculant une
confusion dangereuse, renchérit NGOMA BINDA. Sa prétention
à la nouveauté est récusée. On le juge
superfétatoire fasse à l'existence de plusieurs instruments
juridiques déjà présents dans le droit international
»29
D'autre part, OLIVIER RUSSBACH pense même que
l'ingérence est une tentative d'escroquerie, un «
détournement de droit humanitaire » créé depuis Henry
Dunant avec la Croix rouge et confirmé par la charte des Nations Unies,
par la convention de la HAYE et les conventions de Genève (1949) et
leurs protocoles additionnels (1977). On le dit être « un droit au
fondement incertain, au contenu imprécis et à la
géométrie variable. » On le pense susceptible de justifier
toute sorte d'intervention, mêmes agressante et secrètement
chargé de désir d'hégémonie, d'intensification de
l'exploitation et de recolonisation des Etats faibles
»30.
C'est au nom de la conscience morale supposée
universelle et, en particulier, au nom de la morale des droits de l'homme que
le droit d'ingérence se trouve affirmé avec
insistance31. Les français Bernard KOUCHNER et Mario BETTATI,
premiers promoteurs de ce « nouveau » droit, le fondent sur une
« morale de l'extrême urgence face à l'inhumanité,
face à la barbarie de la fin du XXème siècle ».
Le droit d'ingérence est donc toujours déjà, selon
BETTATI, un droit humanitaire. Tout autre droit d'ingérence est non
fondé, il est un non-droit, une agression pure et simple. Fondé
sur la « morale de l'extrême urgence ; le droit d'ingérence
se donne comme un droit de réponse aux « malheurs des autres
», un droit d'agir chez les autres, et éventuellement sans leur
consentement. Il se fonde sur l'aspiration dont la légitimité
interdit à la conscience de refuser d'apporter assistance à
quiconque se trouve en danger réel de mort et d'indignité
»32.
29 NGOMA BINDA, « Indépendance, Droit
d'ingérence et Politique Hégémonique », in les
enjeux de la mondialisation pour l'Afrique, Éd. Loyola.
30 O.RUSSBACH, ONU contre ONU, Le droit
international confisqué, éd. La découverte, Paris,
1994, p.56
31 B.KOUCHNER, M.BETTATI, Le devoir
d'ingérence, Peut-on les laisser mourir ? De noël, Paris,
1987, p86
32 B. KOUCHER, Les malheurs des autres, Odile
Jacob, Paris, 1991, p.28
Bien qu'en revanche depuis décembre 1988, la notion
d'assistance humanitaire soit reconnue aux Etats, certains pensent qu'elle
devrait rester dans la sphère des valeurs strictement morales. «
Cette notion est en effet totalement contraire aux fondement du droit
international qui stipule qu'un Etat n'est lié par une règle de
droit que s'il a accepté en ratifiant un traité ou en
adhérant à une règle préexistante. Dans la
pratique, les actions d'ingérence humanitaire sont toujours
réalisées par des contingents nationaux, ce qui peut impliquer
deux situation relativement différente ; le « droit »
d'ingérence et le « devoir » d'ingérence
»33.
Pour Jean-François REVEL, quant à lui, le
droit d'ingérence est la reconnaissance du droit qu'ont une ou plusieurs
nations de violer la souveraineté nationale d'un autre Etat,
accordé par l'autorité supranationale. Dans la pratique, au nom
de l'ingérence humanitaire, il n'est pas rare que le mandat soit fourni
rétroactivement : ainsi l'intervention de la France en Côté
d'Ivoire s'est faite initialement sans mandat de l'ONU »34
Cependant, « le devoir d'ingérence est
l'obligation qui est faite à tous les Etats de fournir assistance ;
à la demande de l'autorité supranationale. Il est évident
que c'est cette notion qui est la plus proche du concept originel
d'ingérence humanitaire. Elle est également largement
rejetée par des Etats membres de l'ONU qui y voient une remise en cause
inacceptable de leurs prérogatives »35
En dépit des idées généreuses du
concept, qui place au premier rang des valeurs comme la démocratie ou le
respect des droits de la personne humaine, il a dès l'origine
suscité questionnement, voire critique.
Dans les faits, une mission d'ingérence est parfois
contraire aux objectifs fondamentaux de l'ONU (maintien de la paix), en tout
cas toujours en contradiction avec l'article 2§7 de la charte des Nations
Unies.
Pour de nombreux juristes, la création de ce concept
n'a pas lieu d'être. En effet, la charte des Nations Unies contient
déjà de nombreuses dispositions allant dans ce sens, en
particulier, dans les chapitres VI et VII. Il ne
33 O.CORTEN et P. KLEIN, Droit d'ingérence
ou obligation de réaction ? Les possibilités d'action visant a
assurer le respect des droits de la personne face au principe de
non-intervention, Bruxelles, Bruylant, 1996, p.697.
34 Idem, Op.cit
35 Ibidem
s'agissait donc pas de la création d'un nouveau droit,
mais simplement de la mise en application du droit déjà
existant.
Plus fondamentale que ce problème de droit,
l'ingérence humanitaire souffre d'un certain nombre de contradictions
qui sont principalement dues à la confusion volontairement entretenue
entre droit et devoir d'ingérence. Il est en effet difficile, dans ces
conditions, de séparer les mobiles humanitaires des mobiles politiques
et d'assurer un total désintéressement des puissances
intervenant.
Bien qu'elle se veulle universelle, la Déclaration des
droits de l'homme est fortement influencée par les travaux des
philosophes occidentaux du siècle des Lumières et plus
généralement par la morale judéo-chrétienne.
L'ingérence a donc toujours été une action dirigée
depuis le nord vers les pays du sud. Il est ainsi peu vraisemblablement que des
contingents rwandais seront un jour chargé de mission de maintien de la
paix en Irlande du Nord ; ou que des Libanais interviendront aux USA.
En réalité, les Etats puissants ont peu de
risque d'être cible d'une action d'ingérence. Par exemple les
populations de la Tchétchénie sont sans doute autant en danger
aujourd'hui que l'ont été les Kosovars il ya quelques
années, mais la Russie étant infiniment plus puissante sur la
scène internationale que la Serbie, il est peu probable qu'une action
internationale se mette en place.
En Occident également, l'ingérence humanitaire a
des opposants. Beaucoup trouvent qu'elle ressemble un peu trop au colonialisme
du XIX ème siècle ; propageant les valeurs de la
démocratie libérale et considérant les autres cultures
comme quantité négligeable. Il lui est reproché son
caractère événementiel : elle a tendance à
s'exprimer dans le chaud de l'action, pour donner bonne conscience aux
téléspectateurs occidentaux, et à négliger les
conflits oubliés par les medias ou les détresser chroniques comme
le prouve la crise ouverte autour de l'intervention américaine en IRAK,
le délicat équilibre entre la répression des bourreaux et
le respect de l'égalité souveraine des nations reste donc
à trouver.
Cependant, il sied de le souligner avec toute
sérénité que le droit international n'autorise pas
à un Etat d'intervenir dans les affaires intérieures d'un autre,
méme sous prétexte d'intervention humanitaire. Cette pratique
devra être rejetée en vertu du principe de souveraineté des
Etats.
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