La licéité de l'emploi de la force par une organisation internationale: cas de l'OTAN en Libye en 2011( Télécharger le fichier original )par James MUHINDO BUNDUKI Université catholique du Graben - Licence 2011 |
B. Les résolutions de l'Assemblée Générale et du CSNU et la jurisprudenceLes auteurs favorables au droit de l'ingérence humanitaire soulignent que l'un des buts des Nations Unies est la protection des droits de la personne. Ces auteurs évoquent le paragraphe 2 du préambule de la charte des Nations Unies qui prévoit : « Nous, peuples des nations Unies, résolus~à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité des droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites »84. C'est dans cet esprit que Teson rappelle que l'emploi de la force dans un but humanitaire, non seulement ne contredit pas le but des Nations Unies, mais bien au contraire il soutient un de ses buts essentiels qui est la protection des droits de la personne. De ce fait, il serait erroné de dire que l'intervention humanitaire est prohibée par l'article 2§4 de la charte des Nations Unies. 82 Rapport de l'organisation des Nations Unies de 2004, http://www.nato.int/docu/pr/2004/p99-040.htm. 83 R.CHARVIN, op.cit, pp 1-2 84 §8 du préambule de la charte des Nations Unies, documents d'études, N°3.02, La documentation française, Paris, 2001, p.3. De l'autre côté, on peut opposer à ce raisonnement des partisans du droit d'ingérence humanitaire, un autre but de l'ONU qui est le maintien de la paix et de la sécurité internationales, prévus dans les chapitres VI et VII de la charte. Même le premier paragraphe du préambule de la charte va à l'encontre de l'interprétation faite par la tendance doctrinale d'un droit d'ingérence humanitaire. Plus précisément, le premier paragraphe du préambule de la charte des Nations Unies prévoit : « Nous, peuples des Nations Unis, Résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui, deux fois en l'espace d'une vie humaine, a infligé à l'humanité d'indicibles souffrances ». Enfin, Michel Virally remarque qu'une action militaire même sielle vise à protéger les droits de la personne, va incontestablement à l'encontre de son but. Selon le même auteur toute politique de force va à l'encontre des objectifs et des buts des Nations Unies85. A l'opposé, la doctrine favorable au droit d'ingérence prétend que le but des Nations Unies de maintenir la paix peut être soit enfreint, soit satisfait. En d'autres termes, il existerait une sorte de hiérarchie entre les différents buts des Nations Unies et par conséquent, une intervention militaire visant à protéger les droits de la personne ne serait pas contraire au but de l'ONU de maintenir la paix. Si on procède, maintenant, à la lecture du corollaire de l'interdiction du recours à la force, qui est l'obligation de régler pacifiquement les différends (article 2§3 de la charte) ; on verra qu'il n'y a rien dans l'article 2§4 qui peut affirmer qu'une action peut enfreindre un but des Nations Unies. Les partisans de la doctrine du droit d'ingérence humanitaire se fondent uniquement sur le texte de l'article 2§4 pour soutenir leur thèse. Or, le texte du troisième paragraphe du même article dispose : « Les membres de l'organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger ». 85 (M) VIRALLY, « Panorama du droit international contemporain », R.C.A.D.I, vol.183, 1983-V, P.102 Ainsi, selon les termes de l'article 2§3 une réaction d'un Etat membre de l'ONU, méme à des violations massives des droits de la personne, doit s'effectuer de manière pacifique sans mettre en danger ni la paix et la sécurité internationales ni la justice. Par ailleurs, l'article 33 de la charte énumère les moyens pacifiques de règlement des différends86 et complète l'article 2§4. Ici encore, la charte ne prévoit aucune exception relative à une intervention armée humanitaire. Par conséquence, on peut dire que la charte interdit expressément tout intervention armée unilatérale, dans la mesure où elle menace la paix et la sécurité internationales. Méme si on acceptait la thèse de la doctrine du droit d'ingérence humanitaire, selon laquelle il existe une hiérarchie entre les objectifs de l'ONU, on ne pourrait qu'admettre la prééminence du maintien de la paix sur la protection des droits de la personne. Comme, on a déjà vu, le premier paragraphe du préambule de la charte établit comme but primordial le maintien de la paix. Dans le même esprit, le chapitre I, intitulé « Buts et principes », indique dans son article 1§ 1 comme premier but des Nations Unies de maintenir la paix et la sécurité internationales. D'ailleurs, le préambule87 de la charte précise les moyens utilisés par l'organisation pour atteindre ses objectifs. En lisant le préambule, on remarque que la charte donne une propre supériorité aux moyens dirigés en faveur du maintien de la paix. En outre, aucune référence n'est faite à des moyens militaires pour imposer le respect des droits de la personne. Dans le préambule, on voit qu'une seule référence à un recours aux institutions internationales. Dans ce paragraphe, il reste à examiner un dernier argument de la doctrine du droit d'ingérence humanitaire. D'autres auteurs, favorables à cette tendance doctrinale, mettent en exergue l'argument selon lequel une intervention armée humanitaire respecte en soi l'objectif du maintien de la 86 L'art 33 de la charte des Nations Unies prévoit comme moyens de règlement des différends « la voie de négociation, d'enquête, de médiation, de conciliation, d'arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d'autres moyens pacifiques de leur choix ». 87 Nous, peuples des Nations Unies, Résolus... et a ces fins a pratiquer la tolérance, a vivre en paix l'un avec l'autre dans un esprit de bon voisinage, a unir nos forces pour maintenir la paix et la sécurité internationales, a accepter des principes et instituer des méthodes garantissant qu'il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l'intérêt commun, a recourir aux institutions internationales pour favoriser le progrès économique et social de tous les peuples. paix. Ils considèrent qu'une intervention armée humanitaire en mettant fin à des violations massives des droits de la personne, elle empêche une évolution historique qui mènerait à une menace ou à une rupture de la paix par le pays dictatorial visé88. Cet argument est doublement critiqué sur le plan des faits, ainsi que sur le plan juridique. D'une part, sur le plan de fait, ce n'est pas du tout qu'on remarque qu'il y a une interprétation large de la notion du maintien de la paix en rapport avec les droits humains. En outre, dans l'histoire on a des nombreux exemples des régimes dictatoriaux qui n'ont pas provoqué une rupture de la paix dans les relations internationales89. D'autre part, sur le plan juridique, la charte a bien pour préoccupation principale le maintien de la paix. On voit mal comment la charte pourrait légitimer une rupture bien réelle de la paix en invoquant une rupture hypothétique et éventuelle. En effet, on constate que le but principal de l'ONU est le maintien de la paix et l'article 2§4, invoqué par la doctrine favorable au droit de l'ingérence humanitaire, renvoie bien à ce but. Les dispositions de l'article 2 § 4 de la charte interdisent bien tout recours à la force, même motivé par des conditions humanitaires. Afin d'évaluer cette volonté des Etats, on verra dans un premier temps les résolutions de l'Assemblée Générale des Nations Unies, ainsi que les conventions régionales de sécurité collective et les traités de protection des droits de la personne. Ensuite, on verra certains de cas d'intervention que la doctrine évoque, afin de rechercher s'il s'agit vraiment des précédents légitimant des interventions humanitaires. Parmi les nombreuses résolutions de l'Assemblée Générale des Nations Unies, relatives au principe de non recours à la force, trois d'entre elles nous paraissent particulièrement édifiantes. Il s'agit entre autres de la résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970 sur les relations amicales et la coopération des Etats, de la Résolution 3314 (XXIV) du 14 décembre 1974 sur l'agression et de la Résolution 37/10 du 15 nombre 1982 sur le règlement pacifique des différents. La Résolution 2625(XXV)90énonce dans ses principes que : « Tout Etat a le devoir de s'abstenir de recourir à la menace ou à l'emploi de la force pour violer les frontières existantes d'un autre Etat... ou pour violer les lignes internationales de démarcation ». Ainsi, la résolution écarte l'argumentation de la tendance doctrinale, selon laquelle une intervention armée humanitaire est permise à partir du moment où elle n'entraîne pas une appropriation territoriale. De cette manière, la résolution interdit non seulement toute violation de l'intégrité territoriale, mais aussi toute violation de la souveraineté territoriale. D'autre part, le texte de la résolution interdit tout recours à la force armée ou non armée pour quelque raison que ce soit. Par conséquent, même le recours à la force pour des raisons humanitaires est prohibé. Enfin, le même texte prévoit que les Etats doivent régler leurs différends en utilisant des moyens pacifiques en excluant tout recours à la force. On comprend, alors, que même la violation massive des droits de la personne constitue un différend qui doit être régler par des moyens pacifiques et en aucun cas par une intervention militaire. La résolution 3314 (XXIV)91 du 14 décembre 1974 précise dans son article premier la définition de l'agression comme étant tout emploi de la force armée contre la souveraineté, l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un autre Etat. Ensuite, dans son article 3, la résolution procède à une énumération exhaustive d'actes qualifiés d'agression. On remarque, alors que la définition donnée par la résolution est extrêmement précise sans faire aucune mention des circonstances propres à une intervention armée humanitaire. 90 Résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée générale des Nations Unies : Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre Etats, conformément à la charte des Nations Unies, du 24 octobre 1970, in les grands textes du droit public, 2e édition, éd. Dalloz, Paris, 2000, pp32-41 91 Résolution 3314 (XXIV) de l'Assemblée générale des Nations Unies : Définition de l'agression, du 14 décembre 1974, in les grands textes du droit international public, 2e édition, éd. Dalloz, Paris, 2000, pp.237- 240 En outre, l'article 5 du méme texte énonce qu'aucune considération, que ce soit politique, économique ou militaire, ne saurait justifier une agression. On appréhende donc, qu'aucune considération humanitaire ne pourrait pas justifier une intervention armée. La Résolution 37/10 du 15 novembre 198292 réaffirme l'interdiction générale de recourir à la force en précisant que les Etats ont l'obligation de régler leurs différends internationaux « exclusivement » par des moyens pacifiques. Ces résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies ne sont pas les seuls instruments qui interprètent l'article 2§4 de la charte comme interdisant tout recours à la force armée même pour des raisons humanitaires on verra par la suite, que des conventions à caractère régionale en font ainsi. La charte de l'OEA93 dans son article 21 interdit le recours à la force, sauf en cas de légitime défense conformément aux traités en vigueur. A l'exception alors, de légitime défense, tout recours à l'emploi de la force est interdit. De méme, la charte de l'OEA, dans son article 27, interdit expressément tout recours à la force contre l'intégrité, l'inévitabilité du territoire ou contre la souveraineté et l'indépendance politique d'un Etat américain en le qualifiant d'acte d'agression. De méme, l'acte constitutif de l'UA érige dans ces objectifs, la défense de la souveraineté, de l'intégrité territoriale et de l'indépendance des Etats membres. On voit alors, que les Etats ont, à travers les différents instruments juridiques protecteurs des droits de la personne, on verra qu'aucune résolution ni convention ne permet, directement ou indirectement, le recours à la force pour faire respecter ces droits. Bien au contraire, les traités relatifs à la protection des droits de la personne subordonnent toute réaction unilatérale à une série des conditions. Les traitées en question prévoient des mécanismes de règlement que les Etats doivent utiliser. Ces traités ont prévu, aussi toute une série de contre- 92 Résolution 37/10 de l'Assemblée générale des Nations Unies : Règlement pacifique des différends internationaux, du 15 novembre 1982, http://www.un.Org/documents/ga/res/37/a37ro10.htm 93 Charte de l'OEA (charte de Bogota-Traité interaméricain pour le règlement pacifique des différends, dit Patte de Bogota), signée le 30 avril 1948 à Bogota, http://www.oas.org/juridico/english/charte.html mesures non armées moyennant le respect des certaines conditions. On remarque, alors, que ces textes conventionnels non seulement interdisent le recours à la force armée, mais ils prévoient en même temps tous les mécanismes nécessaires afin de mieux assurer protection des droits de la personne. En autre, tout recours à la force pour faire respecter les droits de la personne irait à l'encontre des conventions en question. Même dans le cas des représailles, les Etats se sont prononcés de manière claire pour l'interdiction absolue des représailles armées. D'une part, l'article 2 § 4 de la charte des Nations Unies ne prévoit aucune exception en ce qui concerne le motif humanitaire de l'Etat intervenant. Et d'autre part, la Résolution 2625 (XXV) énonce le devoir des Etats de s'abstenir d'actes de représailles impliquant l'emploi de la force. Cette interdiction des représailles armées est confirmée par la résolution 36/103 de l'Assemblée générale94 qui souligne « le devoir d'un Etat de s'abstenir de recourir à toute intervention armée ou à tout acte d'ingérence militaire... y compris les actes de représailles impliquant le recours à la force ». D'une part, des résolutions telles que la Résolution 2625 (XXV) et la résolution 33 14 (XXIV) portant définition de l'agression, rejettent toute possibilité d'évoquer des motivations humanitaires pour échapper à l'interdiction de principe de l'article 2§4 de la charte. La pratique conventionnelle, que ce soit sur le plan régional ou universel, confirme ce point de vue. D'autre part, la pratique des relations internationales démontre que les considérations humanitaires, évoquées par les Etats intervenants sont loin de constituer une base juridique. Comme on a vu, les justifications des Etats intervenants ne démontrent pas une position juridique claire en faveur du droit d'ingérence humanitaire. Bien au contraire, dans la plupart des cas les interventions armées s'expliquent par des considérations politiques. 94 Résolution 36/103 de l'Assemblée générale des Nations Unies : Déclaration sur l'inadmissibilité de l'intervention et de l'ingérence dans les affaires intérieurs des Etats, du 9 Décembre 1981, A/RES/36/103. Enfin, il est essentiel de rappeler que la C.I.J., en se prononçant à propos de l'affaire du « Détroit de corfou »95, a condamné le Royaume-Uni pour violation de la règle du non-recours à la force en soulignant l'importance de celle-ci dans les relations internationales. De méme, la C.I.J. s'est prononcée de manière générale sur l'existence éventuelle d'une pratique favorable à un droit d'intervention d'humanité dans l'affaire des « Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci »96. En l'espèce, la Cour estime que les Etats-Unis n'ont pas justifié leur conduite en prenant argument d'un nouveau droit d'intervention ou d'une exception nouvelle au principe interdisant le recours à la force. La Cour dans le même arrêt va plus loin, puisqu'elle examine les motifs humanitaires évoqués par les Etats-Unis. La cour estime que la force n'est pas la méthode appropriée pour vérifier et assurer le respect des droits de l'homme et conclut que le motif tiré de la préservation des droits de l'homme au Nicaragua ne peut justifier juridiquement l'intervention armée des Etats-Unis. En concluant ce paragraphe, on peut se référer à la jurisprudence de la CIJ, qui dans son avis consultatif relatif à certaines dépenses des Nations Unies97 précise qu'il est nécessaire d'accorder une primauté à la paix et la sécurité internationales puisque les autres objectifs de l'organisation ne peuvent être atteints que si la paix et la sécurité internationales sont assurées. |
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