SECTION II. LES EXCEPTIONS AU PRINCIPE DE NON
INTERVENTION
Comme on a pu remarquer tout au long de notre travail, la
règle de l'intervention du recours à la force (l'art 2§4 de
la charte des Nations Unies) exclut toute intervention armée.
Néanmoins, cela ne veut pas dire que tout recours à la force
armée soit interdit dans les relations internationales.
95 C.I.J, Fond, 9 avril 1949, affaire du
détroit de carfou, Rec.1949, P.4
96 C.I.J, A.C., 27 juin 1986, affaire des
activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci, Rec.1986, P.14
97 C.I.J.A.C, 20 juillet 1962, affaire relative
à certaines dépenses des Nations Unies, Rec. 1962, p.151
Certes, le principe général est l'interdiction
du recours à la force, mais on peut envisager des situations où
l'emploi de la force sera exceptionnellement considérée comme
licite.
On peut citer les opérations de maintien de la paix et
sécurité internationales ordonnées par le Conseil de
sécurité des Nations Unies (I), du consentement de l'Etat (II),
de la légitime défense individuelle ou collective (III), dans le
cas d'une intervention strictement humanitaire et non discriminatoire (IV).
§ 1. Les opérations fondées sur les
résolutions du CSNU
L'ONU utilise le chapitre VII en cas de risque de conflit
armé (A) et lors des violations des droits humains
considérées comme menace contre la paix (B).
A. Les risques de conflit armé (CAI/CANI)
Malgré le principe de l'article 2, paragraphe 7,
consacrant la non-intervention par l'ONU dans les affaires intérieures
d'un Etat, le Conseil de sécurité n'hésite plus à
s'immiscer dans les affaires intérieures des Etats, compliquant
singulièrement l'action de l'ONU. Le summum de la complexité d'un
conflit interne, est bel et bien l'ex-Yougoslavie, où une série
des conflits enchevêtrés ont fini par avoir une double dimension :
conflits armés non internationaux (CANI) et conflit armé
interétatique (CAI), au sens des conventions de Genève de 1949 et
les protocoles additionnels de 1977. Il reste que la motivation des
interventions de l'ONU, en cas de menace contre la paix à
l'intérieur d'un Etat, peut être la violation des droits de
l'homme, la violation grave du droit humanitaire ou la violation de la
démocratie.
Le maintien de la paix interne a amené les Nations
Unies à intervenir, à titre humanitaire, dans des contextes
différents tels que la Somalie, le Rwanda, l'ex-Yougoslavie, où
des violations graves du droit humanitaire s'étaient produites.
B. Les violations des droits humains comme menace
contre la paix Le Conseil de sécurité peut par ailleurs qualifier
des violations
massives des droits de la personne de « menace contre
la paix et la sécuritéinternationales », et
autoriser alors une intervention armée (article 42 de la
charte des Nations Unies). Il l'a fait à plusieurs
reprises. La plupart des opérations présentées comme des
réalisations du a droit d'ingérence humanitaire )) ne sont donc,
si on y regarde de plus près, que des applications de mécanismes
juridiques existants. Il est donc totalement erroné de prétendre
que le Droit international traditionnel est incompatible avec une protection
efficace des droits de la personne. En réalité, le
problème est le plus souvent moins juridique que politique, dans la
mesure où ce ne sont pas de nouvelles règles juridiques qui
permettront d'améliorer la situation, mais une meilleure utilisation des
règles existantes.
Les droits de l'homme font l'objet d'une internationalisation
progressive. Le conseil de sécurité a reconnu qu'une violation
massive des droits de l'homme pouvait désormais fonder sa
compétence sur la base de chapitre 7. Dans la résolution 688
(199), le Conseil de sécurité a admis que : a La
répression des populations civiles Irakiennes dans de nombreux parties
de l'Irak, a conduit à un flux massif des réfugiés vers
les frontières internationales et à travers celles-ci des
violations de frontière qui menacent la paix et la
sécurité internationale dans la région )).
Autrement dit, le caractère massif de violation des
droits de l'homme crée le crime contre l'humanité. Dès
lors, la violation des droits de l'homme devient un acte de portée
internationale.
Le comportement d'un Etat envers une partie de sa population
n'est plus une affaire intérieure, bien que la résolution 688 se
réfère à l'article 2, alinéa 7 de la Charte : a
Aucune disposition de la présente charte n'autorise les Nations Unies
à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la
compétence nationale d'un Etat ni n'oblige les membres à
soumettre des affaires de ce genre à une procédure de
règlement aux termes de la présente charte ; toutefois, ce
principe ne porte en rien atteinte à l'application des mesures de
coercition prévues au chapitre VII )).
Les multiples violations des droits de l'homme et des peuples
dans l'exYougoslavie ont conduit aussi le Conseil de sécurité
à les condamner. Dans la résolution 770 (1992), il exhorte les
Etats membres à intervenir pour faciliter l'acheminement des secours aux
victimes du conflit en Bosnie-
Herzégovine et exige l'accès des organisations
humanitaires aux camps d'internement créées dans la
région.
Lors du drame de Kosovo, il a visé dans la
résolution 1199 (1998), « les informations faisant état de
la multiplication des violations des droits de l'homme et du droit
international humanitaire, et (...) la nécessité de veiller
à ce que soient respectés les droits de tous les habitants du
Kosovo ».
Partant de ce principe, le Conseil de Sécurité
en a consacré un autre : celui « d'accès aux victimes dans
le respect de la neutralité et de l'impartialité ».
Dès lors, les Nations Unies autorisent les Etats à intervenir
auprès des victimes, en utilisant leurs forces armées si besoins
est, pour leur fournir une assistance directe, protéger les populations
civiles ou rétablir un minimum de sécurité pour qu'elles
retrouvent des conditions de vie normales. Malgré la consécration
textuelle d'un droit d'intervention dans un but humanitaire, le Conseil de
sécurité n'a pas utilisé ses pouvoirs coercitifs dans le
Kurdistan irakien car l'ONU avait conclu un mémorandum d'accord avec
l'Irak le 18 avril 1991, pour obtenir son consentement. Dans l'affaire du
Kosovo, en revanche, l'OTAN est le seul maître à bord au
détriment de l'ONU, quitte à invoquer subtilement le principe
d'accès aux victimes lors des crises caractérisées par des
violations graves du droit humanitaire.
Les mécanismes de sécurité collective,
institués par la charte des Nations Unies, constituent l'exception la
plus remarquable du principe d'interdiction du recours à la force.
Aux termes de l'article 42 de la charte des Nations Unies,
« le Conseil de sécurité a la faculté de Droit
d'entreprendre, au moyen des forces aériennes, navales ou terrestres,
toute action qu'il juge nécessaire au maintien ou rétablissement
de la paix et de la sécurité internationales »98.
On remarque que la charte laisse au Conseil de sécurité un
large choix en ce qui concerne l'appréciation de l'opportunité et
la mise en oeuvre d'actions armées. Le Conseil de sécurité
dispose d'un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne
98 Article 42 (chapitre VI) de la charte des
Nations-Unies, documents d'études, N°3.02, La documentation
française, Paris, 2001, p.7
l'appréciation de l'existence ou non d'une menace
à la paix et la sécurité internationales.
Si, selon l'appréciation du Conseil de
sécurité, il existe une menace à la paix et la
sécurité internationales, l'Etat touché par l'action
armée ne pourra pas évoquer le principe de non-intervention
prévu par l'article 2§4 de la charte.
L'action armée décidée par le Conseil de
sécurité sera alors justifiée par l'article 42,
méme si elle concerne des affaires relevant du domaine
réservé d'un Etat membre. Ainsi, de simples troubles internes ou
une guerre civile, dans lesquels n'interviendrait aucune violation du droit
international, pourraient donner l'occasion au Conseil de
sécurité d'engager une action militaire, à condition qu'il
qualifie la situation de menace à la paix ou à la
sécurité internationales. Peu importe alors si la situation
concerne des affaires qui relèvent du domaine réservé d'un
Etat membre, du moment où le conseil dispose de la faculté de la
qualifier ou non de menace contre la paix.
C'est ainsi, que le Conseil, dans le cadre de la crise
Libyenne, qualifie la situation en cause de menace à la paix et à
la sécurité internationales et prend des mesures coercitives,
même si le domaine visé relève des affaires internes
libyennes. Ainsi, le Conseil de sécurité, en l'espèce,
base sa compétence sur les risques de rupture de la paix.
De facto, le Conseil de sécurité, d'un outil de
conciliation et de maintien de la paix, devient un instrument de guerre. La
déclaration commune Sarkozi, Obama, Cameron de 15 avril 2011 est
significative : « il ne s'agit pas d'évincer Kadhafi par la force
», mais « tant que Kadhafi sera au pouvoir, l'OTAN... doit maintenir
ses opérations ».
Le recours à la force armée et aux bombardements
intensifs sur les villes et voies de communication n'ont qu'une seule
finalité : assister le CNT de Benghazi et liquider le régime de
Kadhafi, avec la promesse d'une contre partie pétrolière à
l'issue du Conflit99.
99 C'est ainsi que dans les villes de Tripoli, Syrte
et Shebba aucune opposition ouverte ne s'est manifestée entraînant
une forte répression des civils : ces villes ont néanmoins
été intensément bombardées.
La liberté d'action du Conseil en matière de
sécurité collective est donc presque sans limite. Seule la
théorie de l'abus de droit ou de l'application arbitraire et contraire
à l'esprit de la charte pourrait limiter le Conseil dans son action.
Mais pour le moment, il existe aucun précédent même si le
Conseil a été fortement critiqué pour la manière
dont les résolutions concerna la Libye ont été
conçues.
On peut souligner tout d'abord que ces résolutions sont
d'une nature contradictoire. Elles font référence à la
souveraineté et à la non ingérence tant en «
autorisant » les Etas membres des Nations Unies à prendre le toutes
mesures nécessaires » pour la protection des civils, « tout en
excluant le déploiement d'une force d'occupation étrangère
sous quelque forme que ce soit et sur n'importe quelle partie du territoire
libyen », étant entendu que les seuls vols autorisés
au-dessus du territoire sont d'ordre humanitaire ; alors les avions de l'OTAN
sont-elles aussi humanitaire.
En second lieu, ces résolutions disant tout et leur
contraire (les Nations Unies jamais mis en place le comité d'état
major et la police internationale prévus par la charte, créent
les conditions d'une intervention de l'OTAN dont les déclarations
officielles et les objectifs évoluent très vite de la dimension
« protectrice » à la dimension destructrice du régime
de Tripoli.
Ce pouvoir presque sans limite du Conseil pourrait être
considéré comme un véritable droit d'ingérence. On
pourrait encore qualifier le mécanisme de la sécurité
collective comme un devoir d'ingérence, dans la mesure où le
Conseil a la responsabilité selon l'art 24100 de la charte,
du maintien de la paix.
Plus concrètement, on peut rappeler que les droits de
la personne ne relèvent plus du domaine réservé des Etats
et que, si le Conseil de sécurité le juge opportun, il peut
décider que leur violation massive constitue une menace à la paix
et à la sécurité internationales.
On appréhende alors que les mécanismes de
sécurité collective sont strictement réglementés
par la charte des Nations Unies et instituent le seul Conseil de
sécurité en titulaire d'un droit d'ingérence.
100 L'art 24 prévoit que : « ...les membres
confèrent au conseil la responsabilité principale du maintien de
la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent en
s'acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le conseil
de sécurité agit à leur nom.
Le droit d'ingérence, on pourrait dire, existe
seulement au profit d'un organisme unilatéral et non au profit des Etats
agissant individuellement. En donnant le droit d'intervenir exclusivement au
Conseil, la charte exclut les Etats d'une action individuelle. C'est ainsi que
la défense des valeurs universelles telles les droits fondamentaux de la
personne reste réservée à une organisation à
vocation universelle qui est l'ONU.
Il faut en outre rappeler que les auteurs fondateurs de la
doctrine du droit de l'ingérence humanitaire n'envisageaient qu'une
intervention armée collective. Par ailleurs, d'autres auteurs
considéraient que la défense des droits aussi importants que les
droits de la personne ne pourrait pas être effectuée que par une
collectivité d'Etats.
La charte des Nations Unies offre une solution adéquate
à des violations graves des droits de la personne
réalisées à l'intérieur d'un Etat en permettant au
Conseil de sécurité d'intervenir et d'y mettre fin. Cependant, on
a souvent mis en cause la passivité du Conseil de sécurité
malgré le grand nombre de moyens techniques dont il dispose.
En pratique, cette disproportion entre les moyens techniques
existants et l'absence de leur utilisation par le Conseil, existera quelle que
soit la méthode de sécurité collective envisagée.
En plus, on a déjà montré que les précédents
où les Etats se sont unilatéralement réclamés
d'intérêts humanitaires correspondaient rarement à une
nécessité d'intervenir militairement pour défendre les
droits de la personne.
En effet, l'article 43 de la charte, qui prévoit que
les Etats membres s'engagent à la disposition du Conseil des forces
armées, n'a jamais été appliqué. Aucune
réelle force des Nations Unies n'a pu être mise sur pied pour
mener des actions militaires. Jusqu'à maintenant, chaque fois que le
conseil décide d'intervenir militairement, il procède à
une sorte de délégation de l'exercice de son droit, en autorisant
ses membres d'agir à son nom.
C'est ainsi, que le Conseil de sécurité par sa
résolution 1973 du 17 mars 2011, autorisait les Etats membres «
à prendre toutes mesures nécessaires, pour protéger les
populations et zones civiles menacées d'attaque
en Jamahiriya arabe libyenne (...) »101.
En l'espèce, le Conseil de sécurité a
décidé d'utiliser la force et a recouru à la technique de
la délégation de l'exercice de son droit.
Il convient de préciser que cette technique ne consiste
pas en une délégation du droit d'agir militairement
lui-même. Seul le Conseil peut prendre une décision et l'action
des Etats membres est strictement limitée aux termes de celle-ci. Dans
le cadre des opérations menées en vertu des résolutions,
la responsabilité propre des Etats membres peut être
engagée. Les Etats membres ne sont pas libres d'agir selon leurs
intéréts, mais ils ont l'obligation de mettre à la
disposition du Conseil les moyens nécessaires pour réaliser ses
objectifs prévus par la charte. Le pouvoir discrétionnaire de
mener des mesures militaires n'appartient donc qu'au Conseil de
sécurité.
Par ailleurs, d'autres interventions peuvent avoir lieu avec
le consentement de l'Etat victime.
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