CHAPITRE II : ANALYSE CRITIQUE DE L'INTERVENTION
DE L'OTAN EN LIBYE
L'action humanitaire, dont le droit à l'assistance est
reconnu et consacré par le droit international humanitaire, tire ses
fondements juridiques des conventions de Genève de 1949 et de leurs
protocoles additionnels de 1977.
Elle est cette forme de coopération qui appel à
la nécessité de venir en aide aux victimes des conflits
armés et des catastrophes naturelles et industrielles. Visant à
soulager partout la misère et la souffrance des hommes, elle met en
avant l'homme en tant que sujet, heurtant ainsi de font le sacro-saint principe
de souveraineté et de non-ingérence qui régit les
relations entre les Etats et que proclament encore le droit international, les
résolutions de l'Assemblée Générale des Nations
Unies et du Conseil de sécurité. Mais que faire pour aider les
hommes qui sont massacrés par leur propre gouvernement ? Voilà la
question qui pousse l'action humanitaire vers l'ingérence
c'est-à-dire vers une nouvelle conception de la souveraineté des
Etats. Celle-ci doit s'assouplir et se remodeler quand la souffrance
humanitaire lance un cri d'appel.
Mais aujourd'hui, force est de constater que ce grand
élan d'amour, de générosité et de
solidarité, issu de la grandeur du coeur des hommes s'est perverti et
transporte désormais avec elle des arrière-pensées, des
non-dits, des égoïsmes, bref des motivations inavouées et
inavouables. Cela s'est traduit par la Kyrielle de mots et de combinaisons
qu'exprime aujourd'hui l'ingérence humanitaire et qui cachent mal ses
motivations profondes. D'une part, nous avons les mots droit, devoir,
obligation et, d'autre part, assistance, intervention, ingérence qui
peuvent se combiner en un florilège d'expressions auxquelles il faut
adjoindre le qualificatif humanitaire ; droit d'assistance, d'intervention ou
d'ingérence humanitaire, devoir d'assistance, d'intervention, ou
d'ingérence humanitaire, etc.
Dans ce chapitre, nous allons analyser les fondements de
l'intervention (SECTION I), mais aussi les exceptions au principe de non
intervention (SECTION II).
SECTION I. ANALYSE DES FONDEMENTS
Dans cette section, il sera question de faire l'analyse du
fondement doctrinal (I), et l'absence d'un fondement juridique incontestable
(II). Mais avant d'en arriver voyons d'abord le fondement doctrinal.
§1. Le fondement doctrinal
Par fondement doctrinal nous entendons la morale
internationale et la solidarité humaine (A) mais aussi
l'idéologie des droits de l'homme (B).
A. La morale internationale et la solidarité
humaine.
Les partisans de la doctrine du droit d'ingérence
basent leur argumentation juridique sur l'examen de la pratique contemporaine
des interventions armées. Depuis la deuxième guerre mondiale, on
assisté à une riche pratique d'interventions armées.
Mais, le fait de constater une telle pratique ne peut
démontrer que le principe de non recours à la force soit
assoupli. En elle-même, cette pratique ne suffit pas pour établir
une coutume. C'est dans ce sens que la CIJ, dans l'affaire des «
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et
contre celui-ci, considère que pour déduire
l'existence d'une règle coutumière, iiest suffisant
que les Etats y conforment leur conduite de manière
générale.
Pour la Cour alors, la pratique ne peut être prise
en compte que si elle illustre un accord entre les Etats, qui constitueraient
une opinio juris démontrant l'existence d'une règle
coutumière.
Mais, la doctrine favorable au droit d'ingérence
armée unilatérale évoque des cas particuliers
d'interventions armées afin d'appuyer son argumentation. Le
problème qui se pose est d'examiner les précédents
évoqués tout en essayant d'isoler les considérations
politiques des véritables positions juridiques. Ceci est beaucoup moins
évident lorsque les Etats intervenants se réfugient
derrière des motifs d'ordre humanitaire pour justifier une intervention
armée unilatéral.
Un des précédents, évoqués par la
doctrine favorable au droit d'ingérence armée humanitaire et
qu'on va voir, est l'intervention de la
Tanzanie en Ouganda en 1979. En fait, au mois de janvier 1979,
les troupes tanzaniennes pénètrent sur le territoire Ougandais.
Le président Nyerere déclare que le gouvernement d'Amin Dada est
un gouvernement des « voyou » et que le peuple Ougandais dispose bien
du droit de le renverser. Quelques mois plus tard, un nouveau gouvernement est
formé, (après coopération des troupes tanzaniennes avec
les rebelles ougandais), et déclare qu'il va défendre les droits
de la personne.
Pour les auteurs favorables au droit d'ingérence
humanitaire, l'intervention en question vient appuyer la doctrine de
l'intervention d'humanité puisque la motivation des Etats intervenant
était de lutter contre un régime tyrannique qui violait les
droits humains. C'est ainsi, que Teson prétend qu'il s'agit, ici du
précédent le plus claire en faveur du droit d'intervention
armée unilatérale pour des motifs humanitaires69.
Mais, cette intervention dans le cadre de la Tanzanie en Ouganda est loin
d'être justifiée par des considérations humanitaires. D'une
part, le président tanzanien quand les troupes de son pays
pénétraient le territoire ougandais il invoquait
déjà, la légitime défense. Il ne faut pas oublier
quelque semaine avant l'intervention tanzanienne, les troupes ougandaises
avaient pénétré et occupé une partie du territoire
tanzanien. La Tanzanie avait protesté officiellement et avait
déclaré qu'elle ailler riposter (chose qui est faite quelques
semaine plus tard). On voit alors, que le précédent invoque par
la doctrine entre dans la considération humanitaires. C'est ainsi, que
le gouvernement tanzanien a été soutenu de plusieurs Etats.
Un autre précédent, évoqué par la
doctrine, est l'intervention indienne au Bengladesh qui conduit, en 1971, cet
Etat à l'indépendance. Cette action a été
présentée comme une intervention destinée à mettre
fin aux massacres de la population Bengali par les forces pakistanaises.
Là encore, la justification officielle par l'Inde était la
légitime défense, puisque, selon New Delhi, le Pakistan avait
auparavant bombardé des villages sur le territoire indien. Les
considérations humanitaires en l'espèce n'avaient servi
69 (F.R)TESON, Humanitarian intervention : au
inquiry into law and morality, Dobbs ferry (New York), Transnationale
Publishers, 1988, pp.167-168
que pour convaincre politiquement les autres Etats et non
comme fondement juridique.
On pourrait encore évoquer, comme exemple,
l'intervention des Etats-Unis à la Grenade en 1983. En l'espèce,
les représentants américains ont mis l'accent sur les motivations
humanitaires. Cependant, les Etats-Unis ont basé leur défense sur
d'autres arguments sans rapport avec la notion d'intervention humanitaire.
Selon les américains, l'intervention était justifiée par
l'appel du gouverneur général de la Grenade, en donnant une
autorisation à l'organisation régionale des caraïbes et pour
la protection des ressortissants américains établis sur
l'île. Il faut enfin, souligner que cette intervention a fait l'objet
d'une large condamnation internationale et elle a été
condamnée en 1983, par la résolution 38/7 de l'Assemblée
générale.
Par contre, la guerre de Libye a lourdement malmené le
droit humanitaire. La « protection des populations civiles » est
demeurée une notion abstraite au détriment des Libyens
transformés en victimes des bombardements, du racisme et de la
xénophobie, en miliciens armés par l'étranger ou par
l'Etat, en personnes déplacées fuyant les lieux de combat. Un
phénomène de fuite hors du territoire Libyen de centaines de
milliers de travailleurs étrangers, dans les pires conditions de
précarité, s'est ajouté dans une quasi indifférence
des Etats occidentaux et dans l'impuissances des Etats voisins.70
Les opérations de l'OTAN dont la force de frappe a
été constituée par l'armée française, son
aviation et ses services spéciaux, n'ont rien respecté le droit
humanitaire, quelques que soient les réactions de vertu outragé
d'un Juppé lorsqu'on « ose » lui signaler les victimes civiles
libyennes des bombardements de l'OTAN71.
Le rapport Libye : un avenir incertain. Compte rendu de
mission d'évaluation auprès des belligérants libyens
(paris, mai 2011) établi par une
70 R.CHARVIN, L'intervention en Libye et la
violation de la légalité internationale : un retour à la
pseudo « morale internationale » du XIXe siècle,
Décembre, 2011, p.5-6
71 Le professeur Gérand de la pradelle
dénonce le comportement de certains juristes Occidentaux qu'expliquent
aux Etats major des armées et parfois aux officiers engagés sur
le terrain comment contourner les « obstacles » dressés par le
droit humanitaire qui contrarie les pratiques militaires « efficaces
». Cf. « Des faiblesses du droit humanitaire. Etats puissants et
mouvements de résistance, sous la dir.D.Lagot, l'Harmattan, 2010, p33 et
S.
délégation d'experts (dont Y.Bounet), sur lequel
les médias ont fait silence quasi absolu, a constaté que la
révolution libyenne n'est pas une révolte pacifique, que les ((
civils », dès le 17 février, étaient armés et
qu'ils ont attaqué les bâtiments civils et militaires de Benghazi
: il n' y a pas eu en Libye de grandes manifestations populaires pacifiques
réprimées par la force.
En tant que juriste, la première observation qui
s'impose est le silence assourdissant des internationalistes, de la même
nature que celui qui a pour le moins hypothèque la scientificité
de leurs jugements pour l'Irak, le Kosovo72, l'Afghanistan ou la
Côte d'Ivoire, par exmeple. La doctrine dominante chez les
internationalistes demeure (( impassible )) : les manuels les plus
récents ne témoignent d'aucune inquiétude, bien qu'ils
évitent d'illustrer leurs propos académiques d'exemples non
exemplaires.
Pour nombreux d'entre eux, les doctes professeurs de droit
international, se sont fait ultra-cicéroniens : (( Summum jus, summa
injuria )). Pour Cicéron, en effet, un (( excès )) de droit
amène les pires injustices. Alignés derrière le personnel
politique majoritaire en Occident, les juristes considèrent que le droit
international lorsqu'il limite par trop le (( messianisme )), y compris
guerrier, des Etats-Unis, de la France, de la Grande Bretagne, devient
destructeur des valeurs civilisatrices dont il est porteur. L'idéologie,
qu'ils récusent formellement pour eux-mêmes, est
omniprésente dans leurs analyses : (( la légitimité ))
prend le pas sur la (( légalité )), ce qui, pour les juristes,
peut surprenant73.
En réalité, ils admettent implicitement que les
Etats occidentaux s'autorégulent dans l'intérêt du bien
commun. Il ne s'agit pas d'un mépris de la légalité chez
ceux qui se réclament hautement de (( l'Etat de droit )) : pour ces
juristes, les puissances occidentales se situent (( au-dessus » d'un ((
juridisme inadapté )) au nom de la (( mission » supérieure
qu'ils se doivent d'accomplir soins entraves. Etant donné l'inconvenance
qu'il y a à mettre en cause la politique étrangère des
Etats-Unis et leur conception anti-
72 Le professeur Guilhaudis, par exemple, dans son
manuel de relations internationales contemporaines, Litec.2002, ose intituler
un paragraphe « l'interminable éclatement violent de la
Yougoslavie, malgré l'ONU et l'OTAN, p.730
73 R.CHARVIN, op.cit, p.7
multilatéraliste, on ne saurait faire non plus le
procès des autorités françaises lorsqu'elles justifient
(depuis le « Bettato-Kouchnérisme » qui a fait florès)
leurs ingérences au détriment de la souveraineté des
petits et moyens Etats au nom des droits humains.
Le président Sarkozy a poussé très loin
le « Bettatisme », en 2010-2011, lorsqu'il a étendu le champ
de l'ingérence au contentieux électoral : la France s'est
méme faite, aux côtes des Etats Unis et de l'ONU, juge
constitutionnel en lieu et place de l'instance ivoirienne compétente
pour user en définitive de la force armée afin de changer le
régime d'Abidjan, y compris au prit d'une tentative d'assassinat du
président Laurent Gbagbo74.
La crise libyenne est allée encore au-delà :
elle a permis de consacrer la notion de « révolution
démocratique » parmi les causes légitimant la mise à
l'écart de la légalité internationale. Les juristes
rétablissent ainsi la vieille conception qui distinguait jusqu'au milieu
du XXe siècle (voir les démonstrations du professeur
Le Fur, par exemple, dans les années 1930-1940) les sujets relevant du
droit international et ceux inéligibles à ce méme droit,
créant ainsi les conditions d'une nouvelle hégémonie
impériale Occidentale.
Néanmoins, la distance pouvant séparer la
pensée juridique dominante et les positions politico-médiatique
officielles tendant à disparaître, le droit international des
manuels et des revues académiques demeurent un long fleuve tranquille,
à l'image des pages de Wikipédia qui lui sont
consacrées75.
Les éminents auteurs se consacrent aux problèmes
techniques de l'Union Européenne, « planète » plus
politiquement sérieuse, tandis que d'autres, tout aussi éminents,
notent « la résistance des souverainetés devant les
progrès du droit international ».
A l'occasion d'événements récents, et
surtout à partir du moment où les troupes occidentales
interviennent en Afrique, certains
74 Une procédure a d'ailleurs
été ouverte en France contre l'armée Française pour
« tentative de meurtre de L. Gbagbo ~. L'arrestation du président
ivoirien s'est en effet produite par la collaboration des forces
françaises et ivoiriennes, après un intense bombardement par la
force de la Licorne de la résidence de Laurent Gbagbo.
75 Cf. R.CHARVIN, De la prudence doctrinale face aux
nouveaux rapports internationaux, in Mélanges Touscoz, France Europe
Editions, 2007, p.18.
auteurs commencent à parler de la remise en cause de la
prohibition de l'intervention humanitaire. Ainsi, Bernard Kouchner
affirmait que le droit d'ingérence, comme un retour de morale, a
trouvé chez les Kurdes du Nord de l'Irak sa première application
officielle76.
On ne peut en aucun cas prétendre qu'il serait licite
pour un Etat de massacrer sa propre population sous le prétexte que tout
ce qui se passe à l'intérieur des frontières relève
des ses affaires intérieurs.
De nombreux juristes ont fortement critiqué la
conception du droit international traditionnel que véhiculent les
auteurs favorable au droit d'ingérence. La totalité des Etats ont
formellement reconnu qu'ils devaient respecter des droits fondamentaux comme le
droit à la vie, le respect de l'intégrité physique ou
l'interdiction du génocide, à l'égard de leurs propres
ressortissants et donc sur leur propre territoire. C'est « souverainement
» qu'ils ont décidé de s'engager, et c'est dès lors
« souverainement » qu'ils doivent respecter leurs obligations.
En cas de violation massive, on peut mettre en oeuvre des
rétorsions ou des représailles sur les plans politique,
diplomatique, économique ou financier. Par exemple, un embargo est
envisageable, même en dehors d'une intervention de l'ONU, à
l'égard d'un Etat ou d'un groupe contrevenant aux droits les plus
élémentaires de la population.
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