SECTION III : DU RECOURS A LA FORCE DANS LES RELATIONS
INTERNATIONALES ET L'INGERENCE HUMANITAIRE
Pour la première fois dans l'histoire, le pacte de la
SDN a réduit le droits de Etats, jusque là entièrement
discrétionnaire, de recourir à la guerre pour régler leur
différends. Le jeu combiné des articles 12,13 et 15 du pacte
mettait sur pied un système compliqué dit de « moratoire
de guerre » qui, en cas de violations, pouvait être assorti de
sanctions économique ou militaire( Art 16) »54 Pour
l'essentiel, ce système consistant à rendre illicite les recours
à la guerre en cas des différends ne portait pas sur le «
domaine réservé des Etats » et pendant la durée de
son examen soit par la CPJI, soit par des arbitres soit encore le conseil de la
SDN le recours préalable à l'une de ce trois procédure
étant obligatoire.
Le célèbre pacte Briand-Kellogg du 26 août
1928 allait beaucoup plus loin dans la mesure où il mit la guerre «
hors la loi » internationale. Son article 1 disposait en effet que les
« hautes parties contractantes... (Condamnaient) le recours à
la guerre pour le règlement des différends internationaux, et y
(renonçaient) en tant qu'un instrument de politique nationale dans leurs
relations mutuelles »55. Ce pacte, méme s'il devait
connaître des violations flagrantes et nombreuse que l'on sait, allait
être accepté par tous les Etats et servir de base aux dispositions
de la charte de l'ONU en la matière.
52 REC.1986, P.109,§209
53 P.M. DUPUY, Op.cit, P;110
54 DOMINIQUE CARREAU, Droit international,
4e ed. Pedone, Paris, 1994, P.23
55 Ibidem
C'est dans cette optique que les partisans de la doctrine
« droit d'ingérence humanitaire » s'appuient sur une
interprétation de l'article2§4 de la charte de l'ONU, qui interdit
le recours à l'emploie de la force » soit contre
l'intégrité territoriale ou l'Independence politique de tout
Etat, soit de toute autre manière incompatible avec le but des Nations
Unies, pour soutenir que la règle de l'interdiction du recours à
la force ne pourrait pas concerner les interventions humanitaires.
D'après cette interprétation de l'article
2§4 de la charte, certains recours à la force sont permis. Si on
raisonne de cette façon, les recours qui ne sont pas dirigés
« contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance
politique d'un Etat » ou qui ne s'opèrent pas « de toute autre
manière incompatible avec le but de nation Unies », sont
autorisés56. Par conséquent, les actions armées
destinées à mettre fin à des violations de droits de la
personne seraient légitimes, puisque la protection de ces droits
constitue un des buts des Nations Unies.
Les auteurs favorables aux droits d'ingérence
humanitaire admettent sa mise en oeuvre moyennant le respect de certaines
conditions. En aucun cas ils n'assimilent le droit d'ingérence à
une compétence discrétionnaire d'intervenir militairement
dès qu'ils considèrent que les droits de la personne sont
menacés ou même violés dans un autre Etat.
Parmi les conditions évoquées par les auteurs de
la doctrine du droit d'ingérence humanitaire, figurent le critère
du but de l'action armée. Selon eux c'est le but humanitaire qui
légitime une intervention armée.
Charles Rousseau, dans son manuel de droit international
public, définit généralement l'intervention
d'humanité comme l'action exercée par un Etat contre un
gouvernement étranger « dans le but de faire cesser le traitement
contraires aux lois de l'humanité qu'il applique à ses propres
ressortissants »57.
56 M.BETTATI, « Un droit
d'ingérence ? » R.G.D.I.P, Tome 95, 1991/3, P.649
57 C. ROUSSEAU, Droit international public,
Paris, Sirey, 1980, tome IV, P.49
Dans le même esprit Perez-Vera considère que
« l'intervention humanitaire doit remplir la condition essentielle de
la poursuite exclusive de l'intérêt humanitaire par l'Etat qui
prétend en être le protecteur »58.
Antoine Rougier de son coté, subordonne la
licéité d'une intervention d'humanité à la
circonstance que l'Etat intervenant est relativement
désintéressé. Pour lui l'intervention d'humanité
est par définition désintéressée. Il
considérait que : « l'intervention cesse d'être
désintéressé lorsque l'intervenant a un
intérêt à dépasser les limités où
devraient se tenir son action »59.
Ces critères du but humanitaire de l'action
armée a été mentionné par tous les auteurs
favorables au droit d'ingérence humanitaire mais il est loin
d'être le seul à être mis en exergue.
Les auteurs de cette tendance doctrinale considèrent,
tout d'abord, que les droits de la personne doivent avoir été
gravement violés dans l'Etat visé par l'intervention
armée. Cette condition a déjà été
formulée par Arentz, un des créateurs du concept d'intervention
d'humanité. Arentz légitimait le Droit d'intervention
lorsqu'un gouvernement violait les droits de l'humanité par « des
excès d'injustice et de cruauté qui blessent profondément
nos moeurs et notre civilisation »60.
En 1934, Georges Scelle estimait à propos des
interventions de l'humanité dans l'empire Turc, que la
légitimité de ces actions s'explique par la
nécessité de maintenir l'ordre public international, face
à l'explosion de fanatisme religieux »61
Ainsi, étaient légitimes à cette
époque les interventions contre tout gouvernement qui viole le droit de
l'humanité par des excès d'injustice et de cruauté envers
certaines catégories de sujets au mépris de la loi de la
civilisation. Sur cette base se fonde l'intervention de la France, mandataire
de puissance, en 1860, en Syrie, pour sauver les minorités
massacrées. Georges Scelle va plus loin et n'hésite pas
à reconnaître la légitimité d'intervention
armées entreprises par le gouvernement pour assurer le respect
58 E. PEREZ-VERA, E., « La protection
d'humanité en droit international », R.B.D.I, 1969, p.417
59 A. ROUGIER, « La théorie de
l'intervention d'humanité », R.G.D.I.P., 1910, pp 502-503
60 G. ROLIN-JACQUEMYNS, Note sur la théorie
du droit d'intervention », R.D.I.L.C., 1986, P.675
61 G. SCELLE, Précis du droit des
gens, vol 2, Sirey, Paris, 1934, p50
d'un certains nombres de règles fondamentales du
droit international commun, comme le respect de la personne humaine, de sa vie
de ses libertés, de sa propriété.62.
Cette condition de violation grave des droits de la personne a
été reprise par l'ensemble des tenants du droit
d'ingérence humanitaire. Par exemple, Perez-Vera parle de crime
spécialement révoltant, d'une Cruauté extrême, et
que la complicité gouvernementale laisse impunis, ou encore des
massacres à blaiser la conscience de l'humanité.
D'autres critères ont encore été
mentionnés par la doctrine, ou par certains, voie un seul de ses
représentants. Rougier par exemple, a prétendu que l'Etat auteur
de l'intervention d'humanité ne pouvait agir que conjointement avec
d'autre Etats. Arntz et Rolin-Jacquemyns vont plus loin dans leurs
raisonnements et admettent l'intervention seulement si elle est exercée
par une organisation internationale. A l'opposé, d'autres auteurs
justifient un droit d'ingérence armée humanitaire à tout
Etat, qu'il agisse individuellement ou collectivement. A ce propos, Bernard
Kouchner prend une position contradictoire puis qu'il affirme, d'une part,
de manière générale que l'ingérence ne peut se
mener au nom d'un Etat, mais doit être collective et, d'autre part, il
qualifie de licites63 des opérations militaires
menées de manière unilatérale sans le consentement du
Conseil de sécurité telle l'opération « provide
confort » qui s'est déroule en avril 1991 dans le Kurdistan
Iraquien.
Teson considère qu'une condition essentielle d'une
intervention humanitaire est que les victimes de violations de droits de la
personne demandent et acceptent l'invasion
étrangère64. En fin, Verwey insiste de
manière générale sur les conditions de
nécessité et proportionnalité.
Sur le plan de la définition du droit
d'ingérence humanitaire et sans s'interroger sur le fondement de la
doctrine, on peut émettre certaines réserves. D'une
manière générale on pourrait dire que son contenu reste
imprécis. Le droit humanitaire consiste à légitimer une
intervention armée
62 G. SCELLE, Droit International Public, Ed.
Domat Montchrestien, paris, 1994, p.622
63 B. KOUCHNER, Le malheur des autres, Paris,
Editions Odile Jacob, 1991, p.291
64 F.R.TESON Humanitarian intervention: An inquiry
into low and morality, Dobbs ferry/New York,Transnational Publishers,
1988, pp 119-120
afin d'aider une population qui a besoin d'être secouru,
même si le pays « hôte » devait s'y opposer. Le concept
de droit d'ingérence humanitaire a tenté d'encourager et
justifier le recours à la force internationale prévue dans le
cadre des Nations Unies pour protéger les populations menacées
à l'intérieure de leurs propres frontières. Les Etats ont
depuis de siècle tentés de justifier leurs interventions
armées dans les affaires intérieures des autres Etats par des
motifs tels que la défense de droit de l'homme, la défense de
minorité, celle de leurs ressortissants expatriés ou d'autres
motifs d'humanité.
On voit ainsi, que le contenu de cette tendance doctrinale et
non seulement imprécis mais il laisse surtout, la porte ouverte à
tous les abus. C'est évidement quant à la condition, essentielle
pour cette tendance doctrinale du but humanitaire de l'intervention
effectuée.
On voit mal comment un Eta s'engagerait à une action
militaire avec tous les risques que cette action comporterait (perte
potentielle en homme et en matériel), dans un but
désintéressé. Pour tant certains auteurs comme Perez-Vera
et Rougier parlent de l'exigence de la poursuite exclusive de
l'intérêt strictement humanitaire.
D'autres auteurs prennent conscience que les Etats qui
interviennent en poursuivant parallèlement d'autres objectifs que la
protection des droits de la personne tentent d'élaborer une certaine
hiérarchie et certains critères permettant de dégager un
motif humanitaire prédominant.
Teson a été le premier a élaboré
une hiérarchie afin de dégager un motif humanitaire
prédominant. Pour Teson, une intervention militaire doit être
entreprise dans un but vraiment humanitaire pour être
justifiée. Il reconnaît que le problème est de
formuler certains standards pour mesurer les motifs humanitaires de
l'intervention armée. Premièrement, il estime que l'Etat
intervenant doit limiter son action armée à ce qu'il arrête
la violation des droits de la personne par le gouvernement. En suite, il
souligne que même s'il existe conjointement des motifs non humanitaires,
ceux-ci ne doivent en aucun cas réduire l'objectif principal de
l'intervention qui est d'arrêter la violation des droits de la personne.
En fin, Teson conclue que toute intervention militaire
doit être inspirée par des motifs purement
humanitaires afin de protéger les droits de la
personne65.
Le même auteur se pose aussi une série de
questions afin de déterminé le plus objectivement possible si le
but humanitaire de l'intervention armée en question est vraiment
prépondérant. Il propose de se poser la question de savoir si
l'Etat intervenant a pour but de dominé l'Etat visé ou il agit
pour des raisons vraiment humanitaire.
Il parait, alors, évident que c'est extrêmement
difficile de mettre en oeuvre une « réelle » intervention
humanitaire dans un cas concret. Les questions qui se posent sont multiples. En
particulier, comment peut-on déterminer si l'Etat intervenant cherche
à dominer l'Etat visé ? A quel moment faut-il se placer pour
évaluer la restauration effective des droits de la personne ? Ce n'est
pas vraiment facile de répondre à ces questions et par
conséquent de définir avec précision les critères
du but humanitaire de l'intervention humanitaire.
Le critère de l'importance de violations des droits de
la personne, qui est évoqué unanimement par la doctrine favorable
au droit d'ingérence humanitaire, pose exactement le même genre de
problèmes. En effet, comment peut-on appréhender un crime
spécialement révoltant et qu'est-ce qu'un acte de nature à
violer les lois de l'humanité ? On peut se demander s'il ne s'agit pas
des considérations proches du droit naturel qui peuvent nous amener
à une situation particulièrement dangereuse d'autant plus que
certains auteurs admettent une intervention militaire dés qu'il existe
un danger imminent sans qu'aucune violation n'ait été
constatée.
On a déjà vu que dans la quasi-totalité
des interventions militaires opérées, les considérations
humanitaires étaient loin d'être les seules à les motiver.
Par ailleurs, il faut signaler que les pires violations des droits de la
personne ont laissé ce qui s'en prétendait les défenseurs
sans aucune réaction. D'autre part, il ne faut pas oublier que les
interventions dites « d'humanité » ont souvent causé
plus des victimes qu'ils n'étaient pas censées en
éviter.
65 F.R. TESON, Op.cit., P.15
On comprend alors que ces considérations
démontrent que l'appréciation de l'importance de la violation des
droits de la personne est essentiellement fondée sur des critères
de légitimité qui varie selon les membres de la communauté
internationale.
Si on examine, maintenant les autres facteurs destinés
à démontrer les caractères humanitaires d'une intervention
humanitaire, on va réaliser que ceux-ci donnent lieu à des
controverses. Teson posait comme condition essentielle de la
légitimité d'une intervention armée, la volonté de
la population opprimée de l'Etat visé. Mais, comment et
à partir de quand peuton dire que cette population souhaite l'invasion
étrangère. Ainsi, ce serait à la puissance intervenante
elle-méme d'apprécier et de déterminer la volonté
d'une population.
En réalité, l'établissement des
conditions pour la mise en oeuvre du droit d'ingérence humanitaire,
ainsi que leur appréciation par la doctrine, qui y est favorable, semble
poser un grand dilemme. En effet, on réalise que soit les conditions
sont très souples et on laisse la porte ouverte à des abus, soit
elles sont strictes et aucune situation pratique ne pourra être
recouverte.
D'une part, certains auteurs considèrent qu'il s'agit
de conditions strictes. C'est ainsi que Verwey, après avoir
examiné des cas particuliers le plus divers conclut qu'aucun d'entre eux
ne répond aux conditions de l'intervention humanitaire, et ce
principalement à cause du manque de désintéressement de
l'Etat intervenant66.
D'autre part, d'autres auteurs estiment que les conditions de
légitimité de l'ingérence humanitaire sont très
souples. Teson, par exemple, considère que l'invasion armée
de la Grenade par les Etats Unis en 1983 est justifiée par les
considérations humanitaires. Teson va encore plus loin dans son
raisonnement, et dit que les critères de la violation massive des
droits de la personne serait rempli non seulement en cas de violations
effectives, mais aussi dans l'hypothèse de l'imminence d'une
violation.
Si on prend comme exemple les invasions dites
d'humanité effectuées au cours des dernières
décennies67, on se rend compte que la mise en oeuvre des
conditions évoquées par la doctrine favorable au droit
d'ingérence humanitaire laisse tant de place à des jugements de
valeurs qu'elle suscitera des abus.
En conclusion, on pourrait se référer à
l'article d'Antoine Rougier « la théorie de l'intervention de
l'humanité »68, qui au début du
siècle parle du danger qui pourrait présenter la
génération de l'ingérence humanitaire. Dans son
étude, Rougier parle de l'impossibilité pratique de
séparer les mobiles humains de l'intervention des mobiles politiques. Il
estime qu'à partir du moment où les Etats intervenants sont les
seuls à juger l'opportunité de leur action, ils vont le faire en
fonction de leurs intérêt.
Il continue en disant que tous les jours dans tous les
coins de la planète se commettent des actes de barbarie, mais qu'aucun
Etat ne songe à faire cesser parce que tout simplement aucun Etat n'a
intérêt de les faire cesser. Chaque fois qu'une puissance
intervient dans un Etat au nom de l'humanité, elle le fait pour
l'englober dans sa sphère d'influence politique et en définitive
pour le dominer.
Tout au long de cette section, on a eu l'occasion de voir que
les auteurs favorables au droit d'ingérence humanitaire assortissent sa
mise en oeuvre de certaines conditions. Aucun d'entre eux ne considère
ce droit d'intervention armée humanitaire comme une compétence
discrétionnaire dés qu'il y a des violations des droits de la
personne sur le territoire d'un autre Etat. On a vu aussi que malgré
tout le contenu et la définition de ce droit restent imprécis et
peuvent s'avérer extrémement dangereux.
Mais, les dangers engendrés par la définition
d'une norme n'entraine pas en soit l'absence de validité de cette
dernière. On va essayer alors, dans le deuxième chapitre de faire
une analyse critique de l'intervention de l'OTAN en Libye.
67 On peut évoquer les intervention
armées du Vietnam au Cambodge, de la France en République
Centrafricaine, des Etats-Unis à la Grenade, au Nicaragua ou à
Panama qui ont toutes été motivées officiellement pour des
raisons humanitaires et aujourd'hui le cas de la Libye.
68 A.ROUGIER, La théorie de l'intervention
d'humanité, R.G.D.I.P., 1910, pp 468-526
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