2. 2. 3. 2. La période critique pour une seconde
langue
C'est la difficulté qu'ont les adultes à
apprendre une langue étrangère qui nous amène à
penser que l'acquisition d'une ou de deux langues est limitée dans le
temps. En effet dans notre première partie nous avons établi
différents types de bilinguisme, parmi lequel le bilinguisme tardif qui
s'oppose au bilinguisme précoce selon la période d'immersion dans
la langue. L'enfant développe un bilinguisme hors du cadre familial donc
nous parlerons d'apprentissage, mais le cerveau de l'enfant étant encore
malléable ses capacités d'apprentissage ne dépendent
uniquement pas d'un facteur physique, nous pouvons dire que l'enfant est dans
une période pivot où la limite entre acquisition et apprentissage
est encore fragile et où une relation affective à telle ou telle
langue facilitera son acquisition.
A la base de cette rapidité d'acquisition des deux
langues, chez le bilingue précoce, se trouve le phénomène
de plasticité du cerveau :
« A travers sa plasticité, la synapse serait
en outre à la source de la capacité d'apprentissage. [...] la
synapse est un objet dynamique, susceptible d'être modifié par son
activité ou son inactivité. ». Debru (1987 : 205).
La synapse dans sa dynamique propre, forme une des bases de la
plasticité du cerveau. Changeux17 fait
l'hypothèse que les contacts entre neurones, les synapses,
véhiculent les informations à travers le système. Ainsi
l'acquisition sera une stabilisation sélective de synapses, celles-ci
créant un chemin dans le système. Nous avons une
interdépendance entre les deux : la synapse crée le chemin dans
le système et, le système, par la confrontation au contexte,
oriente le développement de sa structure.
Le processus de myélinisation paraît jouer un
rôle fondamental dans la spécialisation de structures cognitives
propres aux langues présentes dans le contexte, impliquant l'existence
d'une limite dans l'acquisition des deux langues, celle de la fin du processus
de myélinisation. C'est à-peu-près vers l'âge de
sept ans que les connections nerveuses entre
17 Cité par Debru (1987)
les régions du langage dans le cerveau arrivent
à maturation, au-delà de cette période l'acquisition de la
seconde langue se fera avec moins d'aisance et relèvera d'un processus
d'apprentissage.
Grâce à l'avancée technologique et
scientifique de ces dernières années, notamment le
développement des recherches en imagerie par résonance
magnétique, le fonctionnement du cerveau est mieux connu. Un point
important a été mis en évidence : en fonction de
l'âge d'acquisition des deux langues ou d'apprentissage d'une langue
étrangère (chez un public adulte), les zones du cerveau qui sont
sollicitées ne sont pas les mêmes (Fayol et Kail, 2000). En
observant le cerveau d'un adulte bilingue nous remarquons que les zones
sollicitées par la langue seconde se trouvent dans des régions
différentes de la langue maternelle, alors que chez les bilingues
précoces les zones du cerveau sont superposées ce qui signifie
que les langues sont traitées indifféremment l'une de l'autre, ou
plutôt, qu'elles sont traitées par les mêmes systèmes
neuro-cognitifs (Abdelilah-Bauer 2006).
La maturation neuropsychologique entraîne une prise en
compte de l'âge auquel l'enfant est exposé à la seconde
langue : l'exposition à la seconde langue sera traitée
différemment selon le degré de maturation du cerveau et des
processus de myélinisation. Par conséquent les zones du cerveau
mobilisées pour le traitement linguistique bilingue ne seront pas
forcément les mêmes et la vitesse d'acquisition/apprentissage de
la langue seconde sera touchée.
Ainsi, l'interaction avec la seconde langue ne permettra pas
de mobiliser les mêmes structures neuronales et cognitives après 7
ans, et ne permettra plus d'influer sur ces structures et de considérer
que la langue étrangère pourrait être traitée comme
langue maternelle. Il ne serait alors plus possible d'acquérir une
langue maternelle à la fin du processus de myélinisation,
processus pendant lequel l'interaction avec les langues acquises a permis de
spécialiser et stabiliser les structures neuro-cognitives du langage.
Toutefois, il est apparu clairement que les critères de la maturation
cognitive et de l'âge sont fondamentaux pour la classification des
différents types de bilinguisme.
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