Conclusion
Si la plupart des historiens font état d'une
évolution des mentalités au sein de la population pour expliquer
l'explosion du nombre de crimes sexuels touchant des enfants, force est de
constater que l'étendue limitée de la période que nous
venons d'étudier ne permet pas d'en faire de même. A défaut
de pouvoir évaluer les évolutions potentielles en Indre-et-Loire,
nous pouvons dresser un portrait des comportements qui découlent de ces
agressions. On perçoit leur prépondérance à travers
la multitude de témoignages que nous offrent les dossiers de
procédure, où se mêlent courage, peur et couardise.
Ces attitudes invitent a s'interroger sur la place
dévolue a l'enfant dans la société tourangelle de la fin
du XIXème siècle. Par le prisme de ces affaires de
moeurs, nous découvrons des enfants pas toujours surveillés,
à la ville comme à la campagne, et qui partagent parfois les
activités des adultes. Les services qu'on leur demande rendent compte
d'une implication dans la vie quotidienne de la communauté. Sans aller
jusqu'à en faire des êtres comme les autres, celle-ci ne leur
accorde pas le statut qui, en leur reconnaissant une place à part dans
la société adulte, les protègerait comme tels. On voit
donc des enfants circulant au milieu de dangers dont on pourrait sinon les
prévenir, du moins les en éloigner.
Les dossiers de procédure nous offrent bien souvent
l'image d'un entourage dépassé par une situation que personne n'a
voulu envisager. Car assurément on ne peut pas dire que ces personnes
tombent chaque fois des nues. Nous n'avons pas encore étudié les
antécédents de chaque accusé comme nous le ferons par la
suite, mais déjà on peut
constater l'importance de la rumeur, a même
d'occasionner des mises en garde vis-à-vis de tel ou tel individu. Un
peu a la manière de ce qu'on appelle de nos jours la « loi du
silence », les membres de la communauté ne se caractérisent
pas par leur capacité à se tourner vers les forces de l'ordre ou
la justice. Mais ici les causes sont autres : on n'a pas peur, a part dans
quelques cas exceptionnels, de l'homme au coeur des soupçons. On craint
plutôt pour la cohésion du groupe, dans lequel règnent
honneur et réputation. Réputation de la victime d'abord, mais
également de soi-même, ce qui incite à régler les
problèmes en famille, soit par l'infrajudiciaire, soit par des
remontrances, quelquefois par l'intermédiaire du maire.
Il serait regrettable de n'y voir que l'apanage d'une
société rurale arriérée qui persiste a
considérer les viols et autres attentats a la pudeur comme n'appartenant
pas a la caste des crimes qui méritent de sévères
punitions. Mais il faut reconnaître que nombreux sont les cas oü la
jeune victime n'est pas considérée comme l'élément
central de l'affaire. Les incompréhensions entre deux mondes qui se
côtoient se font jour à la suite de ces crimes, et illustrent le
peu de compassion qu'on accorde aux malheureux enfants. Toutefois, même
si elles sont minoritaires, les réactions d'empathie existent au milieu
de tant d'indifférence, et leur provenance est parfois surprenante. Le
beau-père de Sidonie, victime des attouchements du curé du
village, lui reproche de ne rien avoir dit, et alors que la jeune fille de
douze ans se met à pleurer, il la rassure en disant être son
protecteur, son défenseur593. Il rajoute qu'elle est plus a
plaindre qu'à gronder, puis fond également en larmes, comme en
témoigne sa belle-fille : « Mon beau-père fort
impressionné sans doute, de ce que je lui avais dit, pleura beaucoup en
présence de ma mère, car, quoi qu'il soit mon beau-père
seulement, il m'aime je crois beaucoup et me regarde comme sa fille ».
L'amour pour l'enfant n'est sûrement pas le
privilège des seuls parents. Il est des hommes qui entendent bien
s'arroger ce droit, de gré ou de force, voyons a présent qui ils
sont.
593 ADI&L, 2U, 601, affaire Damné.
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