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Crimes sexuels sur enfants en Indre-et-Loire à  la fin du XIXème siècle

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par Timothée Papin
Université François-Rabelais (Tours) - Master 2 Histoire contemporaine 2011
  

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Chapitre III : La physionomie du crime

Avec ce nouveau chapitre rapprochons-nous de la scène du crime et des éléments qui en constituent l'organisation spatio-temporelle. L'agression est bien souvent le résultat d'une multitude de facteurs, y compris sociaux, qui règnent dans l'Indre-et-Loire républicaine. Bien que cette partie fasse la part belle aux composantes de nature extérieure a l'humain, il faut sans cesse les combiner avec les réalités contextuelles afin d'obtenir un tableau qui ait un sens autre que quantitatif. En premier lieu, abordons les problèmes géographiques.

Un crime urbain ou rural ?

Cette problématique est déjà très présente dans les esprits instruits de la seconde moitié du XIXème siècle. Qu'ils soient hommes politiques, légistes ou encore hygiénistes, tous se désolent de la dépravation des moeurs qu'on impute a la révolution industrielle et a l'accroissement rapide de la population urbaine. L'apport de la criminologie a partir des années 1880 va dans ce sens : deux tendances s'affrontent, une qui estime que le crime est lié a l'influence du milieu, l'autre qui parle de « criminels-nés »553. La première est celle qui nous intéresse ici. L'afflux toujours croissant de migrants dans ces zones entraîne l'émergence d'une nouvelle pauvreté, qui apparaît indissociable de la délinquance et de la criminalité554. Dès l'année 1860, le garde des Sceaux en fait l'amère constatation555 :

« Cet accroissement déplorable du nombre de crimes contre les moeurs, que nous verrons plus loin se produire également dans le nombre de délits de la même nature, est, sans nul doute, la conséquence des développements de notre industrie et de l'agglomération, qu'elle amène dans les ateliers, d'ouvriers des deux sexes et de tout âge en contact permanent. »

Sa remarque reste en adéquation avec les décennies suivantes : entre 1876 et 1880, les viols et attentats à la pudeur commis sur des enfants se produisent à 44% dans les villes, alors qu'elles n'abritent qu'à peine un tiers de la population556. En Indre-et-Loire cette proportion est bien plus nette en faveur du monde rural, puisque les attentats en ville ne

553 FREDJ (2009), p. 269.

554 Ibid., p. 169.

555Compte général, année 1860 (1862), p. IX. 556 CHESNAIS (1981), p. 160.

représentent que 38% des cas557. Mais il ne faut pas oublier que les ruraux constituent en 1881 plus des trois-quarts de la population du département. Aussi ils sont sousreprésentés dans les crimes sexuels sur enfants, assez largement même.

Pour en revenir à la remarque du garde des Sceaux, elle concerne les crimes sexuels en général, car dans notre corpus nous n'avons trouvé aucune trace d'enfant abusé dans un atelier ou une usine. Du reste dans aucun dossier on ne parle d'un petit garçon ou d'une petite fille qui travaillerait dans ce type d'établissement. De fait, l'Indre-et-Loire est encore a la fin du siècle un département empreint d'une assez forte ruralité, et échappe aux affres de l'industrialisation a grande vitesse558. La terre est divisée en étroites et nombreuses parcelles, sauf dans le Lochois, très pauvre, où règne la grande propriété559. La moitié de la superficie du département est dévolue a l'agriculture, sa principale richesse560.

557 Soyons clairs, il est difficile de savoir quelles sont à la fin du XIXème siècle les critères retenus pour différencier les deux catégories d'habitat. Le garde des Sceaux énonce en 1880 un chiffre de 2 000 habitants, mais dans les fiches de renseignements de justice, la limite apparaît bien plus floue. Par exemple la ville de Richelieu est considérée comme urbaine avec ses 2 364 habitants, alors que Saint-Cyr-sur-Loire n'en fait pas partie malgré ses 2 419 résidents. Il semble que les communes désignées dans les dossiers comme étant urbaines sont un peu plus peuplées que celles qui relèvent aujourd'hui de cette même classe - une ville compte au minimum 2 000 habitants. On peut donc porter une estimation autour de 2 500 résidents, toutefois si la commune est située dans l'agglomération tourangelle, même au-dessous de ce seuil elle est qualifiée d'urbaine.

558 Lors du recensement de 1882, l'Indre-et-Loire compte cinquante-quatre habitants au kilomètre carré, quand sur l'ensemble du territoire on en dénombre soixante-et-onze. Toutefois ses communes sont un peu plus peuplées qu'au niveau national, avec 1 167 habitants en moyenne, contre 1 044.

559 VANDERPOOTEN (2005), p. 37.

560 René COURSAULT, Les traditions populaires en Touraine : leur évolution au cours des siècles, Paris, Maisonneuve et Larose, 1976, p.48.

Pour aller dans le vif du sujet, voici la répartition des crimes a l'échelle du département561. En toute logique, l'agglomération tourangelle concentre une majeure partie des attentats. L'arrondissement qui l'englobe est naturellement le plus touché, avec 60% des cas recensés, contre près de 28% pour celui de Chinon, et seulement 12% pour le Lochois. Ces chiffres ne suivent pas tout à fait la logique de la concentration de population promue par le garde des Sceaux quelques décennies plus tôt562. En effet, si les proportions correspondent a peu près pour l'arrondissement de Tours, qui concentre 57% des

561 Expliquons brièvement la méthodologie employée : pour chaque dossier nous avons recensé la ou les communes où se sont déroulés les évènements. Bien sûr il existe des affaires dans lesquels il y a eu un seul attentat, d'autres oü il y en a eu plusieurs. Nous les avons comptabilisés à part égale, ce qui signifie que ce ne sont pas les actes qui apparaissent dans ces chiffres, mais les affaires associées.

562 Tous les chiffres concernant les populations sont issus du recensement de 1891.

habitants du département, en revanche il y a une surreprésentation du Chinonais et une sous-représentation du Lochois563.

Il est difficile d'identifier les raisons a l'origine des évolutions temporelles toutes sauf linéaires entre milieux rural et urbain. Pour la première période quinquennale de 1880 à 1884, les crimes a la campagne sont plus de deux fois plus nombreux qu'à la ville. Cette constatation est identique pour la période 1890-1894, mais sans être inversée bien entendu, elle n'est pas du tout la même pour les deux autres : les crimes ruraux représentent seulement 51% du total entre 1885 et 1889, et 57% pour la période allant de 1895 à 1899.

Pour se rapprocher de l'échelle microscopique, voyons quels sont les cantons les plus touchés. Les divers cantons de l'agglomération tourangelle dominent ce sinistre classement, devant celui de Chinon, et celui d'Amboise. Plus intéressante est la hiérarchie a l'échelle des communes564. La plus grande partie des actes criminels est accomplie dans les gros bourgs, près d'un sur trois pour être plus précis. Les grandes villes n'apparaissent qu'en quatrième position, avec plus de 18% des faits, les moins concernés étant les petits villages, avec un peu plus de 8% des agressions. Ces statistiques ne sont pas tellement significatives si on ne les compare pas aux données démographiques. En effet leur interprétation change radicalement, et l'ont voit que les petits villages sont au contraire surreprésentés dans la criminalité sexuelle, signe de la dominante rurale de celle-ci en Touraine565.

En revanche, cette hiérarchie est bouleversée lorsque l'on regarde le nombre de victimes
par affaire. Sur l'ensemble du département, la moyenne s'établit a près de deux par
jugement. Les zones urbaines sont bien au-dessus de celle-ci, et les trois préfectures

563 L'arrondissement de Chinon comprend 24% des habitants du département, contre près de 19% pour celui de Loches. Pour mieux apprécier l'importance des différences, nous avons utilisés des ratios, qui sont les suivants : 1,05 pour l'arrondissement de Tours, 1,17 pour celui de Chinon, contre 0,63 pour celui de Loches.

564 Pour établir le classement suivant, nous avons utilisé les classes suivantes : petit village (moins de 500 habitants), village moyen (entre 500 et 1 000), gros bourg (entre 1 000 et 2 000), petite ville (entre 2 000 et 5 000), et enfin grande ville (plus de 5 000).

565 Prenons pour exemple ces mêmes petits villages : 8,3% des agressions, mais seulement 2,6% de la population totale des communes touchées par des viols ou attentats a la pudeur. A l'inverse, les grandes villes qui représentent 18,6% des crimes sexuels, regroupent tout de même 38,5% du total des habitants.

frôlent même le chiffre de deux victimes et demi par affaire566. Ces différences notables posent inévitablement la question de la dénonciation, ou plus exactement de la célérité de celle-ci.

En 1836, le chroniqueur de la Gazette des tribunaux s'étonne qu'à la ville les auteurs d'attentats a la pudeur sur mineurs soient si vite arrêtés, quand ceux de la campagne ont plusieurs années devant eux avant que cela ne s'ébruite567. En Touraine, la situation est inverse, puisque les dénonciations aux autorités se font en moyenne autour de dix-sept jours à peine en zone rurale, contre vingt jours en milieu urbain568. De la même manière, plus de trois quarts des dénonciations rapides, c'est-à-dire le jour de l'attentat ou le lendemain, se font à la campagne. Afin de pondérer cette remarque il faut préciser que les sept dossiers de viol ou tentative qui sont jugés comme tels ont tous eu pour théâtre le milieu rural. Et dans les affaires de ce type, la dénonciation est bien plus rapide, dans presque tous les cas elle se fait immédiatement. En conséquence de quoi, sous réserve d'une évolution dans le temps puisque la période étudiée est plus d'un demi-siècle postérieure a l'affirmation citée précédemment, on peut avancer l'hypothèse que la Touraine est l'exception qui confirme la règle. Toutefois il faut apporter un bémol à cette constatation, car à Tours les dénonciations sont bien plus rapides que dans les autres communes urbaines du département : elles se font en moyenne entre douze et treize jours.

Pour ce qui est des chiffres a l'échelle des communes, évidemment Tours est la ville la plus touchée par le phénomène. Mais son exemple contredit toutefois l'affirmation du garde des Sceaux : elle regroupe 13% des agressions quant elle rassemble 18% des habitants du département. Pour la défense de l'homme d'État, il faut savoir que la ville ne s'est pas convertie comme tant d'autres a l'industrialisation a grande échelle. De plus, les affaires qui ont Tours pour théâtre se situent dans en majorité sur les grandes artères comme le boulevard Béranger, les quais de Loire ou encore la place du Palais, c'est-à-dire loin des bouges ouvriers, s'il en est. On aurait pu croire que la violence se serait déplacée vers les faubourgs de la cité, mais il n'en est rien. Bien au contraire, des communes

566 Contre 1,62 pour les communes de moins de 500 habitants.

567 ARON, KEMPF (1978), p. 105.

568 Ces estimations ont été faites uniquement lorsque la date de la première agression et celle de la

dénonciation à une quelconque autorité - gendarmerie, maire etc. - ont pu être à peu près identifiées.

comme Saint-Symphorien, La Riche ou Saint-Pierre-des-Corps ont, au regard de la population qui est la leur, un faible taux de criminalité sexuelle envers les enfants. Ceci est encore plus véridique dans le sud-est du département, à Loches. La ville, pourtant la troisième de Touraine en termes de population, compte seulement un cas d'attentat a la pudeur.

A contrario, il est des villes ou la situation est inversée. Les exemples les plus frappants sont Chinon et Luynes : alors que la sous-préfecture compte dix fois moins d'habitants que Tours, elle ne compte qu'un peu plus de trois fois moins de crimes. Quant à la commune ligérienne, ses statistiques restent inexplicables : cinq affaires, soit quatre fois moins que Tours, pour à peine 2 000 âmes, soit plus de trente fois moins que la préfecture. Il faut savoir accepter que certaines choses n'aient pas nécessairement une explication...

Enfin, dernier niveau d'appréciation : les lieux du crime. Bien entendu, il faut garder à l'esprit qu'ils sont fortement dictés par l'espace, rural ou urbain, dans lequel l'attentat est perpétré569. Première constatation, en phase avec le caractère naturellement empreint d'insouciance des enfants, la propriété de l'agresseur représente un tiers des scènes de crime. Elle est de loin l'endroit préféré de ces derniers, puisque les suivants tournent a plus ou moins un crime sur dix : école, rue, route ou encore chemin570, puis champ, enfin propriété commune a l'agresseur et a la victime - dans les cas d'inceste, donc. Moins courants, le lieu de travail de l'accusé qui compte 8% des agressions, puis la propriété des parents de la victime, à 6,5%. Enfin, près de 4% des crimes ont pour théâtre bucolique un bois, près de 3% la propriété d'une tierce personne, et plus de 2% une église571.

Première constatation, la majorité des attentats ont lieu dans un endroit clos, a l'abri des regards indiscrets. Pourtant, force est de constater que cela n'empêche pas les flagrants délits, au contraire, cela semble même attirer l'attention. Nous l'avons dit, nombreux sont les voisins ou les membres de la famille qui viennent voir ou entendre ce qui se

569 De la même manière que précédemment, il est possible d'avoir plusieurs lieux de crime pour une même victime, et nous n'avons pas pris en compte la répétition de ceux-ci. Que la victime ait été agressée dix fois chez elle et une fois dans la rue, les deux lieux sont comptabilisés à part égale.

570 Dans la quasi-totalité des cas, l'agression se termine dans un fossé.

571La représentativité de ce classement souffre pourtant d'un aspect dû a la particularité de l'école, qui concentre un plus grand nombre de victimes pour une même affaire. En effet, on dénombre près de six enfants par dossier. Le même problème se retrouve pour les églises, avec trois victimes et demi par dossier.

passe. L'extérieur est finalement beaucoup moins imprudent pour les agresseurs sexuels, puisqu'ils peuvent y rencontrer la jeunesse dans un cadre a priori insoupçonnable. Il y a bien des hommes qui rôdent dans les chemins comme les chiens dans la lande, mais la plupart du temps les enfants représentent un bon auxiliaire de travail, si bien qu'on n'hésite pas a leur demander une petite aide. L'image d'un homme aux côtés d'un enfant seul dans un champ ou sur un chemin est commune et n'incite pas a la suspicion comme lorsqu'ils sont dans un lieu fermé. Il n'est donc pas étonnant que cela se traduise par une plus grande répétition des crimes dans les campagnes. Le laps de temps nécessaire à la dénonciation y est donc plus rapide, mais durant celui-ci l'agresseur a eu le temps de commettre bien plus d'outrages qu'à la ville.

En somme, la complexité du sujet qui apparaît au vu des statistiques incite à la prudence quant aux conclusions à en tirer, à la différence de ce que fait le garde des Sceaux en 1836. Vigarello expose un point de vue qui, sans renier celui du ministre, accorde une plus grande valeur aux mécanismes postérieurs a l'agression qu'à ceux qui pourraient en être a l'origine. Ainsi, il explique la très forte augmentation de ces procédures dans les grandes villes non par une dépravation de celle-ci, mais par une évolution des mentalités. L'amélioration du statut de l'enfant et de son image seraient a l'origine d'une plus grande propension à dénoncer les crimes qui les touchent572.

Il ne faut pas non plus oublier de mentionner certaines distinctions ayant trait aux mentalités et aux moeurs. Par exemple, la prostitution est bien moins répandue en milieu rural573. Elle n'y joue pas son rôle d' « égout séminal ~, comme l'appelle élégamment un docteur de la fin du XIXème siècle574. En Indre-et-Loire elle semble, du moins à travers les dossiers de procédure, être l'apanage presque exclusif de Tours. Cette observation est corroborée par Alain Corbin qui note qu'elle se développe, a partir des années 1860, grâce a la croissance démographique et a l'enrichissement de la bourgeoisie575. Toutefois on découvre des hommes prêts à faire plusieurs dizaines de kilomètres depuis leur village pour aller fréquenter les prostituées tourangelles, signe que la clientèle n'est pas

572 VIGARELLO (1998), p. 179.

573 FARCY (2004), p. 103.

574 Robert MUCHEMBLED, L'orgasme et l'Occident : une histoire du plaisir du XVIème siècle à nos fours, Paris, Seuil, 2005, p. 236.

575 CORBIN (1978), p. 285.

forcément exclusivement urbaine. Pierre Allain habite Amboise, une cité de près de 4 500 habitants, et n'hésite pas a parcourir les trente kilomètres qui le séparent de la préfecture tourangelle pour assouvir ses envies576. Il peut également y avoir un facteur d'attitude qui influe localement. D'après René Coursault, les habitants du nord du département, qui jouxtent le Maine, le Perche et le Vendômois, sont d'humeur procédurière577. A l'échelle des quelques affaires criminelles de ces cantons que nous avons traités, cette remarque ne trouve pas forcément un écho, mais elle illustre bien combien il faut se méfier de conclusions basées uniquement sur les statistiques.

A défaut d'enseignements indiscutables, il faut bien émettre des hypothèses. La première, nous l'avons évoquée au début de cette partie, concerne l'activité de la préfecture tourangelle, tournée principalement vers l'imprimerie et l'artisanat, via le compagnonnage. La cité n'est pas orientée comme beaucoup d'autre vers l'industrie a grande échelle, ce qui la préserve de la paupérisation galopante de sa population, symptôme de la montée de la criminalité selon les contemporains de l'époque. Plus difficile en revanche d'expliquer les inégalités entre le Chinonais et le Lochois. Ici aussi les suppositions se tournent vers l'économie : le sud-est de la Touraine est pauvre, et empreint d'une forte tradition paysanne. On peut envisager la possibilité d'une moindre propension à la dénonciation, accompagnée d'un plus grand nombre de règlements infrajudiciaires. Changeons à présent de dimension pour nous attacher à la temporalité des attentats.

Saisons, jours, heures : au mauvais endroit, au mauvais moment

Il est de coutume d'employer cette expression pour illustrer la malchance, cependant les dossiers de crimes sexuels montrent bien combien de nombreuses scènes de crime sont tout sauf le fruit du hasard. De toutes manières, la vie quotidienne de la fin du XIXème siècle laisse peu de place a l'incertitude, les existences de chacun sont rôdées, et si on ne peut pas aller jusqu'à parler de destin, on peut en souligner l'aspect cloisonné -

576 ADI&L, 2U, 750, affaire Allain.

577 COURSAULT (1976), p. 55.

certes de moins en moins578. Toutefois cette vérité si elle en est une, s'applique principalement, si ce n'est exclusivement, au domaine rural.

Mais stoppons ces digressions et recentrons-nous sur le sujet. Tout d'abord, reprenons une proportion exposée précédemment, celle des attentats commis en milieu rural, et en zone urbaine. On estime que près de trois crimes sur cinq sont commis à la campagne, contre deux sur cinq dans une commune urbaine. Cette répartition est importante car le rythme de vie n'est bien sûr pas le même dans les deux catégories énoncées, les saisons n'ont pas la même signification, de même que les jours et les heures.

Sans surprise, la majorité des attentats ont lieu pendant les saisons chaudes, à savoir le printemps et l'été. La première concentre 36% des crimes de cette espèce, contre 26% a la seconde. Les saisons froides sont en retrait, avec 21% pour l'hiver et près de 14% pour l'automne. Le mois le plus dangereux, si l'on ose dire, est celui de juin, avec près de 17% des affaires annuelles. Le moins périlleux est celui de novembre, avec à peine 4% des cas.

Quels sont les jours les plus propices à une attaque ? Les différences au cours de la semaine sont très fortes, puisque le dimanche apparaît comme le jour où le plus d'attentats sont commis, avec plus d'un tiers du total579. Bien sûr, c'est un jour chômé pour les enfants, tout comme le jeudi580. Une petite fille le souligne : « Il m'invitait d'aller le trouver le jeudi parce que les autres jours je vais en classe »581. Toutefois, si on compare ces deux jours non travaillés, on remarque un curieux déséquilibre : le jeudi représente seulement 13% des cas. Comment expliquer ce décalage ? En fait, tout dépend d'un paramètre, celui de l'activité de l'enfant au moment oü il est agressé. La majorité de ceux-ci ne travaillent pas au moment de leur agression. On peut alors se risquer à une hypothèse : les enfants sont plus de sortie le dimanche, par exemple pour

578 Deux exemples : Le choix du conjoint se fait dans le domaine d'appartenance sociale, et souvent parmi les gens du coin. De même, les mariages consanguins représentent au XIXème siècle, dans le Loir-et-Cher certes, plus de 3,5% des cas - 5 à 6% parfois selon les années. (FARCY (2004), p. 68-70).

579 Il n'apparaît pas significatif de mentionner les pourcentages pour les autres jours de la semaine. En effet la majorité des témoins n'en parlent pas, ou quand elle le fait elle y ajoute une date qui ne correspond pas sans le calendrier, aussi nous ne les avons pas comptabilisés. Ainsi, l'échantillon se trouve réduit, et le vendredi n'a aucun cas associé.

580 Depuis une loi de 1880, ce n'est plus vrai pour les travailleurs, enfants y compris. On peut parler de jour chômé « facultatif », car nombreux sont ceux qui malgré tout continuent de ne pas travailler le dimanche. Pour parler dans une optique purement scolaire, et qui concerne donc ici tous les enfants, cela reste un jour de repos.

581 ADI&L, 2U, 739, affaire Fillon.

aller à la messe. Mais la foule a parfois ses inconvénients, comme pour l'agresseur de deux petites citadines, a l'une desquelles il a dit : « Je tâcherai de te revoir dans la semaine, car ce serait plus commode qu'aujourd'hui dimanche a cause du monde »582.

De la même manière, il existe des variations au cours de la journée, puisque c'est dans l'après-midi que l'on commet le plus de crimes de cette espèce, par heure583. Ensuite arrive le midi, la soirée et le matin, la nuit ne représentant qu'une infime partie des cas, sauf dans les affaires d'inceste584. Pour être plus précis, les deux périodes les plus sensibles sont entre 10h et 11h, avec pas moins de 29% des cas recensés, juste devant 17h-18h à hauteur de 26% du total. Pour la seconde l'explication est simple : les enfants quittent l'école a 16h, mais certains restent en étude, qui dure jusqu'à 18h585.D'autres ont beaucoup de chemin à parcourir pour rentrer chez eux, comme cette enfant de sept ans qui doit marcher six kilomètres pour rejoindre la ferme de ses parents, et qui se fait violer aux alentours de 17h30586. Un autre paramètre entre en jeu, celui des courses. Nous aurons l'occasion d'en reparler, les enfants ont pour habitude d'aller faire de petites commissions pour leurs parents ou leurs voisins, le plus souvent en rentrant de l'école. Soit ils se font attaquer sur le chemin, soit chez le commerçant, soit chez celui qui leur a confié la petite mission. Plus difficile est d'expliquer le premier horaire, puisque les enfants ne sortent de l'école pour aller manger qu'à 11h. Il semblerait, en recoupant les données, que la cause soit a chercher dans l'absentéisme scolaire. En effet, pour tous les cas où nous avons pu effectuer ces recoupements, les agressions ont eu lieu des jours où les enfants étaient censés être en classe.

Aux raisons que nous venons d'évoquer, il en existe d'autres, rassemblées en deux catégories. La première suit la logique naturelle : les enfants sortent moins l'hiver, et surtout les journées sont plus courtes, rendant les possibilités moins nombreuses. L'activité se fait plus rare dans les champs et les prés, ce qui rend moins fréquents les contacts entre les hommes au travail et les enfants. On pourrait également évoquer une

582 ADI&L, 2U, 610, affaire Fontaine.

583 Pour effectuer notre classification, nous avons pris les périodes suivantes : matin (6h-11h), midi (11h-14h), après-midi (14h-19h), soirée (19h-22h), enfin la nuit (22h-6h). Afin d'éviter que les plus longues amplitudes de certaines ne faussent les résultats, nous avons divisé leur total par le nombre d'heures qu'elles comprennent.

584 Deux des trois cas nocturnes que nous avons rencontrés ont été le fait d'incestes.

585 ADI&L, 2U, 748, affaire Lendemain.

586 ADI&L, 2U, 721, affaire Cosson.

origine plus scientifique : l'influence des beaux jours sur la libido - bien que cette thèse soit toujours en discussion aujourd'hui. Plus difficile a évaluer, l'influence des variations vestimentaires. Les petites filles font presque toujours la même description de leur tenue vestimentaire : chemise, robe et incontournables jupons pour la belle saison, et pour l'hiver, le pantalon, qui peut être ouvert ou fermé, remplace la robe. Mais comme jamais aucun accusé n'évoque cette raison, il est impossible de dire si l'habillement plus léger de la belle saison a pu influencer visuellement les pulsions sexuelles masculines.

Deuxième raison, le calendrier scolaire, ou pour être plus près de la réalité, de travail. Les enfants vont en théorie a l'école du 1er octobre au 14 juillet587. En théorie car dans les faits ce programme n'est pas vraiment respecté, surtout a la campagne. Les lois sur le travail des enfants de 1841, 1851 et 1893 n'ont pas l'effet escompté, car parents et employeurs y trouvent leur compte588. La majorité des enfants vont irrégulièrement à l'école, souvent les quelques mois d'hiver, et l'abandonnent autour de sept ou huit ans pour devenir berger ou petit domestique à tout faire dans les fermes voisines589. Dans les familles les plus pauvres, les jeunes filles participent aux migrations saisonnières, partant pour six mois dans une ferme590. Dans les foyers mieux lotis de la moyenne paysannerie, les jeunes filles s'occupent l'été de cueillir des fleurs et des fruits591.

Sans aller jusqu'à ces extrémités, beaucoup d'enfants sont chargés de tâches diverses le matin, le midi et après 16h, le jeudi après-midi ainsi que pendant les vacances d'été592. On l'aura compris, en dehors des heures d'école les enfants n'ont pas toujours le temps de flâner. Leurs différentes activités les amènent à croiser des adultes, la plupart du temps lorsqu'ils travaillent aux champs ou font des commissions. Ces dernières occupations sont centrales dans les affaires de moeurs concernant les enfants, et de là naissent certaines des distinctions entre crimes urbain et rural.

-o-o-o-

587 VANDERPOOTEN (2005), p. 218.

588 CHARLE (1991), p. 289.

589 FARCY (2004), p. 13.

590Ibid., p. 24.
591Ibid., p. 21.
592Ibid., p. 25.

Nous avons pu percevoir les nombreuses subtilités locales qui influent sur le jugement a l'échelle du département. Cette complexité naît de l'importante disproportion démographique entre l'agglomération tourangelle et le reste de la Touraine. Le manque d'unité a cette échelle est toutefois compensé par une certaine homogénéité au niveau des mentalités, le département restant dans l'ensemble très inscrit dans la culture rurale de la paysannerie et de l'artisanat. Cette constatation se ressent dans les chiffres qui illustrent la répartition de la criminalité sexuelle vis-à-vis des enfants. Contrairement à l'ensemble du territoire français, c'est la Touraine rurale qui est majoritairement touchée par le phénomène.

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