Conclusion
Dresser le tableau de la répression judiciaire des
crimes sexuels sur enfants au XIXème siècle s'avère
complexe en raison des mouvements contraires qui l'agitent. Naturellement,
toutes les parties - juristes, médecins, magistrats - s'entendent sur le
fond, c'est-à-dire la nécessité de défendre un
être faible aussi bien physiquement que psychologiquement.
Néanmoins, seule la première semble offrir une protection, ou
tout au moins une série de sanctions, qui vont toujours dans le sens
d'une plus grande reconnaissance de la gravité d'un tel crime
perpétré sur une victime aussi dépourvue. Somme toute, il
est cohérent que le code pénal serve de fil conducteur à
cette répression, car il en constitue le socle indispensable. En premier
lieu, il démarque l'enfant de l'adulte, et n'a de cesse d'élargir
le champ d'action des magistrats tout en délimitant avec toujours plus
de précision les contours de cet être, que ce soit son âge
ou sa place au sein de la famille.
Nous sommes typiquement devant un cas de construction sociale
par le biais d'une influence supra sociétale. Ce n'est pas un
mouvement de fond, porté par une large frange de la population, mais le
fait d'un petit groupe de philosophes, politiques, juristes, animés de
pensées progressistes. Cela donne l'impression d'une intégration
forcée de la société, de ses pratiques et de ses moeurs,
dans un moule toujours plus détaillé visant a organiser les
relations entre les adultes et les enfants. Car qui dit redéfinition de
cette dernière composante dit nouvelles connexions avec celles qui
l'entourent. C'est là la seconde fonction du code pénal, qui
intervient également par le biais de la répression de faits.
Et
les textes agissent à deux niveaux : au premier, ils
répriment des faits commis sur un enfant qui ne l'auraient pas
été s'ils avaient été perpétrés sur
un adulte - ce sont les attentats à la pudeur sans violence. Second
point, ils placent le crime sur enfant en haut de l'échelle de la
gravité, en punissant plus sévèrement un acte pourtant
identique - ce sont les circonstances aggravantes.
Mais on doit considérer qu'en dernier lieu, ces
affaires restent jugées à partir de textes, mais bien
par des êtres humains aux idées bien moins
arrêtées que celles énoncées dans le code
pénal. Afin de mieux contrôler leurs jugements, la magistrature se
doit d'en resserrer les possibilités par la découverte de preuves
scientifiques, qui doivent être estimées indépendamment des
préjugés éventuels sur la victime et l'accusé.
Ainsi, le juge d'instruction pense pouvoir manipuler le jury et en dicter les
décisions en lui apportant sur un plateau une preuve irréfutable.
Malheureusement l'expertise médicale se heurte a une multitude de
difficultés et de limites qui entachent sa crédibilité
auprès des magistrats mais surtout des jurés populaires. La
valeur a priori considérable et décisive de l'examen
contraste avec la place qui lui est faite lors du procès, et on ne
s'étonne pas qu'elle soit si peu suivie.
D'autant plus qu'on offre au jury de larges
possibilités pour exprimer son avis, lui qui semble bien souvent
décider indépendamment des démonstrations probantes qui
lui sont faites. On touche ici les limites de la justice d'État de
droit, qui engendre non pas des erreurs a répétition,
inhérentes a l'institution, mais bien des décisions qui bien que
prises consciemment s'avèrent être contraires a tout esprit
d'éthique. La réponse ressemble à une fuite en avant de la
part d'une administration judiciaire prête aux plus grandes concessions
pourvu que soit stoppée la vague d'acquittements scandaleux qui secoue
le pays. Une formule empruntée au garde des Sceaux de 1880 illustre bien
cette appréhension, lui qui dit que la justice doit être accomplie
« avec une fermeté prudente »335. Fondamentalement,
le contrat est rempli, les relaxes sont en baisse, donc le taux de
répression augmente et fait office de message d'avertissement a une
population dont les moeurs tardent a se mettre en adéquation avec la
vision bourgeoise
335Compte général, année
1860 (1862), p. III.
de l'ordre moral. En 1901, le garde des Sceaux ne
considère-t-il pas encore les viols et attentats à la pudeur
comme des « crimes contre la morale »336 ?
Car c'est bien d'harmonie des moeurs qu'il s'agit avant tout.
Sans cesse on le constate, la victime n'est que le prisme par lequel la
société entière est outragée. Rarement dans les
textes du code pénal et dans ceux du Compte
général on trouve une trace de compassion a l'égard
de l'enfant agressé. Bien sûr, il n'est pas exclu de toute
considération, mais elles sont froides et distantes, comme lorsqu'on a
affaire a un être dont on ne connaît pas grand-chose.
Peut-être est-ce dû en partie a l'absence de femmes dans un
contingent de médecins qui examinent la plupart du temps des victimes de
sexe féminin. Et si considération il y a, force est de constater
qu'elle a trait aux seuls corollaires physiques des attentats, par le biais des
examens médicaux, et non aux conséquences sur le psychisme. On
s'intéresse pourtant, de manière mesurée, aux
désordres de ce dernier, mais seulement en tant que cause de l'agression
- par l'intermédiaire de l'examen mental de l'accusé -, et non
comme son résultat. Il faut attendre le début du
XXème siècle pour voir l'expertise s'intéresser
a la violence morale337.
A présent nous allons effectuer un retour en
arrière dans la chronologie des faits, puisqu'après en avoir
évoqué leur aboutissement a travers l'instruction et le
procès, il nous faut remonter à leur dénonciation.
336 AMBROISE-RENDU, Revue d'histoire moderne et
contemporaine, 2009, n°4, p. 183.
337 CHAUVAUD (2000), p. 109.
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