Conclusion
La méfiance qui semble habiter la société
française a l'égard des témoignages d'enfants repose
certes sur des falsifications prouvées par la psychiatrie, mais qui
semblent bien loin des proportions avancées par certains médecins
légistes. On retrouve dans les acquittements dont cette thèse est
a l'origine les mécanismes qu'on retrouvait au début du
siècle lors de la vague de relaxes dues à la
sévérité du code pénal. Le jury n'arbitre pas de
façon objective les faits incriminés. Des éléments
extérieurs au procès, à la portée plus universelle
donc, influencent grandement ses décisions. En témoignent les
4,4% de poursuites qui se soldent par un acquittement alors que l'accusé
a pourtant avoué au cours de l'instruction.
Les habitants du quartier ou du village sont les premiers
pourvoyeurs des ragots qui peuvent circuler sur une petite fille - n'oublions
pas que les garçons sont moins concernés par cela -, et en ce
sens participent à la méfiance ambiante qui nuit aux victimes de
crimes sexuels. Les magistrats instructeurs sont également
impliqués dans ce processus, puisque ce sont eux qui demandent ces
renseignements aux forces de l'ordre. Mais leur rôle ambigu est bien plus
représenté par la requête qu'ils font d'enquêter sur
la famille de la victime. En effet bien que le comportement des parents ait une
répercussion évidente sur celui de leur progéniture, il
n'est pas très éthique d'associer les deux, car de cela les
enfants ont tout à perdre.
En revanche l'interrogatoire de ces derniers montre bien plus
de bienveillance de la part du juge, qui ne se formalise pas vraiment des
erreurs de narration qui ne sont pas rares, tout comme les revirements de
stratégie. Il cherche a les mettre en confiance afin d'être
perçu comme une oreille attentive et accueillante. Il ne faut pas
oublier que ce manque de communication, la plupart des enfants en ont souffert
dans les jours ou les mois qui ont suivi leur agression. Ils sont donc bien
plus prolixes si le magistrat fait preuve de tact et de patience, bien qu'il
faille tout de même les guider dans leurs déclarations afin d'en
tirer quelque chose d'exploitable pour l'accusation.
Cette dernière manoeuvre est
prépondérante lors de l'interrogatoire de l'accusé, car
celui-ci cherche à détourner la conversation sur la victime et
ses défauts, ou brode des explications en marge de son récit.
Bien souvent le magistrat ne se laisse pas influencer par de tels subterfuges,
de même que l'éminent Tardieu, qui semble toutefois assez
isolé sur ce point. Il souhaite démonter « les objections
plus ou moins spécieuses que peut susciter la défense
»1028. Mais le jury populaire se montre bien plus
réceptif à la version avancée par le prévenu, et
même lorsque celui-ci avoue, il peut l'acquitter car des soupçons
pèsent - du moins à son sens - sur la jeune plaignante. En somme,
de par sa position d'adulte respectable, l'agresseur a un avantage sur la
victime, qu'on associe volontiers au concept de l'enfant
pervers1029.
1028 AMBROISE-RENDU (inédit), p. 343. Le médecin
mentionne entre autres les déformations que la défense attribue a
l'onanisme, et les écoulements soi-disant dus a un manque
d'hygiène.
1029 COENEN (2002), p. 76.
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