Conclusion
Il est évident qu'une action, quelle qu'elle soit,
dépend bien plus de son initiateur que de sa cible. Le crime sexuel
n'échappe pas a cette règle, et repose avant tout sur la
volonté d'un homme. L'objet de sa motivation reste le même, c'est
l'enfant, le faible, l'innocent. Ces caractéristiques attirent
l'agresseur, mais pas dans de mêmes proportions. Celui qui voit ses choix
dictés par ses pulsions irrépressibles penche plutôt pour
la première. Quant à celui qui aime les enfants, au sens strict
du terme, c'est la seconde qui le séduit.
Les armes de chacun ne sont donc pas les mêmes, puisque
l'objectif diffère. Les impulsifs ont plus recours a la violence, et
sont donc a l'origine d'agressions rapides, et souvent isolés. Les
passionnées en général procèdent de manière
inverse : ils prennent le temps de séduire leur victime, d'endormir leur
vigilance, avant de réellement passer a l'action. Les attentats sont
plutôt orientés vers une gradation des actes, qui prend donc plus
de
923 Comme l'explique une psychiatre, « la rencontre
sexuelle avec l'adulte est toujours traumatisante, du fait de son
immaturité psychoaffective, qui ne lui permet pas d'appréhender
ces pratiques ». (PEWZNERAPELOIG, in CHANOIT, VERBIZIER (1999), p.56.).
temps. Ils sont donc en majorité
répétés, et il n'est pas rare qu'ils soient
pratiqués sur plusieurs enfants sur une même période.
Les attaques des impulsifs sont soudaines et peuvent
difficilement être contrôlées. L'enfant est souvent
isolée et ne peut compter que sur elle-même, bien que parfois la
chance amène un promeneur qui met fin à la scène. Si tant
est qu'on puisse admettre que les passionnés aient une certaine forme de
considération pour leurs victimes, les impulsifs en sont bien plus
dépourvus. En effet la seule chose qui les intéresse dans
l'enfant, c'est son infériorité physique qui l'empêche
a priori d'opposer résistance. Les pleurs et les cris ont en
revanche un plus grand impact sur la seconde classe. Ceux-ci sont davantage
dans l'optique d'une relation classique, basée avant toute chose sur le
plaisir réciproque. Bien qu'il souhaite le sien avant tout, il en tire
une partie non-négligeable des réactions offertes par la ou le
partenaire. La plupart du temps ces attouchements licencieux n'ont pas l'effet
escompté sur la jeune victime, mais imaginer qu'elle puisse obtenir du
plaisir de ceux-ci suffit aux agresseurs. L'excitation qu'ils tirent de ce
spectacle satisfait leurs sens et les mène à la jouissance,
physique bien sûr, mentale également. En plus de l'interdit social
qu'ils ont outrepassé, ils ont débauché la pureté
de l'enfance. Ils ont en quelque sorte créé une nouvelle
personne, qui garde l'apparence physique d'un enfant, mais qui en a perdu
l'innocence.
La perte de celle-ci est une conséquence de la
corruption subie, mais également de l'acte en lui-même. Bien
qu'une minorité affirme ne pas avoir saisi la portée des gestes
auxquels elle a été soumise, les enfants souffrent
généralement d'un crime qui les a fait rentrer trop tôt
dans la vie d'adulte. La honte ressentie au sortir de l'agression concentre la
réflexion de la victime, qui a conscience de sa participation,
même passive, à un acte réservé aux adultes.
Les conséquences physiques sont donc vite
reléguées au second plan, sauf dans quelques cas marginaux
impliquant une grande violence de l'attentat ou une infection blennorragique,
par exemple. Le mal est souvent bien plus haut, imprimé dans l'âme
de la victime. En effet elle souffre de sa différence, qu'elle ressent
parfois au quotidien a travers les regards et les ragots. Elle n'est plus tout
a fait un enfant car elle en a perdu l'innocence, mais n'est pas encore un
adulte, car elle n'est pas encore nubile - dans la
très grande majorité des cas. Elle rencontre des
difficultés de positionnement social, et se sent rejetée du monde
des enfants comme de celui des adultes.
Ces symptômes qui ne laissent pas l'empreinte physique
tant réclamée par le jury, font peu de cas lors du procès.
Tardieu a pourtant tenté d'aller au-delà de cette situation dans
laquelle se trouve confiné l'enfant abusé924. Pour lui
il n'est pas seulement un corps portant la preuve de la culpabilité ou
de l'innocence de l'accusé, mais une personne qui doit supporter les
conséquences de l'attentat. Le procès est donc presque autant
celui de la victime que celui de l'accusé, et demande des preuves
tangibles. La situation morale de l'enfant abusé passe après
l'intérêt supérieur de la morale sociale.
924 AMBROISE-RENDU (inédit), p. 344.
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