INTRODUCTION GENERALE
Contrairement à une idée reçue qui en ferait
un objet d'importation coloniale et donc une réalité
contemporaine, on peut considérer qu'il a exsité une
propriété intellectuelle dans l'Afrique ancienne.
Ainsi, certains peuples africains usaient-ils de leur
habilité et de leur savoir-faire traditionnel pour fabriquer certains
outils utilitaires ou indispensabbles. N'est-ce pas là la
propriété industrielle actuelle ?
L'art, pris au sens actuel de folklore, n'était pas non
plus en reste dans ce continent1. Ne sommes nous pas là face
à ce qui est appelé aujourd'hui la propriété
littéraire et artistique ?
Dans cette société précoloniale et
même coloniale, la protection des créations dites traditionnelles
et des savoirs traditionnels immatériels était surtout
assurée par le secret2. La situation changera avec la
découverte des côtes du continent et la pénétration
coloniale qui s'en suivra.
Jusqu'en 1962, la délivrance ou la protection des
titres de propriété industrielle dans les (anciennes) colonies de
l'AEF et de l'AOF3 était assurée par l'office
métropolitain : l'INPI4.
Cette protection des titres par l'INPI s'expliquait par le
fait que l'essentiel des objets de propriété industrielle
provenait de la métropole, mais également parceque les colonies
ne disposaient pas à ce moment là d'une administration
véritable et de cadres formés en matière de
propriété industrielle.
L'administration provisoire de la propriété
industrielle par l'INPI va durer ainsi jusqu'au début des années
19605.
Le 13 septembre 1962, onze (11) pays d'Afrique francophone et
Madagascar6, ex-colonies de l'AEF et de l'AOF décidaient en
effet, en application des articles 12 et 19 de la Convention de Paris du 20
mars 1883 pour la protection de la propriété industrielle, de la
création d'un office commun : l'Office Africain et Malgache de la
propriété industrielle (OAMPI)7.
La création de l'OAMPI s'inscrivait dans la droite
ligne de l'autonomisation des ex-colonies françaises. Ainsi, à
l'indépendance politique acquise pour l'essentiel par ces pays en 1960,
succédait l'indépendance dans/de l'administration de la
propriété industrielle.
1 Elèves-magistrats Jocelyne BOUSSOUGHOU et autres
(sous la direction d'Alphonse NKOROUNA), Culture et droit de la
propriété intellectuelle - Travaux de recherche -, Les
Publications de l'ENM, Libreville, avril 2010.
2 - Ibid.
3 - AEF = Afrique Equatoriale Française ; AOF =
Afrique Occidentale Française.
4 - C'est la loi du 9 juillet 1901 sur les associations qui avait
créé l'Office national de la propriété
industrielle, devenu institut national de la propriété
industrielle par la loi n° 51-444 du 19 avril 1951.
5 - 1960 est l'année d'accesion de la
plupart des ex-colonies françaises à la souveraineté
internationale.
6 - La République fédérale du
Cameroun, la République centrafricaine, le Congo, la Côte
d'ivoire, le Dahomey (actuel Bénin), le Gabon, la Haute-Volta (actuel
Burkina Faso), Madagascar, la République islamique de Mauritanie, le
Niger, le Sénégal et le Tchad.
7 - Cet art. 12 dispose que : « Chacun des
pays de l'Union s'engage à établir un service spécial de
la propriété industrielle et un dépôt central pour
la communication au public des brevets d'invention, des modèles
d'utilité, des dessins et modèles industriels et des marques de
fabrique et de commerce ». L'art. 19 quant à lui dispose qu' :
« Il est entendu que les pays de l'Union se réservent le droit de
prendre séparément, entre eux, des arrangements particuliers pour
la protection de la propriété industrielle, en tant que ces
arrangements ne contreviendraient pas aux dispositions de la présente
convention ».
A la faveur du retrait de Madagascar pour des raisons de
souveraineté dudit office et de la nécessité d'inclure
plus d'objets de propriété industrielle à protéger,
l'Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI)
naissait de l'Accord de Bangui du 02 mars 1977, révisé le 24
février 19998.
En tout état de cause, les textes de 1962, 1977 et 1999
ont institué trois organes à l'OAMPI puis à l'OAPI : le
Conseil d'administration (CA), la Commission supérieure de recours (CSR)
et la Direction générale (DG)9.
Si le Conseil d'administration et la Direction
générale, organes « législatif » et «
exécutif » de l'Organisation, ont toujours fonctionné, il en
a été autrement de la CSR.
Quatre explications majeures et cumulatives du défaut de
mise en place et de fonctionnement de cet organe peuvent être
retenues.
La première explication est d'ordre juridique : les
règlements d'application prévoyant l'organisation, le
fonctionnement et les compétences ou attributions de la CSR n'avaient
jamais été adoptés ou pris par le Conseil
d'administration, organe « législatif » par excellence de
l'OAPI. Faute d'expertise en la matière ?10
La deuxième explication est d'ordre humain :
l'insuffisance ou l'absence de compétence ou d'expertise en
matière de Droit de la propriété intellectuelle fût
un obstacle à la mise en place de cet organe important de
règlement des différends de propriété
industrielle11.
La troisième explication est d'ordre structurel : il
s'était agi du problème de l'établissement du siège
dudit organe.
La dernière explication, non moins importante est d'ordre
financier et se dédouble.
Dans ses premières années, l'OAPI s'était
en effet d'abord contentée pendant plusieurs années de se
constituer un portefeuille de titres à protéger en vue de
financer son fonctionnement. Les autres missions, notamment celle de rendre
justice n'était que peu prioritaire.
8 - Sur l'histoire du droit de la
propriété intellectuelle en Afrique et l'évolution de
l'OAMPI à l'OAPI, lire entre autres : Paulin EDOU EDOU, <<
Evolution du concept de propriété industrielle sur l'espace OAPI
de l'Afrique précoloniale à la mise en place de l'office commun
», La revue africaine de la propriété intellectuelle,
octobre 2008, p. 12 et s ; Bertrand CAZENAVE, << L'organisation africaine
de la propriété intellectuelle (OAPI) - de Libreville à
Bangui -, Prop. Indus, 1989, 311 ; OAPI, Rapport d'activités,
Yaoundé, 2003, p. 4 et s ; Eliane POSSO, << A la découverte
de l'organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI)
», La revue africaine de la propriété intellectuelle,
Yaoundé, octobre 2008, p. 6 ; OAPI, << A la découverte de
l'OAPI », OAPI Magazine, n° 003, éd. spéciale, non
datée.
9 - Sur les organes de l'OAPI, lire : Anastasie
Constance Laure NDOUGOU MINTAMAK, Rapport de stage à l'OAPI en vue de
l'obtention de la maîtrise professionnelle en Contentieux international,
Yaoundé, 2007.
10 - L'art d'élaborer des textes juridiques
n'est pas toujours aisé. Lire en ce sens, Catherine BERGEAL, Rediger un
texte normatif - Loi, décret, arr~té, circulaire~-,
Berger-Levrault, 2004.
11 - L'absence de cadres n'était pas propre
au Droit de la propriété intellectuelle. Ce défaut
d'expertise s'étendait à d'autres matières ou disciplines
juridiques. En ce sens, lire entre autres : Sophie NGOUAMASSANA DIOULY,
<< Le droit au Gabon », Dictionnaire encyclopédique de Droit
- Afrique -, Bordas-Libinter, Paris, 1990, p. 757-758.
Ensuite, la mise en place et le fonctionnement régulier de
la CSR nécessitaient la mobilisation de moyens financiers plus ou moins
importants. Or, aucune évaluation desdits moyens n'avait
été faite.
Ce n'est finalement qu'à partir de l'adoption du
règlement déterminant son organisation et son fonctionnement que
cet organe a été mis en place. Son fonctionnement effectif a
finalement débuté avec sa première session tenue en l'an
2000.
Le fonctionnement de la CSR s'explique en premier lieu par le
fait que les obstacles juridique, humain, structurel et financier qui avaient
entravé sa mise en place avaient été levés.
En deuxième lieu, le besoin de justice des usagers de la
propriété industrielle face à une Organisation omnipotente
a accéléré l'installation de cet organe12.
En dernier lieu, l'avènement de l'Organisation mondiale
du commerce (OMC) justifie la mise en place de la CSR. Le Traité
créant cette Organisation comprend en effet un Accord sur les aspects de
droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce ou
Accord sur les ADPIC13.
Texte majeur du Droit international de la
propriété intellectuelle, l'Accord sur les ADPIC, adopté
plusieurs années avant la révision de l'Accord de Bangui a en
effet au travers de ses articles 44 4 et 62 5, oeuvré pour la mise en
place et le fonctionnement effectif de la CSR14.
Cet organe est aujourd'hui régi par diverses dispositions
:
- les articles 19, 27 et 33 de l'Accord de Bangui
révisé (ABR) ;
- le règlement déterminant son organisation et son
fonctionnement, adopté à Nouakchott (Mauritanie) le 4
décembre 1998 ;
- l'aménagement du règlement déterminant
l'organisation et le fonctionnement de la CSR, pris à N'djamena (Tchad)
le 4 novembre 2001 ;
- les instructions administratives numéros 404, 412 et
604.
Les textes qui précèdent n'ont toutefois pas
déterminé la nature juridique de la CSR : est-ce une instance
administrative ou alors une juridiction de jugement ?
La réponse à la question qui précède
est nuancée.
Pour la doctrine, même si la CSR est composée de
magistrats, elle est non une juridiction, mais plutôt un organe
administratif15.
12 - Bien que légalement prévus en effet, les
recours contre les décisions du DG de l'OAPI, faisant griefs et
justiciables de la CSR, n'avaient été possibles jusqu' à
partir de l'an 2000.
13 - Sur l'OMC, lire : Michel RAINELLI, l'Organisation mondiale
du commerce, éd. La découverte, Paris, 2002.
14 - L'art. 44 4 de cet accord dispose que : <
Les parties à une procédure auront la possibilité de
demander la révision par une autorité judiciaire des
décisions administratives finales. . » et l'art. 62 5 dispose
à cet effet que : < Les décisions administratives finales dans
l'une quelconque des procédures mentionnées au paragraphe 4
pourront faire l'objet d'une révision par une autorité judiciaire
ou quasi judiciaire ».
15 - Maurice BATANGA, < La Commission supérieure de
recours tient sa deuxième session annuelle », OAPI Magazine,
n° 007, éd. spéciale, décembre 2009, p. 6.
Légalement, si l'on s'en tient aux dispositions
combinées des articles 44 4 et 62 5 de l'Accord sur les ADPIC, la CSR
est un organe quasi judiciaire16.
Cette nature quasi judiciaire est confortée par le fait
qu'en pratique, les membres de la CSR, son secrétaire portent la robe
des magistrats et greffirs et, les avocats y paident en costume d'audience ?
Au-delà de la considération doctrinale, des
textes et de la pratique en matière de port de costumes d'audience, la
position intermédiaire permet de conclure que la CSR est actuellement un
organe sui generis de règlement des litiges dirigés contre
certaines décisions administratives du Directeur Général
de l'OAPI17.
Une question se pose alors : pourquoi une étude sur la CSR
?
Les intérêts de l'étude de cet organe sui
generis de jugement sont multiples, actuel et futur. Mais au-delà de ces
intérêts multiformes, le point commun entre eux est qu'il s'agit
fondamentalement d'un intérêt juridique.
Pour le présent, il s'agit de contribuer à la
connaissance de cet organe important de l'OAPI et d'indiquer les moyens de
faire respecter les droits de propriété industrielle par cette
Organisation18.
Pour l'avenir et dans un contexte de révision de l'ABR,
il s'agit de proposer des pistes ou voies de réforme de cet organe. En
effet, l'organisation et le fonctionnement de la CSR présentent
aujourd'hui quelques insuffisances.
Les insuffisances dont il est question tiennent entre autres :
- au mode de désignation de ses membres ; - aux
attributions de son secrétariat ;
- à l'étendue des compéténces dudit
orgnae ; - au contenu des décisions rendues19.
La CSR apparaît donc comme un rempart contre certaines
décisions du DG de l'OAPI, préjudiciables aux
intérêts des recourants.
On est donc amené à se poser la question
suivante : comment est organisé actuellement cet organe, quelle est
l'étendue de ses attributions ou compétences et n'y a-t-il pas
lieu de lui dessiner une nouvelle physionomie ?
La présente étude procède par analyse de la
lettre et de l'esprit de certains textes internationaux et régionaux.
Les textes internationaux dont il est question sont notamment la
Convention de Paris et l'Accord sur les ADPIC.
16 - Cela explique-t-il que les membres de la CSR, son
secrétaire, le représentant du DG de l'OAPI et les
avocats-conseils en propriété industrielle siègent et/ou
plaident en costumes d'audience ?
17 - Sur les décisions justiciables de la
CSR, V. particulièrement la première partie du mémoire.
18 - L'étude du passé de la CSR n'a pas
d'intérét particulier dès lors que cet organe n'a
réellement commencé à fonctionner qu'en l'an 2000.
19 - V. développements de l'étude
infra.
Les textes regionaux sont l'ABR, certaines annexes de celui-ci,
certains règlements pris pour l'application de l'ABR et les instructions
administratives de l'OAPI.
Outre ces différents textes, l'étude sur la CSR
s'appuie par ailleurs sur d'autres sources.
Les sources doctrinales dont il est question sont les quelques
publications propres à l'OAPI et les études scientifiques
inspirant ce thème de recherche.
Les sources décisionnelles sont quant à elles les
décisions rendues à ce jour par la CSR20.
Au total, cette étude conduira à apprécier
de façon dynamique et/ou évolutive le cadre juridique de la
CSR.
Pour parvenir au résultat de la recherche, il sera
procédé à une analyse approfondie des règles
actuelles d'organisation et de fonctionnement de cet organe (Première
partie), avant d'aborder la vision prospective de cet organe, appelé
à être reformé par l'OAPI (Seconde partie).
20 - La controverse sur la nature juridique de la CSR conduit
à ne pas décider péremptoirement que les décisions
rendues par la CSR sont constitutives d'une jurisprudence.
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