4.2. APPROCHE CONCEPTUELLE ET METHODOLOGIQUE
- En prélude à la présentation d'un plan provisoire en
vue de la rédaction de la thèse, il se dégage une
impérieuse nécessité de définir le cadre conceptuel
et méthodologique de notre étude. Celui-ci prend en compte dans
une première partie, outre la problématique du sujet, sa
justification de même que les hypothèses et objectifs qui s'y
attachent. Dans une seconde partie, il s'agira de montrer par quelles
méthodes pourrions-nous collecter les données en vue de
vérifier ces hypothèses.
4.2.1. Le cadre conceptuel :
problématique, justification du sujet, hypothèses et objectifs
- L'Afrique en général et celle au sud du Sahara en particulier
compte plus de 80% de sa population dans les contrées rurales. Celle-ci
assure sa survie à partir des fruits qu'elle tire des activités
agricoles soit directement ou indirectement. C'est aussi par l'activité
agricole que les paysans d'Afrique subsaharienne créent leur richesse
puisque les excédents vivriers de même que les produits de rente
font l'objet de commercialisation.
- Depuis les indépendances, des efforts considérables sont
faits en vue de parvenir à plus de rentabilisation du travail de la
terre. Des projets intégrés de développement à
l'octroi des crédits agricoles en passant par la création des
structures d'encadrement et de vulgarisation de l'agriculture, les pays
africains et le Togo ont mis en place de véritables politiques
agricoles. La répercussion de ces politiques dont la plupart trouvent
leur source dans l'idée selon laquelle « la terre ne
trompe pas » et que « l'agriculture reste la
priorité des priorités économiques », est
que certaines régions ont pu juguler les problèmes de
pénurie de denrées alimentaires au point même de tendre
vers la couverture des besoins exprimés au niveau national. On
s'aperçoit alors que dans les préfectures de l'Est-Mono et de
l'Ogou par exemple comme l'indique le tableau n° 2, le bilan vivrier est
largement excédentaire.
- Tableau n° 2 : Bilan vivrier des préfectures de
l'Est-Mono et de l'Ogou entre 1979 et 1983 en milliers de tonnes.
- Source : NOYOULEWA T. A. (2006) d'après les données
recueilles dans
- Atlas du développement régional du Togo,
page 126.
- Le tableau n° 2 présentant le surplus des vivriers
enregistré dans les préfectures de l'Est-Mono et de l'Ogou de
1979 à 1983 nous donne une idée des retombées des
nombreuses politiques de développement rural entreprises par les
gouvernants au lendemain des indépendances. Un quart de siècle
après, même si les investissements dans ce secteur ont subit le
coup d'une part des Politiques d'Ajustement Structurels (PAS) et d'une autre
ceux de la mondialisation de l'économie, force est de constater que
l'agriculture reste encore dans cette région l'activité
principale et d'ajouter qu'elle nourrit une population qui va au-delà de
celle qui y habite. De ce point de vue, les nombreux traits actuels de ce
secteur de l'économie togolaise prennent plutôt la forme de
contrastes. En effet, les zones de production agricole qui sont (les chiffres
parlent d'eux-mêmes) le lieu de départ de toute production restent
dans leur globalité hors des circuits dynamiques d'échanges.
- En fait, les investissements qui ont été faits dans les pays
du sud en vue d'enclencher leur développement sont apparus des
années plus tard improductifs pour le secteur agricole qui pourtant
reste le ciment de tout développement en Afrique. Des regrets sont
très vite apparus en ce qui concerne les orientations données aux
milliards de dollars déversés dans nos pays au nom d'une
hypothétique solidarité envers les pays pauvres. C'est d'ailleurs
le sens que peuvent prendre les propos de Ouattara Alasane Dramane à
l'époque Directeur Général Adjoint de FMI lorsque le 12
mai 1999 il déclarait à Port-Louis (Maurice) que les nombreux
investissements vers l'Afrique auraient sans aucun doute été plus
rentables si au départ, ceux-ci avaient servit à améliorer
l'état des infrastructures de transport dans le contexte des
entités sous-régionales.
- Au Togo, en 1997, on pouvait évaluer à 29 266 km la longueur
du réseau routier national dont 2 884 km de route nationale
interurbaine, 43 km de route urbaine. Sur les 2 884 km de route nationale
seule 1 650 km étaient bitumés, 1 036 km revêtus
et 282 km de route nationale non aménagée. Par ailleurs, sur les
9 110 km de routes et pistes rurales, seules 3 700 km étaient
aménagées. Quant au réseau ferroviaire, il totalise 504 km
de voies ferrée autour des lignes datant de l'époque coloniale
(Lomé - Aného, Lomé - Atakpamé - Blitta,
Lomé - Kpalimé) et de celles de construction récente
(Lignes du phosphate et du clincker sur 72 km). Cependant, ces données
nationales cachent en elles une disparité selon les régions et
quelque soit le réseau considéré. Ainsi, le réseau
ferroviaire par exemple se situe à plus de 80% dans la région
Maritime. Quant à celle des Plateaux, elle jouit de la ligne Lomé
- Kpalimé et de celle qui quitte la capitale pour rallier Blitta dans
le centre. En ce qui concerne l'environnement étudié, il
bénéficie d'une section d'une soixantaine de kilomètres
sur l'axe Agbonou - Blitta et dessert les localités d'Awagomé,
Anié, Pallakoko et Akaba. Cette inégalité se dégage
également dans la répartition des infrastructures
routières. En effet, la région des Plateaux qui couvre 30% du
territoire national renferme quelque 29% de routes principales et 21% de routes
secondaires. A en croire ces chiffres, on se passerait très vite de
commentaire. Et pourtant, des inégalités se dégagent au
sein de la même région. La partie ouest, zone de l'économie
de plantation par excellence a profité d'une infrastructure
conséquente devant servir au transport du café et du cacao. Quant
à celle orientale, elle ploie sous le poids d'une injustice qui n'est
guère réparée jusqu'à nos jours. En fait, par
opposition aux pays Akposso et Kloto bien desservis, le Plateaux est n'a que la
section de la nationale n°1 allant d'Amakpapé dans le Haho
jusqu'à Nyamassila dans l'Est-Mono soit environ 150 km. D'elle partent
en faisceaux diffus des routes et pistes secondaires dont la
praticabilité en toute saison est loin d'être assurée. Dans
la préfecture de l'Est-Mono par exemple, on estime à 110 km les
routes secondaires alors que les pistes rurales ont une dimension globale de
331 km.
- Alors que Elavagnon le chef-lieu de la préfecture de l'Est-Mono est
situé à 11 km de la nationale n°1 à la latitude de
Nyamassila, l'absence d'une infrastructure de franchissement sur le fleuve Mono
contraint les habitants à parcourir une distance désenclavante de
35 km pour rallier Anié à partir du pont situé sur le
même fleuve à Dotè plus au sud. Et pourtant, depuis les
années 98, un projet de construction d'un pont a été
entrepris. Seulement, à ce jour, il est resté comme le montre la
photo n°1 inachevé.
- Photo n° 1 : Etat du pont en construction sur le fleuve
Mono entre Elavagnon et Nyamassila
-
- Source : NOYOULEWA T. A. (2006).
- On y voit des poteaux censés supporter les barres de passage qui
doivent relier les deux rives du Mono sur environ 50 mètres.
Aujourd'hui, ces poteaux apparaissent comme de véritables obstacles
à l'écoulement de l'eau et surtout au transport de
matériaux solides. La preuve est ce grand tronc d'arbre sec qui
gît contre ces poteaux en dépit du fait que la grande saison des
pluies y a régné de façon intense.
- La deuxième option qui s'offre est le trajet Kpessi - Nyamassila sur
25 km environ. Seulement la praticabilité de cette dernière piste
est saisonnière. Cette situation oblige les populations rurales à
parcourir deux ou trois fois la distance réglementaire pour
accéder à un réseau fonctionnel étant entendu le
rôle régional joué par le marché d'Anié ou la
route nationale n°1 dans le développement des échanges. Il
se dégage alors un problème crucial dans la gestion et la
commercialisation des produits agricoles. D'ailleurs sous cet angle, le
problème peut paraître moins évident puisqu'il ne prend pas
en compte les contrées de production située à l'est de
l'axe Isati - Morétan - Elavagnon - Anié. En
réalité, le sort de ces contrées est plus crucial puisque
dans la plupart des cas, elles se situent sur la rive Est de l'Ogou, un
affluent du Mono. Sur cette rivière, comme visible sur la photo n°
2, c'est un radier vétuste qui permet tout franchissement seulement
quand la rivière n'est pas en crue.
- Photo n°2 : Radier servant d'ouvrage de franchissement
à Ogou Kolidé sur la rivière Ogou
-
- Source : NOYOULEWA T. A., (2006).
- De ce qui précède, toute la production agricole a du mal
à parvenir au moins sur les marchés d'animation hebdomadaire
comme ceux de Morétan ou d'Elavagnon. On comprend pourquoi vers le mois
de septembre, le prix de vente des vivriers peut varier jusqu'à 40%
selon qu'ils soient vendus sur place ou dans les marchés plus desservis.
Par ailleurs, quoique chef-lieu d'une préfecture, le réseau de
téléphonie fixe ne fonctionne pas en temps plein à
Elavagnon. Des perturbations fréquentes surviennent sur ce réseau
et maintiennent toute la préfecture hors du réseau national.
Quant à la téléphonie mobile, elle n'est d'usage que par
endroit car seuls les habitants des zones surélevées en ont
facilement accès. Enfin, parlant de l'accessibilité aux mass
médias nationales, elle reste un casse-tête pour les habitants de
notre environnement. Il est plus facile de capter par exemple une radio rurale
située à Tchetti en territoire béninois que de capter
radio Lomé ou radio Kara. Au même moment, la
télévision togolaise est purement et simplement inexistante sur
les postes téléviseurs. Autant de faits évocateurs d'un
phénomène qui ressemble davantage à une mise à
l'écart par rapport au territoire national qui est le sien. Cependant,
évoquer ces faits sans parler de l'état des routes serait
inopportun. En effet, les décennies passées ont connu grâce
à l'action concertée des pouvoirs publics et des responsables de
la Société Togolaise du Coton (SOTOCO) une politique de
gradérisation annuelle des pistes rurales afin de permettre
l'évacuation du coton-graine. De nos jours, avec la déprise de ce
secteur de l'économie nationale, les pistes rurales ne sont plus
entretenues comme elles l'étaient dans un passé récent. Il
en découle leur très mauvais état si ce n'est leur
disparition progressive comme indiquée sur les photos n°3 montrant
l'état actuel d'une piste rurale.
- Photo n°3 : Piste rurale à Ogou Kolidè dans
l'Est-Mono
-
- Source : NOYOULEWA T. A. (2006).
- Sur la photo n°3, il se dégage clairement deux sentiers
distincts témoignant de l'usage de cette piste par les véhicules
à quatre roues. Cependant, dans son état actuel, on voit bien que
l'un des sentiers est en voie de disparition. C'est sans aucun doute cette
situation qui aboutira au cours des années à l'image
perçue sur la photo n°4.
- Photo n° 4 : Etat actuel d'une piste rurale à
Landa dans l'Est-Mono
-
- Source : NOYOULEWA T. A. (2006).
- Sur la photo n°4, on voit bien se dégager les limites
antérieures de la piste. Ce sont celles qui étaient les siennes
lorsque l'entretien de la route était annuel. Avec la cessation de ces
opérations de gradérisation qui consistaient à remblayer
la piste à base de latérite et de creuser les rigoles pour
faciliter la circulation de l'eau dès la saison pluvieuse, cette piste
à l'instar de toutes les autres dans la zone d'investigation a
été progressivement colonisée par la brousse. Somme toute,
ouvrages de franchissement, routes et pistes rurales constituent ce que nous
désignons par les voies de communication et qui font l'objet de la
figure n°4 montrant l'état global actuel des infrastructures de
communication dans l'environnement étudié.
- Figure n° 4 : Etat actuel des infrastructures de
communication dans la zone d'investigation
- L'absence, l'insuffisance ou la praticabilité saisonnière
des voies de communication dans le Plateaux Est est loin de n'être qu'un
problème de justice spatiale ; il met en relief une question
centrale qui veut que lorsqu'une société cultive la terre et en
tire des fruits, il faut nécessairement qu'elle puisse vendre le surplus
à des prix raisonnables afin de se procurer les biens
manufacturés et d'assurer le développement de son cadre de vie.
Comment se prennent alors les populations rurales de la zone d'investigation
pour assurer l'écoulement de leurs produits ? Une question qui met
à nu plusieurs autres. En fait on se demande comment s'organise
même la vie dans les contrées rurales enclavées de l'est de
la région des Plateaux ? Comment les paysans de cet espace
géographique assurent leur approvisionnement en intrants pour les
différentes cultures ? D'ailleurs quelles sont les principales
spéculations développées dans la zone
d'étude ? Quels liens entretiennent ces populations avec leurs
voisines du Togo d'une part et d'une autre celles du Bénin
frontalier ? Bref, comment à partir des données
inhérentes au domaine agricole dans les zones rurales enclavées
nous pouvons apprécier le niveau de développement et clarifier
l'incidence de l'isolement sur la pratique de l'activité agricole et la
vie des populations ? Autant de questions qui nous obligent à fixer
à notre étude des objectifs clairs. Mais avant, il serait logique
d'émettre des hypothèses de travail afin qu'elles servent de fil
conducteur à notre démarche scientifique.
- Les hypothèses sont en réalité des réponses
provisoires aux nombreuses questions soulevées par le thème que
nous traitons. Elles se subdivisent en deux. Des hypothèses subsidiaires
autour d'une hypothèse centrale. Notre étude part du fait que
l'enclavement constitue un frein pour le développement des zones rurales
du Plateaux Est. Quant aux hypothèses subsidiaires, elles prennent la
configuration ci-après :
- - Le relief de plaine, le climat tropical guinéen et le
réseau hydrographique dense sont autant de traits physiques favorables
à l'activité agricole,
- - La faible densité d'une population inégalement repartie
permet de dégager des terres à des fins agricoles,
- - La forte production agricole de la zone d'investigation est source d'un
besoin de plus en plus crucial en infrastructures de transport,
- - Les difficultés d'approvisionnement en intrants et celles
liés à l'accessibilité des points de commercialisation des
produits agricoles conduisent les paysans à des comportements moins
ambitieux en terme d'amélioration des techniques de production,
- - La pratique de l'économie de plantation est la raison qui explique
que l'ouest de la région des Plateaux est plus désenclavé
et plus développé que sa partie orientale,
- - L'enclavement des contrées rurales contraint les paysans à
vendre leurs produits à des prix inférieurs aux prix de
production,
- - C'est aussi l'enclavement qui explique les flux importants de produits
vivriers qui sont drainés vers le Bénin voisin,
- - L'absence de groupements de paysans producteurs de vivriers, le manque de
structures locales de conservation des denrées oblige les paysans
à brader leurs produits dès la récolte.
- Tout comme les hypothèses, les objectifs que nous assignons à
cette étude s'articulent autour de deux grands traits. Il s'agit d'abord
d'un objectif général. Celui-ci est le suivant : Montrer
comment l'enclavement des zones rurales du Plateaux est au Togo constitue un
frein à son développement véritable. Autour de cet
objectif central s'articulent plusieurs autres. Ce sont des objectifs
spécifiques. Ils sont :
- · Présenter les conditions physiques de la zone d'investigation
et leur potentialité agricole,
- · Analyser les données humaines de la zone d'étude ainsi
que leur interaction sur la les activités économiques,
- · Etudier les différents flux des produits agricoles à
partir des bassins de production ainsi que les importants pôles de
distribution à l'échelle régionale et nationale,
- · Analyser l'insertion de la zone d'investigation dans les circuits
commerciaux régionaux et nationaux,
- · Situer le niveau de développement de l'est de la
région des Plateaux par rapport à l'échelle nationale et
en relation avec l'isolement qui le caractérise,
- · Relever des éléments d'analyse du paradoxe qui se
dégage dans l'appréciation d'une zone de forte production
agricole et la faiblesse de ses indices de développement,
- · Proposer des approches de solution à court, moyen et long
terme en vue de maximiser les revenus issus de l'activité agricole dans
la zone d'étude.
- C'est pour vérifier ces hypothèses et atteindre ces objectifs
que la définition d'une approche méthodologique
conséquente s'impose. Mais encore faut-il que notre étude
présente un intérêt.
- L'intérêt que regorge la présente étude se
perçoit à travers le fait qu'elle se veut une analyse d'un
phénomène plus que jamais d'actualité surtout dans un
monde devenu un village planétaire. Comment donc des milieux,
créateurs d'autant de richesses dans nos pays peuvent continuer par
rester en marge des grands axes d'échanges. On comprend pourquoi par
l'analyse du problème de l'enclavement en général et de
celui des zones rurales en particulier, nous pourrons offrir des
éléments d'appréciation aux décideurs locaux,
nationaux comme internationaux dans les choix d'investissement qu'ils
opèrent. Phénomène aux effets multiplicateurs,
l'enclavement et plus encore son étude permet de mettre en relief sur un
plan beaucoup plus global les difficultés liées à la
pratique de l'activité agricole dans les pays du sud. Ceci permettra
sans aucun doute de montrer en quoi agriculteurs du sud et ceux du nord ne
peuvent se présenter de façon égale sur le marché
mondial. Mais au-delà de tout ceci, le présent sujet vise
à montrer comment par le seul fait de l'enclavement, les populations du
Plateaux Est vivent une marginalisation diffuse qui induit : un prix de
revient des intrants plus élevé, un coût excessif de la
main d'oeuvre, un faible coût des produits agricoles, .... Alors comment
doit-on se prendre pour rassembler toutes les données se rapportant
à ce travail ?
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