1.5.2. Fixation de la
problématique
Ce qui nous intéresse, c'est la manière
spécifique avec laquelle une théorie pose le problème et
interroge les phénomènes à analyser et permet de se poser
à leur propos des questions de recherche qui prolongeront la question
centrale.
Ce faisant, la police comme
« organisation » et les policiers comme « acteurs
sociaux » nous renvoient aux théories qui traitent de
l'interaction entre « l'acteur et l'organisation ».
A ce sujet, le travail de lecture nous a mis sur la piste de
l'analyse stratégique de CROZIER M. et FRIEDBERG E., (1977) dans
l'acteur et le système, qui s'est présentée comme une
grille de lecture pertinente. Cependant, après l'avoir soumise à
une analyse profondément mûrie, elle semble limitée par le
concept « système » qui constitue un enfermement de
l'acteur dans un cadre sans issue. Pour cette raison et celle d'éviter
le débat sur « le système ouvert ou
fermé », cette théorie est mise en jachère.
Toutefois, en cas de pertinence, elle peut servir d'appui ou de
référence.
En parcourant la littérature exploratoire, nous avons
repéré la recherche de MONJARDET D., qui présente une
analyse mieux indiquée « la police comme
organisation ».
Il la conçoit en ces termes : « une
organisation complexe, régie par des règles contraignantes, et
dont les membres sont loin, de partager une vision identique des
finalités de la police en général et de leurs propres
missions en particulier. L'organisation informelle y joue un rôle
déterminant » (1996 : 64).
La police comme organisation est caractérisée
par une division et une spécialisation des tâches, des techniques,
des procédés, des savoirs, une structure hiérarchique et
des normes informelles.
Cette recherche a mobilisé cette grille de lecture pour
expliquer la police comme « organisation » et les
policiers comme « acteurs sociaux » dans les relations
entre « OPJ » et « APJ » au regard de
leur travail judiciaire. Elle nous permet de comprendre et d'analyser la police
dans une perspective microsociologique.
C'est ainsi que nous avons stigmatisé la police en
termes « d'organisation » comme instance
hiérarchique où « OPJ » et
« APJ » sont des « acteurs sociaux »
définis par leurs statuts (grade) et leur rôle (fonction),
mobilisent et coordonnent des ressources (maîtrise de la loi et de la
procédure et les manières de les contourner...) en vue de
réaliser leurs missions judiciaires. Régis par des règles
contraignantes, évoluent dans le jeu de pouvoir, développent les
stratégies pour réaliser leurs attentes personnelles et
divergeant souvent avec celles de l'institution.
Ils sont en contact avec l'extérieur. Les normes et
l'organisation informelles y sont déterminantes et imposantes.
Ce que fait la police, c'est ce que les policiers font et en
font (MONJARDET D., 1996 : 9). Ceci justifie bien la grille de
l'acteur social et l'organisation qui montre les policiers non pas comme les
simples animateurs, mais comme les acteurs sociaux qui font bouger la police et
lui donne un visage particulier où émerge un
« iceberg » dont la partie submergée constitue la
pratique « d'OPJ debout » évoluant dans l'ombre.
C'est ainsi que la nuit soutient le jour, et l'invisible constitue le socle du
visible, c'est comme le latent et le manifeste, le non dit et le dit, le
potentialisé et l'actualisé. C'est l'organisation informelle qui
soutient celle dite formelle.
Cette grille de l'acteur social et l'organisation retenue
comme problématique de cette recherche, dans le sillage de MONJARDET D.,
(1996), éclaire l'analyse des relations entre
« OPJ » et « APJ » qui
débouchent à la pratique dite de l' « OPJ
debout ». L'organisation est un cadre abstrait. En tant que telle,
elle ne fonctionne donc jamais en conformité parfaite avec les normes
qui sont censées la régir, même si celles-ci ne sont pas
contradictoires. Ces failles font que les policiers en tant qu'animateurs
interprètent et adaptent les règles de l'organisation. C'est en
cela qu'ils sont acteurs.
D'après cet auteur, les policiers jouissent d'une
« autonomie » qu'il appelle « pouvoir
d'initiative ». C'est ce que LOUBEL J.L., définit en termes de
« pouvoir d'appréciation »
comme « une prise de décision qui n'est pas
strictement gouvernée par des règles légales, mais qui
comporte un élément significatif de jugement
personnel. » (2006 :210)
MONJARDET insiste plus sur l'organisation que sur l'action des
acteurs. Le pouvoir d'interpréter et d'adapter les règles de
l'organisation ainsi que celui d'initiative ou d'appréciation
dépendent des enjeux du pouvoir, du point de vue de chaque acteur, de
son histoire et de ses projets propres. C'est ici que nous trouvons pertinent
d'enrichir cette grille par celle de DEBUYST (1990 : 25-26).
Cette grille nous permet d'expliquer comment les policiers
sont des « acteurs sociaux » agissants, intervenants et
interagissants dans le secteur pénal selon leur point de vue lorsqu'ils
se trouvent confrontés à des règles contraignantes. Leur
point de vue est fonction de leur histoire et projet propres. Ils sont adultes,
responsables et parents ; ils doivent prendre à charge leurs
familles, s'équiper et aspirer au bien être ; le point de vue
est aussi lié à leur expérience en vue de réaliser
leurs attentes différentes de celle de l'organisation. Sinon, ils
démissionneraient de la police depuis longtemps. C'est grâce
à ces pratiques informelles qu'ils se maintiennent et que la police
fonctionne comme telle.
Par cette problématique, la question de départ
se précise pour se transformer et se prolonger en question de
recherche :
« Qu'est-ce qui est essentiel dans les
relations entre « OPJ » et « APJ » lors
de leur travail judiciaire ? »
Sans doute, elle sera complétée et enrichie par
d'autres questions pour approfondir et élargir l'objet de recherche.
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