3.3. « La norme
sociale » et « la norme juridique »
La norme sociale a un caractère général,
non contraignant et non répressif. Elle a une dimension plus large que
la norme juridique. Celle-ci est contraignante impérative, impersonnelle
et répressive. La norme sociale trace une ligne de conduite dont la
sanction peut être une désapprobation de l'acte. Tandis que la
norme juridique impose une sanction pénale.
Si l' « OPJ assermenté a la latitude de
recourir à la fois à la norme juridique pour réprimer et
la norme sociale pour l'arrangement à l'amiable, l' « OPJ
debout » quant à loi, écarte la peine et recourt
à la norme sociale pour imposer la sanction non pénale et se
limite à l'amende transactionnelle.
3.4. « L'arbre
à palabre et « tribunal »
La logique de l'arrangement à l'amiable s'allie
à l'arbre du palabre comme mode de régulation sociale à
l'antipode du tribunal qui impose les sanctions pénales et criminalise
l'auteur. La visée de l'arbre à palabre est l'arrangement
à l'amiable entre les deux parties en conflit. Il vise l'harmonie de la
société et non la criminalisation. La réparation des faits
y trouve sa place.
Par contre, le tribunal vise la répression de l'auteur
et la victime n'y a pas sa place. Il est centré sur la recherche de la
« culpabilité » et la responsabilité de
l'acte dans le chef de l'auteur. La pratique de l' « OPJ
debout » repose sur l'adage : « vaut mieux un mauvais
arrangement à l'amiable qu'un bon procès. Dans l'arbre à
palabre, les deux parties procurent au « juge » les bananes
ou une calebasse de vin pour la salive gaspillée, l'énergie
perdue et le service rendu. Tandis que le Tribunal impose la peine d'amende ou
de servitude pénale et non aux deux parties, mais à l'auteur de
l' « infracata ».
3.5.
« L'ANORMAL » ET « LE NORMAL »
L'anormalité et la normalité sont deux notions
relatives. Elles varient dans le temps et dans l'espace.
Le port de mini-jupe est normal dans les
sociétés occidentales et anormal dans les sociétés
africaines de jadis. Pour le moment, le port de mini-jupe est devenu normal en
milieu urbain congolais.
La normalité implique la conformité des faits
par rapports aux valeurs d'une société donnée dans le
temps et dans l'espace. Ne dit-on pas, autres temps, autres moeurs.
L'anormalité quant à elle indique l'inversion des valeurs.
Au regard de l'inversion des valeurs, René ABINDI
AGNETO a illustré ce qui suit que nous restituons in extenso :
« Un jour, dit l'auteur, mon fils rentra de
l'école, il trouva sur la route une vieille femme et pauvre qui peinait
sous le fagot de bois qu'elle portait sur sa tête. Pris de pitié,
l'enfant proposa d'aider l'infortunée. Quelle ne fut sa surprise, au
lieu d'accepter, elle cria au voleur « tu veux prendre mon fardeau et
partir avec. »
A nous de stigmatiser : « autres temps, autres
moeurs. »
Que faire aujourd'hui avec cette inversion des
valeurs ?
Tout ce qui était jadis
« normal » est devenu aujourd'hui
« anormal » et vice versa. A l'école, les enfants
donnent de l'argent en lieu et place des travaux manuels : les
élèves, voire les étudiants, achètent la
réussite et sont fiers d'appeler cela coopération ou
« coop » tout court. A l'hôpital, ni l'infirmier, ni
le médecin, personne ne sait s'occuper d'un malade, même sur le
point de mourir, si l'argent n'est déboursé d'avance. Dans les
bureaux de l'Etat et dans l'administration publique, l'on ne peut avoir un
document si l'on ne glisse pas les pattes de l'huissier jusqu'au directeur. A
la police comme à la justice, la simple convocation ou le mandat ne peut
s'octroyer sans paiement et l'on ne peut gagner le procès sans
casquer. » (2006 : 23)
Il se passe que le « normal » devient
« anormal » et vice-versa. Il en est de même de la
pratique de l'OPJ debout ». Elle est anormale pour ceux qui oublient
ou ne savent la contextualiser dans les logiques, les sens et les
représentations des acteurs. En restituant la pratique dans son
contexte, elle est censée normale.
A ce propos, LITTREL, sous la plume de LANDREVILLE P., et al a
eu le mérite de démontrer que : « ce
déplacement de valeurs a amené un déplacement de
pouvoir : les personnes clés du système judiciaire ne sont
plus les juges, mais les procureurs et les policiers. En d'autres mots, ceux
autour de qui se joue la négociation de culpabilité et de
sentence ». (1986 : 2)
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