2.4. « APJ
législateur »
La recherche montre que les policiers agissent en acteurs
sociaux, transforment certaines lois pénales et civiles ou
« un-quatre » et vice versa selon les enjeux des acteurs en
présence susceptibles d'orienter l'issue du conflit entre les parties en
déterminant d'autres modes de régulations que pénales. Les
policiers, « OPJ et APJ » adaptent les lois des
« autres », les contextualisent et en innovent d'autres que
pour les comprendre, il faut les restituer dans les logiques, le sens et les
représentations qu'ils s'en font.
Ils transforment les lois « civiles » en
lois pénales dans les conflits de location des maisons, des dettes et de
mariage. Il suffit qu'un mari déserte son toit conjugal pour au moins un
mois, la police lui colle l'étiquette « d'abandon de
famille » sans que le tribunal ne soit saisi de l'acte. Et le fait
est sanctionné par l'amende.
Ils les adaptent selon le contexte et les enjeux de deux
parties en conflit. C'est dans cette ligne de pensée que nous avons
évoqué le cas d'un impliqué qui avait une dette de 1000 $
et qui avait disparu pendant deux mois... Reparaissant, le
« plaignant » l'a acheminé à la police
où l'OPJ, placé dans ce contexte, a transformé la
« dette en « abus de confiance »
c'est-à-dire, de la décriminalisation à l'incrimination.
Jouant son rôle de médiateur ou d'intermédiaire, il a fini
par clôturer le problème par un arrangement. Ainsi, le civil est
sanctionné par le pénal, l'amende transactionnelle.
Parlant de l'amende transactionnelle, la notion a
évolué dans la pratique. Il y a innovation fruit de la
créativité liée à la logique de
précarité. Elle n'est plus perçue seulement en
liquidité, mais aussi et fréquemment en nature. En nature, les
acteurs exigent la perception des biens de valeur à titre de gage pour
la garantie d'un payement proche ou à titre définitive. Une autre
innovation concernant la sanction, c'est le commerce sexuel qui peut être
utilisé quelquefois à titre de « caution » ou
d'amende transactionnelle.
Il n'y a pas que l'Etat qui produit les normes, les acteurs
sociaux en produisent aussi. (KIENGEKIENGE R., 2005 : 31) Monsieur KABILA
qui rentrait chez lui nuitamment, fut intercepté par les patrouilleurs
dans leur « mawindo » ou « bokila » (la
chasse, ici la patrouille) et fut « disapronné ».
Les policiers l'ont criminalisé pour « heure
tardive ». Se promener tardivement est érigé en
« infraction » et est sanctionné par l'amende, le
gage à titre définitif puisque c'est dans la chasse.
« Bya mu patrouille, bineshiyaka paka mu patrouille » (le
butin se partage toujours dans la chasse). Aussi, le cas exceptionnel et
isolé le « commerce sexuel » peut servir
d'amende.
Ainsi, une simple « suspicion » est
érigée en « infraction ». Heure tardive
s'accompagne souvent de « suspicion » ; la notion
d'heure tardive est floue et imprécise. Elle est aussi relative et
commence entre 21 : 000 et minuit selon les acteurs et le secteur à
patrouiller. Dans un quartier où les gens dorment tôt, l'heure
tardive est perçue tôt c'est-à-dire à partir de
21 : 00. Dans un quartier animé où les gens se couchent
tard, elle est aussi prolongée et devient élastique et
débute vers minuit et au-delà.
L'infraction provoquée », c'est le
« treize » provoqué volontairement. Les policiers se
promènent parfois avec les boules de « noix »
« Djamba » « bangi » « boule,
« best » (meilleur)... différentes appellations du
chanvre. Pendant la patrouille, les policiers ciblent la personne qui a
l'argent ou les biens de valeur. Pendant qu'ils la fouillent, l'un d'eux glisse
subtilement une boule du chanvre dans l'une de ses poches pour la brandir et
incriminer la personne. Ils en profitent pour transiger en visant une grande
somme.
Les contraventions routières sont criminalisées
et leurs auteurs incriminés. C'est le champ des policiers où ils
récoltent. Elles constituent aussi les cibles de leur chasse. Selon les
entrevues, pendant la patrouille, les policiers sont à la recherche des
véhicules qui roulent sans phares, le monophare, les motos ou les
vélos sans phare.
Ils opèrent souvent dans les environs des buvettes ou
bars où ils peuvent être en contact avec le « un
quatre ». Parfois, ils tendent le filet où tombent les
personnes ivres et les prostituées. Celles-ci tombent sous le coup de
« vagabondages » dont la liberté peut être
obtenue par le « millième ».
Un jeune homme et une jeune fille trouvés seuls pendant
les heures tardives dans le contexte policier, à un endroit obscur et
isolé, tombent sous le coup d' « attentat à la
pudeur » qui est aussi sanctionné par le
« dix-vingt-cinq » (l'argent).
Voilà montré selon les limites des
données de notre investigation comment les policiers innovent, adaptent
et transforment les normes selon leur point de vue, leur discernement, leur
expérience et leur histoire et projets propres. Ce qui est positif et
essentiel, c'est la recherche de l'harmonie entre les parties en conflit.
|