1.2. «
Légitimation policière de la pratique de l' OPJ
debout »
La pratique de l' « OPJ debout » tire
sa source de l' « OPJ assermenté » dans sa
manière de gérer les « APJ ». Il ressort de
l'observation et des entrevues empiriques que l' « APJ » se
substitue à l'OPJ lorsqu'il participe au travail judiciaire sans trouver
son compte. Le cas des patrouilleurs qui récupèrent le matin la
personne impliquée laissée dans un poste de police le plus proche
de leur secteur opérationnel en l'acheminant à l'OPJ confiant
tout en contournant celui qu ne sait pas conjuguer le verbe manger au pluriel,
est une illustration saillante qui présente deux façons de
gestion des APJ.
Plus les APJ reçoivent la redistribution, plus ils
participent au travail judiciaire et moins ils se livrent à la pratique
de l' « OPJ debout » pour le profit personnel. Par
ailleurs, cette pratique est un processus qui découle de l'imitation.
L'APJ est appelé à opérer le
« mukwao ».
De ce fait, il est le premier à entrer en contact avec
les deux parties en conflit et il a les sources de premières mains
concernant les conflits. Il voit, il attend, il participe aux
différentes auditions de l'OPJ assermenté. En assistant, il
apprend comment l'OPJ traite les dossiers civils ou pénaux et comment il
transforme le dossier « un-quatre » en dossier pénal
et vice-versa. Dès qu'il trouve l'occasion, sachant bien qu'il n'est pas
bien distribué, il applique ce que l'OPJ fait et il acquiert ainsi
l'expérience et s'érige en médiateur pour arranger les
différents conflits à l'amiable. Ainsi, il s'érige en
« OPJ debout ».
Dans sa pratique, il ne vise pas la procédure, mais le
résultat. C'est qui compte pour lui c'est avant tout
« treizer ». Et une
« treize normale » nécessite un arrangement
à l'amiable pour éviter le rebondissement parce qu'il
opère en « Kundelpain » c'est-à-dire dans
l'ombre. Il fait tout pour éviter les conséquences
négatives « le contre coup ».
Selon les entrevues, la pratique est aussi essentielle
puisqu'elle contribue à l'harmonie sociétale et que les deux
parties y trouvent chacune sa part et sont satisfaites. A ce sujet, nous
soutenons la réflexion de LASCOUMES P., pour avoir écrit ce qui
suit « ...ce qui n'empêche pas les justifications des
activités corrompues (selon nous informelles) d'avoir toujours une
grande efficacité malgré leur caractère réducteur
et souvent fallacieux ». (1999 : 158)
D'après l'empirie, la pratique de l' « OPJ
debout » est une décharge du travail de l' « OPJ
assis ». C'est une façon de le décongestionner puisque
parfois il est afflué de dossiers. La pratique se veut une avant-garde
d'entrée de la réaction sociale formelle ou du contrôle
policier.
A ce sujet, la visée est de régler le
problème avant qu'il ne soit judiciarisé. C'est dans ce contexte
que nous faisons notre la pensée de BRODEUR J.P. lorsqu'il indique
à propos de la police et l'instance judiciaire, ce qui suit :
« En réalité, la coupure entre le
droit et la police est l'une des lacunes les plus visibles de notre
système. Tous les programmes récents de réforme de la
police (...) s'arrêtent avant l'étape judiciaire et se
définissent souvent contre elle, l'objectif explicite de ces
réformes étant de résoudre les problèmes avant
qu'ils ne soient judiciarisés. » (2003 : 347)
De ce qui précède, force nous est de retenir
dans une optique innovatrice et adaptative que la pratique de l'
« OPJ debout » est une nouvelle piste non prescrite de
régulation des situations problèmes avant leur juridiciarisation.
Elle offre plusieurs atouts selon les empiries :
- Elle tend à la déjudiciarisation. La
visée est la recherche de l'harmonie et de la tranquillité
publique. Elle repose sur l'arrangement à l'amiable. L' « OPJ
debout » joue le rôle de
« médiateur » c'est-à-dire facilitateur. La
médiation se fait par la négociation. En cas d'échec, le
dossier suit son cours normal. C'est pourquoi elle est l'avant-garde du
système pénal.
- Elle évite les frais de justice. Si l'administration
de la justice policière est déjà coûteuse par les
différents frais (pour la plainte, « ya makolo pour le
déplacement, les frais d'instruction du dossier, du transfert du
dossier... et que dire de frais de justice au niveau du Tribunal ?
Dans le cadre référentiel, en parlant de la
gestion des plaintes, nous avons pu relever que certaines plaintes
étaient non recevables puisqu'elles n'étaient pas
monnayées. C'est dans ce même cadre que Prince KAUMBA LUFUNDA a
parlé de la non recevabilité des plaintes (2004 : 147). Et
dire qu'au niveau de la police, les dossiers sont souvent clos par les
« mulambu » (amendes transactionnelles) très
exorbitantes et parfois sans aucun rapport avec la gravité du
problème. Que penser si le dossier suivait son cour normal jusqu'au
tribunal ?
Concernant les frais comme un obstacle à
l'accessibilité de la justice au niveau du Tribunal, nous trouvons
opportun de stigmatiser in extenso la pensée d'Alain KOJAN et Didier
KABOMBO dans leur recherche sur « la pauvreté face à la
descente aux enfers de la justice » en retenant ce qui suit :
« La justice coûte chère : la
consignation, les frais d'huissiers, les frais de rédaction des actes de
procédure, les frais de rédaction du jugement, s'exclame plus
d'un congolais.
« Moi, je ne peux pas me rendre dans cette
baraque, renchérit un autre, j'en suis excédé.
« Ces propos de table ou causerie d'affaire
sont alimentés et amplifiés par la pauvreté des personnes
qui interviennent dans l'administration de la justice (OPJ, magistrat, greffier
et huissier). (2006 : 25-26)
Ainsi, les frais de justice limitent la population à
l'accès au tribunal. La pratique de l' « OPJ
debout » devient un palliatif salutaire.
- Comme la pratique décongestionne le travail
judiciaire de l' « OPJ », il en est également de
celui du magistrat et du juge.
- Elle échappe à la lenteur de la
procédure. Elle est dite « debout » puisqu'elle est
rapide dans le gain du temps. Elle trouve une solution immédiate.
- Elle vise la réparation, l'harmonie plutôt que
la peine. Elle est dépénalisante. Elle évite aux
impliqués le cachot et la prison.
- Elle mobilise plusieurs ressources ou recettes de
régulation. Se servant du cadre juridique, elle clôture le dossier
verbal par l'arrangement à l'amiable à l'issue de laquelle les
deux parties sont satisfaites.
- Elle repose sur le principe selon lequel, vaut mieux un
mauvais arrangement qu'un bon procès.
- Elle permet à la personne impliquée
d'échapper aux erreurs judiciaires puisqu'en appliquant la
procédure, il est possible que les erreurs judiciaires se glissent et
qu'un innocent soit criminalisé. A ce sujet, la police est un filtre de
sélection de délinquant.
L' « OPJ assermenté » a la grande part de
manoeuvre en transformant l'affaire « un-quatre » en
affaire pénale.
Quant au niveau du Parquet et du Tribunal, les auteurs
précités renchérissent ce qui suit selon les propos de
certains magistrats tout en les situant dans le contexte de
précarité :
« Je ne suis pas bien
rémunéré, comment veux-tu que je rende une bonne
justice ? Il est vrai qu'un magistrat mis dans les mauvaises conditions
n'est pas à mesure de rendre une bonne justice (pour nous une juste
justice) » (2006 : 26).
- Elle échappe à la fiction juridique.
Concernant l'équité, le droit pénal apparaît
clairement dans le choix de ce qu'il réprime et dans la manière
dont il est appliqué, ne place pas tous les citoyens sur le même
piédestal d'égalité devant la loi (DAYEZ B., 1999 :
118-199)
La pratique sous-étude ne vise pas la
répression, mais la réparation et l'arrangement.
- Elle permet aux impliqués d'échapper au risque
de la détention préventive induisant parfois de graves
discriminations. Cette détention n'est qu'une forme de régulation
qui est susceptible d'incarcérer quelqu'un parce qu'il est pauvre.
Souvent, au niveau de la police, il est constaté que la plupart des
impliqués se retrouvent au Parquet par manque d'amendes.
A ce propos de discrimination, DAYEZ B. précise ce qui
suit :
« L'arrestation d'un magnat financier ou d'un
politicien ou de quelqu'un à vue pouvait laisser croire que personne
n'est à l'abri d'une mise à l'ombre dans le cadre
préventif. Mais ne soyons pas dupés : en matière de
délits financiers sur une grande échelle, le motif du mandat
d'arrêt est trouvé dans les nécessités de
l'instruction. Cela équivaut bien entendu à remettre
l'inculpé en liberté et le risque de récidive n'est pas
évoqué ». (1999 : 119)
- Le chiffre noir que peut induire la pratique est une fiction
puisqu'il est un mal nécessaire pour réguler les situations
problèmes entre les parties impliquées. Il est un
« mal » parce que les tenants de cette pensée
soutiennent qu'il obnubile le chiffre réel dans l'analyse statistique de
la criminalité. Pour nous, l'important n'est pas le chiffre réel
pour développer et élaborer la politique de lutte contre la
criminalité, mais plutôt c'est de savoir bien gérer cette
criminalité à partir de l'amplification des faits.
- La police est un service générateur des
recettes. La pratique est un obstacle et un manque à gagner pour l'Etat.
Ne soyons pas leurrés : la distribution du pouvoir est
inégalement répartie. La redistribution n'est pas
équitable et juste. Les APJ s'instituent à l'Etat pour se
rétribuer. En se transformant en « OPJ debout ». Si
les policiers travaillent avec zèle sans solde et se contente de la
prime, c'est parce qu'il tire profit dans l'ombre grâce à cette
pratique. Sans elles, la machine policière cesse de fonctionner. C'est
dans ce contexte que nous avons évoqué dans le chapitre
précédent que la nuit est plus importante que le jour, la
fondation que le mur, ce que nous réalisons le jour n'est qu'une
projection de ce qui se passe la nuit. Ainsi donc, la pratique non prescrite
n'est-elle pas un soutien et un complément de celle dite
réglementaire qui n'est qu'une construction abstraite et idéale
à laquelle l'on demande aux acteurs de s'y conformer. C'est dans la
logique de l'adaptation de la pratique réglementaire puisque non
contextualisé, et de l'innovation que s'érige et se
développe la pratique non prescrite.
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