INTRODUCTION GENERALE
L'épargne est-elle un préalable à
l'investissement ou est-ce le contraire ? La réponse à cette
question n'est pas sans conséquence pour la définition d'une
politique économique. Ainsi, si l'épargne entraîne la
croissance par transformation systématique en investissement, alors la
politique économique doit favoriser l'épargne. Mais, si
l'investissement est causé par des facteurs autres que l'épargne,
et si l'épargne est générée par l'investissement,
alors la politique économique doit stimuler directement
l'investissement. Ceci est d'autant plus vrai si l'objectif assigné
à la politique économique est dicté par la croissance et
le plein emploi. Globalement, deux grandes pensées s'affrontent quant
à la relation entre épargne et investissement : la pensée
(néo)classique et celle keynésienne.
Les modèles de croissance d'inspiration
néoclassique postulent un lien étroit entre l'épargne
intérieure et l'investissement intérieur. Ils offrent une
justification du recours à la politique de stimulation du taux
d'épargne ; ce qui stimule des niveaux plus élevés de
l'investissement et par suite, la croissance économique. C'est la base
de la thèse de la libéralisation financière, à
savoir que la suppression des diverses contraintes sur le système
financier encouragera l'augmentation de l'épargne intérieure, qui
produira davantage d'investissements et, partant, augmenter la croissance. Il
en résulte que toute hausse d'épargne génère
ex-post une hausse d'investissement d'un méme montant. Pour ces auteurs,
l'épargne est véritablement vertueuse car elle est
automatiquement investie et constitue un préalable pour l'investissement
(Turgot, 1766 ; Smith, 1776 ; Hayek ,1931 ; et Solow, 1956 etc.).
Par contre, dans la pensée keynésienne,
l'ajustement se fait ex-post, de l'investissement à
l'épargne, par le biais des variations de l'emploi et du revenu
(théorie du multiplicateur) ; l'investissement d'équilibre est
déterminé indépendamment du montant d'épargne
disponible. Une hausse de la propension à épargner ne modifie ni
le niveau d'équilibre de l'investissement, ni d'ailleurs celui de
l'épargne : elle réduit le niveau de la demande effective, et
donc l'emploi et le revenu, jusqu'à ce que le montant de
l'épargne soit égale au niveau inchangé d'investissement.
Il y a donc une inversion complète : l'épargne ne
détermine pas l'investissement mais plutôt l'inverse (Keynes,
1936).
Par ailleurs, l'effet de la libéralisation des
mouvements de capitaux sur la relation entre l'épargne et
l'investissement a été soumis à de forts débats.
Feldstein et Horioka (1980) introduisent l'idée selon laquelle la
corrélation entre épargne nationale et investissement
intérieur peut servir d'indicateur de mobilité
des capitaux. Ils ont montré que les capitaux n'étaient pas
mobiles dans les pays de l'Organisation de Coopération et de
Développement Economique (OCDE). Malgré l'existence de ces
corrélations élevées, d'autres tests de mobilité
des capitaux en utilisant des approches différentes ont contesté
leurs conclusions dont entre autres, Feldstein et Bacchetta (1990), Baxter et
Crucini (1990), Frankel (1990), etc. Les recherches ultérieures ont
émis d'autres hypothèses sur la taille du pays, les facteurs
démographiques, les politiques de limitation du déficit
budgétaire, entre autres, pour expliquer la forte corrélation
entre l'épargne et l'investissement domestiques.
En s'intéressant aux facteurs explicatifs de la
causalité entre épargne et investissement, Levy (1995)
prédit une absence de causalité de l'épargne vers
l'investissement dans un contexte de politique budgétaire
endogène. Par exemple, lorsque le gouvernement réagit aux
variations du solde de la balance des paiements en ajustant ses dépenses
en conséquence du gap épargneinvestissement. Greenidge et al.
(2004) ont quant à eux, testé l'hypothèse
théorique, en stipulant que dans les pays en développement la
causalité devrait s'exercer de l'épargne intérieure vers
l'investissement intérieur lorsque le niveau de développement
financier est élevé.
Quant à
l'hétérogénéité de la relation
épargne et investissement, Tricoire (2005) a cherché à
montrer en quoi le degré
d'hétérogénéité de la relation
épargne-investissement pourrait éclairer la manière dont
la dynamique d'intégration économique se manifeste dans une zone
considérée. Il montre que, lorsque le processus
d'intégration est en cours et qu'il s'accompagne de la convergence des
économies, la relation épargne-investissement peut être
alors fortement hétérogène.
Enfin, les défenseurs de la libéralisation
financière, cherchant à justifier sa mise en oeuvre, ont abouti
à la conclusion selon laquelle le système financier doit
être libéralisé pour : i) assurer son bon fonctionnement ;
ii) accroître l'épargne financière ; iii) amorcer les
investissements productifs et rentables ; iv) pousser l'innovation
technologique et v) soutenir la croissance économique. En outre, ces
auteurs précisent que le développement des banques et des
marchés financiers a un effet positif sur la croissance
économique car il permet d'allouer une plus grande quantité
d'épargne aux investissements. Ainsi, la relation
épargne-investissement a été au centre du débat
relatif à la relation finance-croissance économique. Le
débat a traditionnellement concerné les questions suivantes :
est-ce que le développement du système
financier conduit à une croissance économique plus
forte? Et comment le développement financier affecte-t-il la croissance
?
En ce qui concerne la première question, il y a une
abondante littérature pour répondre à la causalité
entre finance et croissance. D'un côté, les défenseurs du
développement financier (Levine, 1993 ; Loayza et Beck, 1999) qui
soutiennent que la causalité s'exerce de la finance vers la croissance
économique et de l'autre côté, on a ceux qui pensent que le
développement financier résulte de la croissance (Robinson, 1952
; Stiglitz, 1991) et donc la causalité va de la croissance vers la
finance.
Concernant la deuxième question, on a également
une littérature riche aussi bien sur le plan théorique
qu'empirique. Les défenseurs de la libéralisation
financière (Schumpeter, 1911 ; Gurley et Shaw, 1955 ; Gershenkron, 1962
; Goldsmith, 1969; Mackinnon, 1973 et Shaw, 1973) soutiennent que le
développement du système financier est une condition sine qua non
de la croissance économique. Ils suggèrent la
libéralisation du système financier pour réaliser une
meilleure allocation de l'épargne, une diversification efficace des
risques et une meilleure évaluation des projets d'investissement. Ces
avantages sont autant de fonctions remplies par un système financier
développé qui peuvent expliquer cette influence positive sur la
croissance1.
Les partisans de la théorie keynésienne et
postkeynésienne mettent en doute la capacité du marché
financier dans les pays en développement à mobiliser
l'épargne nécessaire pour la transformer en investissements
productifs du fait des instabilités fréquentes des marchés
financiers. Selon ces derniers, le financement de l'investissement doit
être indépendant de la contrainte de l'épargne et les
banques doivent rendre le financement de l'investissement par création
monétaire.
La causalité entre épargne et investissement a
été aussi au coeur des débats des programmes d'ajustement
préconisés par les institutions de Breton Woods. En effet, si la
causalité s'exécute dans le sens épargne-investissement,
dans ce cas l'augmentation du taux d'investissement exige une hausse de
l'épargne intérieure. Cela peut justifier le recours à la
politique budgétaire restrictive afin de réduire la consommation
publique et privée pour encourager l'épargne par des
allègements fiscaux et autres incitations. En revanche, si c'est
l'investissement qui est le moteur, alors le problème est de savoir
comment les entreprises
1 Cité par Ebeke (2006)
peuvent augmenter leurs dépenses d'investissement. Dans ce
cas les politiques économiques devraient être orientées
vers l'accroissement du niveau et de l'efficacité de
l'investissement.
Sous l'impulsion des bailleurs de fonds (Banque Mondiale,
FMI...), plusieurs pays africains ont entrepris des programmes d'ajustement
structurel ; lesquels comprennent un volet sur la réforme du
système financier. Cette réforme financière avait pour
objectif de relancer l'épargne, l'investissement et la consommation.
Cependant, malgré toutes ces réformes financières,
l'Afrique subsaharienne a un niveau de développement financier faible et
les taux d'épargne les plus bas du monde en développement. Selon
les estimations de la Banque Mondiale (2008), l'épargne
intérieure brute de la région se situait en moyenne en 2005
à 18% du produit intérieur brut (PIB) contre 26% en Asie du Sud
et environ 43% en Asie orientale et dans les pays du pacifique. Ce faible taux
d'épargne de la région n'est pas compatible avec les besoins
d'investissement de 25% du PIB nécessaire pour atteindre les objectifs
du Millénaire pour le Développement (OMD).
Concernant les pays de la zone franc, la zone
CEMAC2 présente le taux d'épargne le plus
élevé. Mais cela n'a pas entraîné un accroissement
de l'investissement domestique. Le taux d'épargne est passé de
37% en 2000 à 44% en 2005 alors que l'investissement a chuté
passant de 21% à 18% au cours de la même période WDI
(2008). La zone UEMOA3 quant à elle se caractérise par
une dégradation de l'épargne et l'investissement domestique: le
taux d'épargne moyen est passé de 8% en 2000 à 5% en 2005.
Quant à l'investissement intérieur; il passe de 21% en 2000
à 17% en 2005. Les taux d'épargne et d'investissement varient
d'un pays à l'autre : la Côte d'Ivoire et le Sénégal
présentent les taux d'épargne les plus élevés de
l'Union (respectivement 20% et 10% en 2006). Ces deux pays disposent plus de
structures financières dans l'Union. A titre d'exemple, ils
détenaient 38 banques sur 99 banques qu'avait l'UEMOA en 2009. Cette
hétérogénéité des taux d'épargne et
d'investissement semble être due à
l'hétérogénéité des structures
financières en particulier et au développement économique
en général, lesquelles sont des facteurs réducteurs de la
mobilité intra-zone de l'épargne financière. Les
détenteurs de capitaux, éprouvant ainsi une aversion au risque,
rechigneraient à diriger leur épargne dans des pays dont les
structures économiques et financières sont rudimentaires. En
outre, les écarts d'inflation entre pays membres viendraient diminuer
2 CEMAC : Communauté Economique et
Monétaire de l'Afrique Centrale regroupe le Cameroun, le Congo, le
Gabon, la Guinée équatoriale, république Centrafricaine et
le Tchad.
3 UEMOA : Communauté Economique et
Monétaire de l'Afrique Centrale regroupe le Bénin, le Burkina
Faso, la Côte d'Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal, le
Togo et la Guinée-Bissau.
fortement toute velléité de placements à
l'étranger de l'épargne dès lors que ce sont les pays
à faible besoin de financement qui sont les moins inflationnistes.
Cette situation fait que l'appartenance à la zone franc
est source de contraintes dans la mesure où des taux
d'intérêt identiques ou proches s'appliquent à un ensemble
de pays dont la situation économique et notamment les taux de croissance
et d'inflation, diffèrent parfois. Pour les moins inflationnistes, des
taux d'intérêt constituent une lourde charge pour le
système bancaire et risquent de ralentir le rythme des investissements
(Chouchane-Verdier; 2004). De plus, on note également un accroissement
de la liquidité bancaire alors que les banques n'octroient pas pour
autant de crédits. Cette situation est due, en fait à l'absence
de garantie de la part des emprunteurs, à la faiblesse de ressources
stables, au niveau élevé de risque bancaire et au faible niveau
de la concurrence bancaire.
Vu le contexte actuel de l'accumulation de la dette et le
resserrement consécutif des contraintes financières sur le
marché international, les pays de l'UEMOA doivent désormais
compter sur leurs ressources internes et la participation des acteurs
privés à la création de la richesse nationale. Il est
intéressant de montrer à travers le présent travail
à quel point l'hétérogénéité
financière dont souffrent les pays de l'UEMOA réduit l'effet
bénéfique de l'épargne sur l'investissement. La
présente étude s'inspire de la démarche adoptée par
Greenidge et al. (2004) pour montrer le niveau de développement
financier permettant à l'épargne d'être vertueuse dans la
zone UEMOA.
La question centrale de recherche qui se dégage de
cette problématique4 est la suivante : quelle est la relation
entre niveau de développement financier et causalité
épargneinvestissement en zone UEMOA? En d'autre terme, quel niveau de
développement financier permet à l'épargne de financer
l'investissement dans la zone UEMOA ? Il s'agit spécifiquement de
répondre aux questions suivantes :
i) quel est le degré de dispersion des niveaux de
développement financier dans la zone UEMOA ?
ii) quel est le sens de causalité entre épargne et
investissement dans chacun des pays de l'UEMOA ?
iii) quel lien existe-t-il entre niveau de développement
financier et causalité épargneinvestissement en zone UEMOA ?
4 Faiblesse des taux d'épargne et
d'investissement et l'hétérogénéité des
niveaux de développement financier.
Pour répondre à ces interrogations, nous nous
sommes fixés comme objectif général d'étudier le
lien qui existe entre le niveau de développement financier et la
causalité épargneinvestissement en zone UEMOA.
Plus spécifiquement, il s'est agit de :
i) déterminer les degrés de développement
financier en zone UEMOA ;
ii) évaluer la causalité entre épargne et
investissement dans la zone UEMOA ;
iii) déterminer le lien qui existe entre
développement financier et causalité épargneinvestissement
dans la zone UEMOA.
La réalisation des objectifs spécifiques se fonde
sur les hypothèses suivantes:
H1 : la zone UEMOA est
caractérisée par une faible
hétérogénéité financière.
H2 : les sens de causalité entre
épargne et investissement sont identiques en zone UEMOA.
H3 : il existe un lien entre le
développement financier et la causalité
épargne-investissement en zone UEMOA.
Sur le plan méthodologique, la vérification de
la première hypothèse s'est faite grâce à la
construction des indices de développement financier.
L'hétérogénéité financière a
été cernée à partir de la dérivation d'un
indicateur composite obtenu grace à la méthode d'Analyse en
Composantes Principales (ACP). Cette méthode permet de combiner
plusieurs indicateurs de développement financier pour obtenir un
indicateur composite. Concernant la deuxième hypothèse,
c'est-à-dire la causalité entre épargne et investissement
intérieurs, elle est testée à partir d'un modèle
VAR non structurel en intégrant la variable crédit fourni par le
système bancaire comme une variable intermittente pouvant influencer la
dite causalité. Enfin, la troisième hypothèse est
vérifiée par une confrontation des résultats de
l'évaluation des niveaux de développement financier et ceux du
test de causalité entre épargne et investissement des pays de
l'UEMOA.
La présente étude est structurée en trois
chapitres. Le premier chapitre présente les fondements théoriques
et empiriques de la relation épargne-investissement. Puis, il a
été question dans le deuxième chapitre, de montrer les
spécificités financières de la zone UEMOA. Enfin, le
troisième chapitre, présente et analyse les résultats des
estimations économétriques. Les suggestions de recommandation
sont exposées dans la conclusion générale, en se fondant
sur l'ensemble des résultats obtenus tout au long de notre
étude.
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