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Les enfants en situation de rue du Sénégal. L'identité et la socialisation dans le processus de sortie de la rue

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par Corentin SIROU
Université Lumière Lyon 2 (ISPEF) - Master 1 sciences de l'éducation 2011
  

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2.4. L'islam et l'enseignement coranique

Les talibés mendiants constituent la majorité des enfants en situation de rue au Sénégal. Pourquoi ces enfants, sensés être en apprentissage du Coran, se retrouvent à mendier dans toutes les villes du pays ? Quelle est l'origine et le paysage actuel de l'enseignement coranique au Sénégal ? Quelle est la place de cet enseignement dans l'Islam et au Sénégal ?

L'islam (mot qui désigne l'attitude religieuse de soumission à Dieu) apparaît dans la péninsule arabique au 11ème siècle56, où le prophète Mahomet recueillit des révélations fragmentaires que lui transmettait l'ange Gabriel ou l'esprit Divin. Ces révélations rassemblées allaient constituer le Coran, expression même de la parole d'Allah (Dieu). Le prophète quitte sa ville paternelle de la Mekke en 622, c'est l'Hégire (l'expatriation), période à laquelle Mahomet va gagner sans cesse en

53 Document de Stratégie pour la croissance et la Réduction de la Pauvreté 2006-2010 , République du Sénégal, 2006, p. 29

54 Ibid, p. 149

55 Diop Rosalie Aduayi, Crise de la famille : enfants et jeunes en ruptures à Saint-Louis, Mémoire de maitrise, Section sociologie, Université Gaston Berger, 1995, p. 79-80

56 Dominique Sourdel, L'islam, Que sais-je ?, Paris, PUF, 2009, p. 5

autorité, et où l'islam va commencer son expansion. La religion est basée sur la loi, qui prend essentiellement sa source dans le Coran, complétée par la Sunna, qui doit s'appliquer à l'ensemble de la communauté des musulmans. Quatre grandes écoles juridiques vont alors voir le jour : malikite, hanafiten chafiite, hanbalite. Elles sont le fruit d'interprétations divergentes, essentiellement basées sur une tension entre d'une part une application stricte de la tradition et et d'autre par un mélange de cette dernière avec des opinions plus personnelles57. Après la mort du prophète (en 632), des querelles de succession ont donné vie à des mouvements sectaires, comme le kharijisme et le chiisme, dont les doctrines s'écartent plus ou moins de l'Islam officiel et des quatre écoles juridiques sunnites (qui regroupent aujourd'hui 90% des musulmans), reconnues comme orthodoxes. Le soufisme est une forme mystique particulière de l'islam. Né au 8ème siècle, il repose principalement sur l'idée d'un cheminement intérieur pour se rapprocher de Dieu. Il marque donc sa différence en proposant que l'application de la loi n'a de sens qu'avec un travail de perfectionnement sur des aspects plus spirituels et personnels. Dès le 12ème siècle, ce mouvement va déboucher sur la création de confrérie (tarikha). Chacune de ces confréries propose sa propre « voie » (fixée par fondateur, et suivie par ses disciples) pour atteindre l'état mystique58.

La pratique de l'islam se fait autour des « cinq piliers de la religion », qui sont :

1. la profession de foi est la reconnaissance de l'unicité de Dieu et elle conditionne la pratique des autres piliers ;

2. les prières rituelles (cinq par jour) sont des louanges qui se font selon des gestes et des paroles rigoureusement fixés ;

3. le jeûne du ramadan ;

4. l'aumône légale, qui à l'origine est une dîme prélevée aux riches pour être répartie entre les pauvres (« La prescription coranique coranique ne fait pas de doute (Coran, LXX, 24, 25) : il s'agit d'un « droit connu », prélevé « sur les biens des croyants », en faveur « du mendiant et du pauvre démuni »59), puis a progressivement perdu ce caractère charitable pour devenir un simple impôt (elle est à différencier de l'aumône volontaire) ;

5. le pèlerinage à la Mekke, une fois dans sa vie (si les moyens et les conditions le permettent).

6. La guerre légale (jihâd) est parfois ajoutée par certains auteurs comme un sixième pilier60. Elle va être soumise à diverses interprétations, comme pendant la période coloniale, où

57 Dominique Sourdel, L'islam, Que sais-je ?, Paris, PUF, 2009, p. 46

58 Dominique Sourdel, L'islam, Que sais-je ?, Paris, PUF, 2009, p. 88

59 Vincent Monteil, L'Islam Noir. Une religion à la conquête de l'Afrique, Paris, Seuil, 1986, p. 149

60 Vincent Monteil, L'Islam Noir. Une religion à la conquête de l'Afrique, Paris, Seuil, 1986, p. 151

certaines figures religieuses comme Cheikh Omar Tall ou Samaory Toure vont résister de manière violente (jihâd militaire), et d'autres comme El Hadji Malick Sy (héritier des fondateurs de la confrérie tidiane) et Cheikh Amadou Bamba, vont résister de manière pacifique, préférant le jihâd nafsi (guerre sainte de l'âme).

L'islam arrive en Afrique avant l'époque coloniale, par l'intermédiaire des migrations des peuples arabes, qui, entre 640 et 1840, furent la seule puissance étrangère en Afrique61. Ils venaient s'y marier, fonder une famille, commercer, enseigner, etc. L'islamisation de l'Afrique suit alors un mouvement progressif, allant du nord-ouest au sud-est, de la conversion des coptes et des bergères du 7ème au 11ème siècle, aux Peuls, Mandés et Haoussas, du 13ème au 19ème. Si le Sénégal ne s'est islamisé en masse que tardivement (à la fin du 19ème), on trouve des traces de cette religion dès le 11ème, période à laquelle on pense que les peuples Toucouleurs se sont islamisés. En résistant à la colonisation, El-Hadj Omar Tall (1794-1864), initié par la confrérie tidiane (tijâniya) va contribuer à l'implantation de l'Islam dans la région, tout comme Cheikh Amadou Bamba (1853-1927), fondateur de la confrérie mouride. A cette période, les daaras (écoles coraniques) semblent avoir été également un des moyens de la résistance à l'administration coloniale, étant un vecteur de diffusion de la culture islamique (et pré-coloniale)62. Aujourd'hui, le pays est considéré comme « la terre d'élection des marabouts, et même des "grands marabouts" »63. En effet, le Sénégal a vu passer dans ses daaras de nombreux leaders religieux, tout comme d'ailleurs un certains nombre d'hommes politiques (comme le président actuel Abdoulaye Wade). Les tidianes et les mourides (les premiers sont légèrement plus nombreux que les seconds) forment la grande majorité des musulmans du Sénégal.

La confrérie mouride donnera naissance à la communauté Baay Fall, fondée par Cheikh Ibrahima Fall (1858-1930), un disciple de Cheikh Amadou Bamba. Cette voie complémentaire à la voie mouride « classique » est basée sur une soumission sans bornes à son marabout, sur l'action et sur la foi intérieure : le Baay Fall travaille comme un forçat en s'acquittant des tâches ingrates, du travail difficile (dans les champs...) pour que le marabout puisse se concentrer de manière pleine et entière à la spiritualité. Elle a depuis son origine souffert d'une stigmatisation auprès des nonmusulmans, mais aussi auprès des musulmans mourides. Déjà, Cheikh Ibrahima Fall était considéré comme fou suite à sa décision de consacrer sa vie entière à son maître, et pour ce faire, d'abandonner les prières et le ramadan. Les Baay Fall sont alors déconsidérés « sur le plan religieux (« mauvais » ou « faux » musulmans) ou plus largement social (« mendiants », « voyous » ou

61 Vincent Monteil, L'Islam Noir. Une religion à la conquête de l'Afrique, Paris, Seuil, 1986, p. 57

62 Amadou Lamine Faye, Culture rurale du daara et stratégie d'adaptation en milieu urbain, Mémoire de Master 2 (Section Sociologie), Saint-Louis, Université Baston Berger, 2010, p. 8

63 Ibid, p. 164 (ici le terme « marabout » désigne un érudit de l'islam, guide spirituel d'une confrérie)

ceddo, terme ambigu en wolof désignant soit les guerriers esclaves des royaumes précoloniaux soit, plus largement, des hommes violents, avides de pouvoir ou encore païens) »64. Jusque dans les année 1950, il n'y a pas de différenciation extérieure entre voie Baay Fall et la voie mouride classique, ce qui va contribuer à décrédibiliser le mouridisme et l'Islam noir65. Dans les années 1970-1980, un processus de légitimation par la hiérarchie maraboutique, les intellectuels et les migrants tendent à améliorer leur image. On leur reconnaît entre autre la persévérance, la dureté de leurs travaux et la dévotion sans conditions au marabout dont ils font preuve. Aujourd'hui, deux représentations sont à l'oeuvre. « D'un côté, le disciple musulman parfait, ayant le courage de « donner sa vie » à un homme saint et à Dieu, suivant sans faille et sans hésitation ses ndigël (ses recommandations, ses ordres) et respectant ses teere (ses interdits) ; de l'autre, le jeune en perdition, un peu fou, un peu voyou, qui construit son rapport à la religion de façon individuelle et autonome »66. L'apparence (vêtements rapiécés, dreadlocks, gri-gri, etc) et la pratique (aumône chantée, flagellation, isolement) sont deux éléments qui suscitent la peur et contribuent au dénigrement de la communauté, qui compte entre 300 000 et 500 000 membres au Sénégal et dans le monde.

Un des vecteurs du développement de l'islam est l'enseignement coranique, qui se concrétise par trois grandes formes de structures éducatives différentes. D'abord, les écoles coraniques sont la forme la plus basique et la plus répandue en Afrique. Elles revêtent deux traits caractéristiques, la permanence dans le temps (on en retrouve des traces depuis les débuts de l'Islam) et la transférabilité dans plusieurs systèmes culturels. L'apprentissage du Coran y est essentiellement basé sur la répétition. Le rôle de l'école coranique est, et a toujours été, la propagation et l'approfondissement de la foi, quelle que soit la forme que prend cet enseignement, et quel que soit le pays dans lequel il est implanté. Ensuite, les médersas (ou madrasas), beaucoup moins nombreuses, sont des institutions privées d'éducation islamique. Plus structurées que les écoles coraniques, elles s'adressent principalement aux citadins, parfois en concurrence avec l'école publique (programme emprunté au système publique, examens reconnus par l'état). Enfin, Les universités, très rares, sont réservées aux étudiants ayant déjà une très bonne connaissance de l'Islam, et qui s'engagent alors dans des études d'une durée d'au moins dix ans. L'analyse de ces enseignements montre que le « curriculum porte l'accent sur le Coran et les devoirs religieux de la

64 Pezeril C., Histoire d'une stigmatisation paradoxale, entre islam, colonisation et « auto-étiquetage ». Les Baay Faal du Sénégal, Cahiers d'études africaines 2008/4, n° 192, p. 792

65 On entend par « Islam noir » l'islam tel qu'il existe et se pratique en Afrique noir. Cette Islam « africanisée » a (et est encore) stigmatisée par les autres musulmans qui ne considèrent pas les africaines comme faisant réellement partie des leurs. Les Baay Fall, en abandonnant deux des cinq piliers de la religion, ont contribué à cette perception stigmatisante de l'Islam noir.

66 Pezeril C., Histoire d'une stigmatisation paradoxale, entre islam, colonisation et « auto-étiquetage ». Les Baay Faal du Sénégal, Cahiers d'études africaines 2008/4, n° 192, p. 793

vie musulmane »67. On y décèle cinq cycles d'apprentissage :

1. La formation de base, d'abord, dès l'âge de six ans environ, où l'on apprend les quelques sourates obligatoires ;

2. La deuxième étape consiste à apprendre tout le Coran ;

3. A La troisième étape, on passe à la « traduction et au commentaire du Coran » car l'« élève doit avoir une compréhension du Coran et peut en découvrir la signification »68.

4. L'étude de la littérature arabo-islamique, ouverte sur plusieurs disciplines, est la quatrième étape.

5. La dernière étape est celle de l'étude dans une université islamiques.

Les écoles coraniques forment la grande majorité de l'enseignement islamique au Sénégal, où elles sont appelées daaras. Il faut cependant faire attention à ne pas se laisser induire en erreur par le mot école, dans l'expression école coranique. Ici, ce mot « correspond à une définition souple et décentralisée du mot "école". En effet, il n'existe aucune structure centralisée qui coordonne l'enseignement des différentes écoles et il n'y a pas non plus d'édifices publics qui logent les "écoles". Il s'agit d'un enseignement qui relève plus de la société civile que d'un Etat qui est dispensé dans des lieux privés : la maison du maître, le coeur du village, à l'ombre d'un manguier,... »69. Le terme marabout quant à lui désigne un érudit de l'Islam, un sage ou encore un référence. Il est également utilisé pour désigner le Serigne Daara, c'est à dire la personne qui est maître d'une école coranique, et qui est donc la personne qui enseigne le Coran.

Avant la colonisation, les daaras dans les villages constituaient la principale source d'éducation. Beaucoup de garçons et filles apprenaient le Coran et rentraient chez eux le soir, mais beaucoup de garçons étaient également confiés à un marabout d'un village plus éloigné, et ne revenait que des années plus tard. Parfois cultivateur, le marabout, dont la priorité restait l'éducation, s'aidait de ses talibés les plus âgés pendant les récoltes, qui allait constituer la nourriture du daara pour l'année à venir. C'est dans un premier temps l'hébergement gratuit proposé par les daaras qui a amené la pratique de la mendicité70. En cas de manque, les talibés partaient en quête de nourriture auprès des habitants du village avant de la ramener au daara. Il ne s'agissait alors que de nourriture, et pas d'argent.

67 Gandolfi Stefania, L'enseignement islamique en Afrique noire, Cahiers d'études africaines 2003/1-2, 169-170, p. 264

68 Ibid, p. 265

69 Ibid, p. 18

70 HRW, « Sur le dos des enfants ». Mendicité forcée et autres mauvais traitements à l'encontre des talibés au Sénégal, New York, Human Rights Watch, 2010, p. 20

Pendant la période coloniale, malgré les tentatives de récupération, de contrôle ou de suppression des daaras par l'administration française, le modèle des daaras traditionnels a perduré. D'abord, à la fin du 19ème siècle, l'administration a tenté de limiter le nombre de daaras et écarter des marabouts hostiles à la colonisation. Il fallait une autorisation pour exercer, on exigait que les talibés apprennent aussi le français, etc. Par le suite, au début du 20ème siècle, l'attitude change. On commence à proposer des sortes de subventions aux daaras donnant des cours de français, on créé des médersas dirigées par les autorités coloniales, afin de former des marabouts « officiels ». Si ces tentatives n'ont pas eux l'effet escompté, elles auront contribué à élargir l'utilisation de la langue française. En 1945, l'administration française jette l'éponge par un « arrêté stipulait que les écoles coraniques ne devaient plus être considérées comme des institutions éducatives »71.

C'est à partir l'indépendance du pays en 1960 que les daaras villageois disparurent petit à petit, suivant les flots de migrants vers la ville, fuyant les sécheresses et les conditions de vie à la campagne. C'est à ce moment qu'est progressivement apparue la mendicité et l'exploitation des talibés. Dans les années 1970, on trouvait alors beaucoup de daaras saisonniers. Le marabout et ses talibés vivaient en ville pendant la saison sèche, et retournaient à la campagne pour les récoltes. Devant le confort et les profits que représentait la mendicité, beaucoup de marabouts se sont alors installés en ville définitivement.

Aujourd'hui, si les écoles coraniques prennent des formes très variées, on peut, pour saisir les nuances, proposer les catégories suivantes :

· les daaras villageois étaient à l'origine la forme la plus répandue d'enseignement coranique. Les enfants vivent chez eux et fréquentent le daara en complément de l'école publique. Si les enfants résident dans le daara, ils aident parfois le marabout pour les récoltes ;

· les daaras urbains sont aujourd'hui la forme la plus répandue d'enseignement coranique au Sénégal. Ces écoles en internat sont un lieu d'enseignement du Coran, associé à une préparation à la vie, notamment par l'apprentissage de valeurs véhiculées par l'islam. Les marabouts viennent souvent des campagnes, amenant avec eux les talibés. C'est cette forme d'enseignement coranique qui présente le plus de dérives quant à la mendicité des enfants ;

· les daaras de quartier désignent les enseignements dispensés de manière plus ou moins formelle dans les quartiers d'une ville. « Ces daara accueillent les enfants du quartier soit avant qu'ils soient scolarisés, et jouent alors aussi le rôle de garderie, soit pendant les périodes de vacances. Elles ont donc des effectifs très instables. L'apprentissage du Coran

71 Ibid, p. 23

est parcellaire et discontinu, interrompu ou ralenti par les activités scolaires »72 . Il peut arriver que ces daaras soient associés à la mosquée du quartier, auquel cas c'est l'Imam qui dispense les enseignements.

· on trouve aussi des écoles publiques ou privées couplées à un enseignement coranique, également appelées « école franco-arabe » (au Sénégal, l'école publique est parfois appelée « école française »). Ces écoles sont reconnues par l'État et sont donc sous le contrôle de politiques spécifiques. C'est dans cette catégorie que l'on peut parfois retrouver les medersas ;

· les daaras saisonniers sont plutôt rares. Ce sont les écoles où le marabout se trouve en ville pendant la saison sèche, et rejoint la campagne accompagné des talibés pour la saison des récoltes ;

· les daaras dit « modernes» « enseignent des matières autres que le Coran et l'arabe, notamment le français et certaines matières enseignées dans les écoles publiques. Les élèves ne mendient généralement pas d'argent, les daaras modernes étant souvent financés par le biais de frais d'inscription ou par les autorités religieuses, l'État, l'aide étrangère ou les agences d'aide humanitaire »73.

Ces catégories donnent un aperçu, mais restent hétérogène. Lors de nos premières observations, nous avons trouvé des daaras sans marabouts, où l'enseignement était prodigué par les talibés les plus âgés aux talibés les plus jeunes. D'autres où le marabout n'est pas enseignant « à plein temps », et possède dans un autre endroit de la ville une boutique, laissant les talibés livrés à eux-même en dehors des heures d'enseignement. Les daaras urbains représentent donc la forme la plus répandue de l'enseignement coranique dans les villes au Sénégal. Pour la majorité d'entre eux, les talibés mendiants sont issus de certains de ces daaras urbains. En effet, soit les talibés sont forcés à mendier par leurs marabouts, soit ils sont forcés à mendier car le marabout n'a pas les moyens de subvenir à leurs besoins. Nous considérons donc que les talibés mendiants font partis de la population des enfants en situation de rue dans la mesure où la rue est quelque chose de central pour eux. Ils sont contraint à y mendier, à y travailler voire à y traîner pendant la journée. De plus les frontières physiques entre la rue et le daara sont parfois assez ténues. Ce dernier n'est parfois matérialisé que par un simple mur de briques ou un grillage entourant un terrain vague, ou par un abri dans le coin d'une rue.

72 Unicef, Banque Mondiale et BIT, Enfants mendiants dans la région de Dakar, Understanding children's work project working papers series, Dakar, novembre 2007, Unicef, Rapport annuel 2006, New York, 2007, p. 19

73 HRW, « Sur le dos des enfants ». Mendicité forcée et autres mauvais traitements à l'encontre des talibés au Sénégal, New York, Human Rights Watch, 2010, p. 27

Aujourd'hui, l'enseignement coranique reste la seule opportunité de formation et d'alphabétisation pour beaucoup d'individus74. La concurrence des daaras avec l'école publique a abouti en 2002 à une reconnaissance, de la part de l'Etat, des talibés comme étant des enfants scolarisés. Cette mesure vient avec l'introduction de l'enseignement religieux, c'est à dire principalement islamique, dans les écoles publiques. Jean-Émile Charlier analyse cette action de deux façons différentes75. D'abord, l'Etat réagit ainsi à la pression internationale pour augmenter le nombre d'enfants scolarisés (par les Objectifs du Millénaire pour le Développement par exemple). Ensuite, l'introduction du religieux dans les écoles publiques est plus une prise en compte de la situation qu'une volonté d'un changement radical. Toutefois, plus qu'une mesure administrative, ces mesures sont aussi pour l'autorité publique une façon d'introduire une réglementation (contrôles des établissements, formation des enseignants, censurer certaines pratiques comme la mendicité forcée, etc). Il reste cependant à mesurer aujourd'hui la portée de ces mesures dans les daaras, en terme de maltraitance et conditions de vie notamment.

Nous venons de brosser un portait rapide du Sénégal, au travers un succin rappel de son développement économique, des structures familiales et des migrations de populations à l'oeuvre dans le pays, des questions de scolarisation et de travail des enfants, et enfin de la place qu'occupe la religion islamique et son enseignement. Cela devra nous permettre de mieux saisir les situations dans lesquelles se trouvent ces enfants et adolescents.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus