2.4. L'islam et l'enseignement coranique
Les talibés mendiants constituent la majorité
des enfants en situation de rue au Sénégal. Pourquoi ces enfants,
sensés être en apprentissage du Coran, se retrouvent à
mendier dans toutes les villes du pays ? Quelle est l'origine et le paysage
actuel de l'enseignement coranique au Sénégal ? Quelle est la
place de cet enseignement dans l'Islam et au Sénégal ?
L'islam (mot qui désigne l'attitude religieuse de
soumission à Dieu) apparaît dans la péninsule arabique au
11ème siècle56, où le
prophète Mahomet recueillit des révélations fragmentaires
que lui transmettait l'ange Gabriel ou l'esprit Divin. Ces
révélations rassemblées allaient constituer le Coran,
expression même de la parole d'Allah (Dieu). Le prophète quitte sa
ville paternelle de la Mekke en 622, c'est l'Hégire (l'expatriation),
période à laquelle Mahomet va gagner sans cesse en
53 Document de Stratégie pour la croissance et la
Réduction de la Pauvreté 2006-2010 , République du
Sénégal, 2006, p. 29
54 Ibid, p. 149
55 Diop Rosalie Aduayi, Crise de la famille : enfants et jeunes
en ruptures à Saint-Louis, Mémoire de maitrise, Section
sociologie, Université Gaston Berger, 1995, p. 79-80
56 Dominique Sourdel, L'islam, Que sais-je ?, Paris, PUF, 2009,
p. 5
autorité, et où l'islam va commencer son
expansion. La religion est basée sur la loi, qui prend essentiellement
sa source dans le Coran, complétée par la Sunna, qui doit
s'appliquer à l'ensemble de la communauté des musulmans. Quatre
grandes écoles juridiques vont alors voir le jour : malikite, hanafiten
chafiite, hanbalite. Elles sont le fruit d'interprétations divergentes,
essentiellement basées sur une tension entre d'une part une application
stricte de la tradition et et d'autre par un mélange de cette
dernière avec des opinions plus personnelles57. Après
la mort du prophète (en 632), des querelles de succession ont
donné vie à des mouvements sectaires, comme le kharijisme et le
chiisme, dont les doctrines s'écartent plus ou moins de l'Islam officiel
et des quatre écoles juridiques sunnites (qui regroupent aujourd'hui 90%
des musulmans), reconnues comme orthodoxes. Le soufisme est une forme mystique
particulière de l'islam. Né au 8ème
siècle, il repose principalement sur l'idée d'un cheminement
intérieur pour se rapprocher de Dieu. Il marque donc sa
différence en proposant que l'application de la loi n'a de sens qu'avec
un travail de perfectionnement sur des aspects plus spirituels et personnels.
Dès le 12ème siècle, ce mouvement va
déboucher sur la création de confrérie
(tarikha). Chacune de ces confréries propose sa propre
« voie » (fixée par fondateur, et suivie par ses disciples)
pour atteindre l'état mystique58.
La pratique de l'islam se fait autour des « cinq piliers de
la religion », qui sont :
1. la profession de foi est la reconnaissance de
l'unicité de Dieu et elle conditionne la pratique des autres piliers
;
2. les prières rituelles (cinq par jour) sont des
louanges qui se font selon des gestes et des paroles rigoureusement
fixés ;
3. le jeûne du ramadan ;
4. l'aumône légale, qui à l'origine est
une dîme prélevée aux riches pour être
répartie entre les pauvres (« La prescription coranique coranique
ne fait pas de doute (Coran, LXX, 24, 25) : il s'agit d'un « droit connu
», prélevé « sur les biens des croyants », en
faveur « du mendiant et du pauvre démuni »59), puis
a progressivement perdu ce caractère charitable pour devenir un simple
impôt (elle est à différencier de l'aumône
volontaire) ;
5. le pèlerinage à la Mekke, une fois dans sa
vie (si les moyens et les conditions le permettent).
6. La guerre légale (jihâd) est parfois
ajoutée par certains auteurs comme un sixième
pilier60. Elle va être soumise à diverses
interprétations, comme pendant la période coloniale, où
57 Dominique Sourdel, L'islam, Que sais-je ?, Paris, PUF, 2009,
p. 46
58 Dominique Sourdel, L'islam, Que sais-je ?, Paris, PUF, 2009,
p. 88
59 Vincent Monteil, L'Islam Noir. Une religion à la
conquête de l'Afrique, Paris, Seuil, 1986, p. 149
60 Vincent Monteil, L'Islam Noir. Une religion à la
conquête de l'Afrique, Paris, Seuil, 1986, p. 151
certaines figures religieuses comme Cheikh Omar Tall ou
Samaory Toure vont résister de manière violente (jihâd
militaire), et d'autres comme El Hadji Malick Sy (héritier des
fondateurs de la confrérie tidiane) et Cheikh Amadou Bamba, vont
résister de manière pacifique, préférant le
jihâd nafsi (guerre sainte de l'âme).
L'islam arrive en Afrique avant l'époque coloniale, par
l'intermédiaire des migrations des peuples arabes, qui, entre 640 et
1840, furent la seule puissance étrangère en
Afrique61. Ils venaient s'y marier, fonder une famille, commercer,
enseigner, etc. L'islamisation de l'Afrique suit alors un mouvement progressif,
allant du nord-ouest au sud-est, de la conversion des coptes et des
bergères du 7ème au 11ème
siècle, aux Peuls, Mandés et Haoussas, du 13ème
au 19ème. Si le Sénégal ne s'est
islamisé en masse que tardivement (à la fin du
19ème), on trouve des traces de cette religion dès le
11ème, période à laquelle on pense que les
peuples Toucouleurs se sont islamisés. En résistant à la
colonisation, El-Hadj Omar Tall (1794-1864), initié par la
confrérie tidiane (tijâniya) va contribuer à
l'implantation de l'Islam dans la région, tout comme Cheikh Amadou Bamba
(1853-1927), fondateur de la confrérie mouride. A cette période,
les daaras (écoles coraniques) semblent avoir été
également un des moyens de la résistance à
l'administration coloniale, étant un vecteur de diffusion de la culture
islamique (et pré-coloniale)62. Aujourd'hui, le pays est
considéré comme « la terre d'élection des marabouts,
et même des "grands marabouts" »63. En effet, le
Sénégal a vu passer dans ses daaras de nombreux leaders
religieux, tout comme d'ailleurs un certains nombre d'hommes politiques (comme
le président actuel Abdoulaye Wade). Les tidianes et les mourides (les
premiers sont légèrement plus nombreux que les seconds) forment
la grande majorité des musulmans du Sénégal.
La confrérie mouride donnera naissance à la
communauté Baay Fall, fondée par Cheikh Ibrahima Fall
(1858-1930), un disciple de Cheikh Amadou Bamba. Cette voie
complémentaire à la voie mouride « classique » est
basée sur une soumission sans bornes à son marabout, sur l'action
et sur la foi intérieure : le Baay Fall travaille comme un forçat
en s'acquittant des tâches ingrates, du travail difficile (dans les
champs...) pour que le marabout puisse se concentrer de manière pleine
et entière à la spiritualité. Elle a depuis son origine
souffert d'une stigmatisation auprès des nonmusulmans, mais aussi
auprès des musulmans mourides. Déjà, Cheikh Ibrahima Fall
était considéré comme fou suite à sa
décision de consacrer sa vie entière à son maître,
et pour ce faire, d'abandonner les prières et le ramadan. Les Baay Fall
sont alors déconsidérés « sur le plan religieux
(« mauvais » ou « faux » musulmans) ou plus largement
social (« mendiants », « voyous » ou
61 Vincent Monteil, L'Islam Noir. Une religion à la
conquête de l'Afrique, Paris, Seuil, 1986, p. 57
62 Amadou Lamine Faye, Culture rurale du daara et
stratégie d'adaptation en milieu urbain, Mémoire de Master 2
(Section Sociologie), Saint-Louis, Université Baston Berger, 2010, p.
8
63 Ibid, p. 164 (ici le terme « marabout »
désigne un érudit de l'islam, guide spirituel d'une
confrérie)
ceddo, terme ambigu en wolof désignant soit
les guerriers esclaves des royaumes précoloniaux soit, plus largement,
des hommes violents, avides de pouvoir ou encore païens)
»64. Jusque dans les année 1950, il n'y a pas de
différenciation extérieure entre voie Baay Fall et la voie
mouride classique, ce qui va contribuer à décrédibiliser
le mouridisme et l'Islam noir65. Dans les années 1970-1980,
un processus de légitimation par la hiérarchie maraboutique, les
intellectuels et les migrants tendent à améliorer leur image. On
leur reconnaît entre autre la persévérance, la
dureté de leurs travaux et la dévotion sans conditions au
marabout dont ils font preuve. Aujourd'hui, deux représentations sont
à l'oeuvre. « D'un côté, le disciple musulman parfait,
ayant le courage de « donner sa vie » à un homme saint et
à Dieu, suivant sans faille et sans hésitation ses
ndigël (ses recommandations, ses ordres) et respectant ses
teere (ses interdits) ; de l'autre, le jeune en perdition, un peu fou,
un peu voyou, qui construit son rapport à la religion de façon
individuelle et autonome »66. L'apparence (vêtements
rapiécés, dreadlocks, gri-gri, etc) et la pratique (aumône
chantée, flagellation, isolement) sont deux éléments qui
suscitent la peur et contribuent au dénigrement de la communauté,
qui compte entre 300 000 et 500 000 membres au Sénégal et dans le
monde.
Un des vecteurs du développement de l'islam est
l'enseignement coranique, qui se concrétise par trois grandes formes de
structures éducatives différentes. D'abord, les écoles
coraniques sont la forme la plus basique et la plus répandue en Afrique.
Elles revêtent deux traits caractéristiques, la permanence dans le
temps (on en retrouve des traces depuis les débuts de l'Islam) et la
transférabilité dans plusieurs systèmes culturels.
L'apprentissage du Coran y est essentiellement basé sur la
répétition. Le rôle de l'école coranique est, et a
toujours été, la propagation et l'approfondissement de la foi,
quelle que soit la forme que prend cet enseignement, et quel que soit le pays
dans lequel il est implanté. Ensuite, les médersas (ou madrasas),
beaucoup moins nombreuses, sont des institutions privées
d'éducation islamique. Plus structurées que les écoles
coraniques, elles s'adressent principalement aux citadins, parfois en
concurrence avec l'école publique (programme emprunté au
système publique, examens reconnus par l'état). Enfin, Les
universités, très rares, sont réservées aux
étudiants ayant déjà une très bonne connaissance de
l'Islam, et qui s'engagent alors dans des études d'une durée d'au
moins dix ans. L'analyse de ces enseignements montre que le « curriculum
porte l'accent sur le Coran et les devoirs religieux de la
64 Pezeril C., Histoire d'une stigmatisation paradoxale, entre
islam, colonisation et « auto-étiquetage ». Les Baay Faal du
Sénégal, Cahiers d'études africaines 2008/4, n° 192,
p. 792
65 On entend par « Islam noir » l'islam tel qu'il
existe et se pratique en Afrique noir. Cette Islam « africanisée
» a (et est encore) stigmatisée par les autres musulmans qui ne
considèrent pas les africaines comme faisant réellement partie
des leurs. Les Baay Fall, en abandonnant deux des cinq piliers de la religion,
ont contribué à cette perception stigmatisante de l'Islam
noir.
66 Pezeril C., Histoire d'une stigmatisation paradoxale, entre
islam, colonisation et « auto-étiquetage ». Les Baay Faal du
Sénégal, Cahiers d'études africaines 2008/4, n° 192,
p. 793
vie musulmane »67. On y décèle cinq
cycles d'apprentissage :
1. La formation de base, d'abord, dès l'âge de six
ans environ, où l'on apprend les quelques sourates obligatoires ;
2. La deuxième étape consiste à apprendre
tout le Coran ;
3. A La troisième étape, on passe à la
« traduction et au commentaire du Coran » car l'«
élève doit avoir une compréhension du Coran et peut en
découvrir la signification »68.
4. L'étude de la littérature arabo-islamique,
ouverte sur plusieurs disciplines, est la quatrième étape.
5. La dernière étape est celle de l'étude
dans une université islamiques.
Les écoles coraniques forment la grande majorité
de l'enseignement islamique au Sénégal, où elles sont
appelées daaras. Il faut cependant faire attention à ne
pas se laisser induire en erreur par le mot école, dans l'expression
école coranique. Ici, ce mot « correspond à une
définition souple et décentralisée du mot "école".
En effet, il n'existe aucune structure centralisée qui coordonne
l'enseignement des différentes écoles et il n'y a pas non plus
d'édifices publics qui logent les "écoles". Il s'agit d'un
enseignement qui relève plus de la société civile que d'un
Etat qui est dispensé dans des lieux privés : la maison du
maître, le coeur du village, à l'ombre d'un manguier,...
»69. Le terme marabout quant à lui désigne un
érudit de l'Islam, un sage ou encore un référence. Il est
également utilisé pour désigner le Serigne Daara,
c'est à dire la personne qui est maître d'une école
coranique, et qui est donc la personne qui enseigne le Coran.
Avant la colonisation, les daaras dans les villages
constituaient la principale source d'éducation. Beaucoup de
garçons et filles apprenaient le Coran et rentraient chez eux le soir,
mais beaucoup de garçons étaient également confiés
à un marabout d'un village plus éloigné, et ne revenait
que des années plus tard. Parfois cultivateur, le marabout, dont la
priorité restait l'éducation, s'aidait de ses talibés les
plus âgés pendant les récoltes, qui allait constituer la
nourriture du daara pour l'année à venir. C'est dans un premier
temps l'hébergement gratuit proposé par les daaras qui a
amené la pratique de la mendicité70. En cas de manque,
les talibés partaient en quête de nourriture auprès des
habitants du village avant de la ramener au daara. Il ne s'agissait alors que
de nourriture, et pas d'argent.
67 Gandolfi Stefania, L'enseignement islamique en Afrique noire,
Cahiers d'études africaines 2003/1-2, 169-170, p. 264
68 Ibid, p. 265
69 Ibid, p. 18
70 HRW, « Sur le dos des enfants ». Mendicité
forcée et autres mauvais traitements à l'encontre des
talibés au Sénégal, New York, Human Rights Watch, 2010, p.
20
Pendant la période coloniale, malgré les
tentatives de récupération, de contrôle ou de suppression
des daaras par l'administration française, le modèle des daaras
traditionnels a perduré. D'abord, à la fin du 19ème
siècle, l'administration a tenté de limiter le nombre de daaras
et écarter des marabouts hostiles à la colonisation. Il fallait
une autorisation pour exercer, on exigait que les talibés apprennent
aussi le français, etc. Par le suite, au début du 20ème
siècle, l'attitude change. On commence à proposer des sortes de
subventions aux daaras donnant des cours de français, on
créé des médersas dirigées par les autorités
coloniales, afin de former des marabouts « officiels ». Si ces
tentatives n'ont pas eux l'effet escompté, elles auront contribué
à élargir l'utilisation de la langue française. En 1945,
l'administration française jette l'éponge par un «
arrêté stipulait que les écoles coraniques ne devaient plus
être considérées comme des institutions éducatives
»71.
C'est à partir l'indépendance du pays en 1960
que les daaras villageois disparurent petit à petit, suivant les flots
de migrants vers la ville, fuyant les sécheresses et les conditions de
vie à la campagne. C'est à ce moment qu'est progressivement
apparue la mendicité et l'exploitation des talibés. Dans les
années 1970, on trouvait alors beaucoup de daaras saisonniers. Le
marabout et ses talibés vivaient en ville pendant la saison
sèche, et retournaient à la campagne pour les récoltes.
Devant le confort et les profits que représentait la mendicité,
beaucoup de marabouts se sont alors installés en ville
définitivement.
Aujourd'hui, si les écoles coraniques prennent des
formes très variées, on peut, pour saisir les nuances, proposer
les catégories suivantes :
· les daaras villageois étaient à
l'origine la forme la plus répandue d'enseignement coranique. Les
enfants vivent chez eux et fréquentent le daara en complément de
l'école publique. Si les enfants résident dans le daara, ils
aident parfois le marabout pour les récoltes ;
· les daaras urbains sont aujourd'hui la forme la plus
répandue d'enseignement coranique au Sénégal. Ces
écoles en internat sont un lieu d'enseignement du Coran, associé
à une préparation à la vie, notamment par l'apprentissage
de valeurs véhiculées par l'islam. Les marabouts viennent souvent
des campagnes, amenant avec eux les talibés. C'est cette forme
d'enseignement coranique qui présente le plus de dérives quant
à la mendicité des enfants ;
· les daaras de quartier désignent les
enseignements dispensés de manière plus ou moins formelle dans
les quartiers d'une ville. « Ces daara accueillent les enfants du quartier
soit avant qu'ils soient scolarisés, et jouent alors aussi le rôle
de garderie, soit pendant les périodes de vacances. Elles ont donc des
effectifs très instables. L'apprentissage du Coran
71 Ibid, p. 23
est parcellaire et discontinu, interrompu ou ralenti par les
activités scolaires »72 . Il peut arriver que ces daaras
soient associés à la mosquée du quartier, auquel cas c'est
l'Imam qui dispense les enseignements.
· on trouve aussi des écoles publiques ou
privées couplées à un enseignement coranique,
également appelées « école franco-arabe » (au
Sénégal, l'école publique est parfois appelée
« école française »). Ces écoles sont reconnues
par l'État et sont donc sous le contrôle de politiques
spécifiques. C'est dans cette catégorie que l'on peut parfois
retrouver les medersas ;
· les daaras saisonniers sont plutôt rares. Ce
sont les écoles où le marabout se trouve en ville pendant la
saison sèche, et rejoint la campagne accompagné des
talibés pour la saison des récoltes ;
· les daaras dit « modernes» « enseignent
des matières autres que le Coran et l'arabe, notamment le
français et certaines matières enseignées dans les
écoles publiques. Les élèves ne mendient
généralement pas d'argent, les daaras modernes étant
souvent financés par le biais de frais d'inscription ou par les
autorités religieuses, l'État, l'aide étrangère ou
les agences d'aide humanitaire »73.
Ces catégories donnent un aperçu, mais restent
hétérogène. Lors de nos premières observations,
nous avons trouvé des daaras sans marabouts, où l'enseignement
était prodigué par les talibés les plus âgés
aux talibés les plus jeunes. D'autres où le marabout n'est pas
enseignant « à plein temps », et possède dans un autre
endroit de la ville une boutique, laissant les talibés livrés
à eux-même en dehors des heures d'enseignement. Les daaras urbains
représentent donc la forme la plus répandue de l'enseignement
coranique dans les villes au Sénégal. Pour la majorité
d'entre eux, les talibés mendiants sont issus de certains de ces daaras
urbains. En effet, soit les talibés sont forcés à mendier
par leurs marabouts, soit ils sont forcés à mendier car le
marabout n'a pas les moyens de subvenir à leurs besoins. Nous
considérons donc que les talibés mendiants font partis de la
population des enfants en situation de rue dans la mesure où la rue est
quelque chose de central pour eux. Ils sont contraint à y mendier,
à y travailler voire à y traîner pendant la journée.
De plus les frontières physiques entre la rue et le daara sont parfois
assez ténues. Ce dernier n'est parfois matérialisé que par
un simple mur de briques ou un grillage entourant un terrain vague, ou par un
abri dans le coin d'une rue.
72 Unicef, Banque Mondiale et BIT, Enfants mendiants dans la
région de Dakar, Understanding children's work project working papers
series, Dakar, novembre 2007, Unicef, Rapport annuel 2006, New York, 2007, p.
19
73 HRW, « Sur le dos des enfants ». Mendicité
forcée et autres mauvais traitements à l'encontre des
talibés au Sénégal, New York, Human Rights Watch, 2010, p.
27
Aujourd'hui, l'enseignement coranique reste la seule
opportunité de formation et d'alphabétisation pour beaucoup
d'individus74. La concurrence des daaras avec l'école
publique a abouti en 2002 à une reconnaissance, de la part de l'Etat,
des talibés comme étant des enfants scolarisés. Cette
mesure vient avec l'introduction de l'enseignement religieux, c'est à
dire principalement islamique, dans les écoles publiques.
Jean-Émile Charlier analyse cette action de deux façons
différentes75. D'abord, l'Etat réagit ainsi à
la pression internationale pour augmenter le nombre d'enfants scolarisés
(par les Objectifs du Millénaire pour le Développement par
exemple). Ensuite, l'introduction du religieux dans les écoles publiques
est plus une prise en compte de la situation qu'une volonté d'un
changement radical. Toutefois, plus qu'une mesure administrative, ces mesures
sont aussi pour l'autorité publique une façon d'introduire une
réglementation (contrôles des établissements, formation des
enseignants, censurer certaines pratiques comme la mendicité
forcée, etc). Il reste cependant à mesurer aujourd'hui la
portée de ces mesures dans les daaras, en terme de maltraitance et
conditions de vie notamment.
Nous venons de brosser un portait rapide du
Sénégal, au travers un succin rappel de son développement
économique, des structures familiales et des migrations de populations
à l'oeuvre dans le pays, des questions de scolarisation et de travail
des enfants, et enfin de la place qu'occupe la religion islamique et son
enseignement. Cela devra nous permettre de mieux saisir les situations dans
lesquelles se trouvent ces enfants et adolescents.
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