La population des enfants en situation de rue au
Sénégal est en grande partie composée de
talibés
mendiants, mais pas uniquement. En effet, d'autres enfants,
ayant des parcours différents, et donc
74 Gandolfi Stefania, L'enseignement islamique en Afrique noire,
Cahiers d'études africaines 2003/1-2, 169-170, p. 271
75 Jean-Émile Charlier, Le retour de Dieu :
l'introduction de l'enseignement religieux dans l'École de la
République laïque du Sénégal, Éducation et
Sociétés, n° 10/2002/2, p. 95 -111
des problématiques différentes, se retrouvent
à mendier, à travailler ou simplement à passer leurs temps
dans la rue. Des études faites à Dakar et aux alentours par le
Samu Social ont permis de dresser une typologie de ces enfants76.
Aujourd'hui, les talibés représentent la
majeure partie des enfants présents dans la rue. L'association Enda
Tiers-Monde, qui travaille sur la question des talibés depuis de
nombreuses années, est l'auteur de plusieurs rapports sur la question.
Nous nous basons ici sur l'un d'entre eux pour définir les
talibés77. Talibé est un mot wolof qui
désigne une personne qui apprend ou qui s'initie au coran
(dérivé du mot arabe «tâlib» : celui qui cherche,
qui demande). Le mot talibé aujourd'hui prend un sens péjoratif,
car il est de plus en plus associé à la mendicité, aux
conditions de vie difficiles. Nous distinguerons donc talibé mendiant et
talibé. En effet, en s'en tenant à la définition
donnée juste avant, beaucoup de musulmans du Sénégal sont
des talibés (c'est à dire des élèves) car ils
apprennent le Coran. Le talibé mendiant est donc celui qui, au sein d'un
daara, est obligé de mendier et de faire des petits boulot dans la rue,
soit pour survivre, soit pour le compte de son marabout. Une enquête de
2007 fait apparaître qu'ils représentent 90% des enfants mendiants
à Dakar78. Toutefois, il est difficile de fournir des
chiffres précis sur le nombre de talibés mendiants, certaines
associations publient sur leurs sites internet le chiffre de 50000 au
Sénégal, mais sans l'étayer. Cette population est en effet
impossible à mesurer avec précision, car toujours en mouvement
(décès, fugues, arrivées, départs etc). En ce qui
concerne le nombre de daaras, la situation est à peu près la
même, étant donné l'informalité de ce type
d'enseignement. Un rapport avance la présence de quelques trois cent
soixante daaras à Saint-Louis79. Ce chiffre,
s'il se rapproche peut-être de la réalité, donne en tout
cas à voir l'importance de l'enseignement religieux dans le pays
(Saint-Louis compte environ 200 000 habitants).
Il y a les « fakhmans », tel qu'ils se
désignent eux même (fakh, en wolof, signifie casser,
rompre, briser). Ce sont les enfants qui se retrouve à la rue
après une rupture avec le milieu avec lequel ils vivaient. Ainsi, ils
ont quitté leur daara, leur famille, l'institution qui les
hébergeait, etc. Ils vivent donc dans la rue et, la plupart du temps, se
retrouvent et s'organisent en bande et sont souvent consommateurs de drogues.
« Être Fakhman, c'est aussi appartenir à un groupe et avoir
des repères identitaires. [...] Ils vivent en bandes très
structurées et hiérarchisées de 30 à 60
garçons. Les plus
76 Fatou Dramé, Nàndité . Enquête sur
les enfants des rues à Dakar , Samusocial Sénégal - UNICEF
Sénégal ,Dakar , 2010, p. 17-18
77 Enda Tiers-Monde / Save The Children Suède , «
Situation des enfants dans les écoles coraniques au
Sénégal », JEUDA 114, Dakar, Enda Tiers-Monde Jeunesse
Action , 2005
78 Unicef, Banque Mondiale et BIT, Enfants mendiants dans la
région de Dakar, Understanding children's work project working papers
series, Dakar, novembre 2007, Unicef, Rapport annuel 2006, New York, 2007, p.
2
79 République du Sénégal / Service
Régional de la Statistique et de la Démographie (SRSD) de
Saint-Louis, Situation économique et sociale de la région de
Saint-Louis de 2008 , Dakar, Agence Nationale de la Statistique et de la
Démographie, 2009, p. 104
jeunes et les nouveaux sont mis en « esclavage »
par les plus âgés, en échange d'une « protection
», et doivent trouver la nourriture pour le groupe. »80
Les fakhmans sont proches d'une autre catégorie
d'enfants qui est celle des « jeunes travailleurs ». Ce sont des
enfants qui ont des petits boulots, pour essayer de survivre, et qui eux aussi
s'organisent en groupe. La différence avec les fakhmans se fait en
partie sur la prise de drogues, beaucoup moins pratiquée chez ces
enfants. « Ils échappent totalement, parfois, au contrôle
social prévu pour les enfants de leur âge. Ils vivent de
mendicité, du fruit de petits délits, de ce qu'ils trouvent dans
les poubelles. [...] La violence, le vol, la drogue, le rejet par la
société et la mort forment leur quotidien. »81.
Il est évident que la frontière est assez floues entre ces deux
catégories, et les enfants passent rapidement de l'une à
l'autre.
Les jeunes filles qui sont dans la rue représentent un
catégorie particulière. Si on les retrouve dans les deux
catégories précédentes, elles sont plus
particulièrement victimes de la prostitution. D'après le Samu
Social, cette population semble particulièrement difficile
d'accès.
Les « enfants handicapés » sont aussi
amenés à se retrouver dans la rue, contraints d'y mendier pour
subsister. Ils font face à « des rejets en cascade
»82, causés principalement par le manque de dispositifs
et de structures facilitant l'inclusion sociale. Il arrive aussi de trouver des
enfants accompagnant des adultes en situation de handicap. Qu'il s'agisse d'un
parent ou d'une autre personne, ces enfants secondent des adultes dans la
mendicité.
Ces catégories ont l'avantage de décrire par
touches successives la population des enfants en situation de rue. Nous l'avons
déjà dit, les frontières entre des catégories sont
fines et mouvantes. Si ce travail de classement permet de rendre compte de
manière assez simple (et simplificatrice) des différentes
situations rencontrées, il se base essentiellement sur les
activités exercées dans la rue par les enfants.