Les enfants en situation de rue du Sénégal. L'identité et la socialisation dans le processus de sortie de la rue( Télécharger le fichier original )par Corentin SIROU Université Lumière Lyon 2 (ISPEF) - Master 1 sciences de l'éducation 2011 |
2.2. Population et mutations familialesLe Sénégal compte aujourd'hui quelques onze millions d'habitants. Dakar, la capitale du pays, abrite près de deux millions et demi de personnes. La jeunesse et la croissante rapide sont les deux principales caractéristiques de la population sénégalaise. En effet, les moins de quinze ans représentent 42% de la population totale en 2008, et les moins de vingt ans 53,3%. Les personnes les plus âgées (c'est à dire soixante cinq ans et plus) comptent quant à elles pour 3,6% de la population36. Aussi, la ville est le lieux d'habitation pour 42% des sénégalais, dans un pays où l'exode vers les zones urbaines persiste, en dépit des efforts déployés dans le développement rural. Pour sa part, l'agglomération de Saint-Louis compte quelques deux cent mille habitants, dans une région qui compte plus de huit cent mille habitants, et où la population est encore rurale à 63%.37 32 République du Sénégal, Situation économique et sociale du Sénégal en 2008, Dakar, Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie, 2009, p. 91 33 Ndiayz Abdourahmane, Endettement extérieur, PAS et Pauvreté au Sénégal, Attac France, 2001, consulté en le 15 octobre 2010, http://www.france.attac.org/spip.php?article1422 34 République du Sénégal, op cit, 2009, p. 72 35 Coquery-Vidrovitch C., De la ville en Afrique noire, Annales. Histoire, Sciences Sociales 2006/5, 61e année, p. 1117 36 République du Sénégal, op cit, 2009, p. 24 37 République du Sénégal / Service Régional de la Statistique et de la Démographie (SRSD) de Saint-Louis, Situation économique et sociale de la région de Saint-Louis de 2008 , Dakar, Agence Nationale de la Statistique et de la Près d'un tiers des gens vivent sous le seuil de pauvreté. Traditionnellement, la famille au Sénégal s'organise sous une forme élargie, comme dans beaucoup de pays d'Afrique. Cette conception, dite aussi famille étendue, inclue dans la cellule familiale les oncles et cousins éloignés en plus de la famille dite nucléaire, c'est à dire les parents et les enfants. Il n'est pas rare de voir un enfant, âgé de vingt cinq ans, habitant chez ses parents, car étant encore dépendant financièrement. Ainsi, les personnes « dépendantes » (personnes âgées et enfants) bénéficient alors de la solidarité familiale. Il faut rappeler (voir plus haut) que ces personnes représentent environ 45% de la population (moins de quinze ans et plus de soixante cinq ans). Dans ce cadre, l'enfant se retrouve ainsi pris en charge de manière partagée entre les membres de sa famille étendue et ses propres parents. Le confiage est la traduction concrète de ces pratiques de prise en charge partagée. Ainsi, en cas de crise, un système de circulation de l'enfant est mis en place. Il y a donc une redistribution des charges au sein de la famille38. Toutefois, plusieurs études tendent à montrer que cette forme d'organisation familiale est mise à mal, ce qui a comme conséquence la destructuration familiale. Ainsi, de nouveaux modes de circulation prennent place, et les enfants vont de plus en plus de la campagne vers les villes, soit dans la cadre d'un confiage ou pour un travail. Cependant, le contrôle familial est de plus en plus limité sur les réseaux d'insertion, et laisse la place à certaines dérives39. L'abandon d'enfant est aujourd'hui en parti le produit de cette structuration familiale, le confiage dans la famille étendue étant de moins en moins possible - ou de moins en moins fiable - étant donné les difficultés de la vie. Toutefois, l'abandon a toujours existé, en partie à cause de la pauvreté, mais aussi pour d'autres facteurs. Les enfants « extraordinaires », comme les jumeaux, l'enfant avec une malformation, un handicap, les albinos ou les enfants nés hors unions, étaient ainsi marginalisés, ou parfois plus simplement éliminés. Si les pratiques d'infanticide sont sur le déclin, elles laissent la place à une marginalisation de ces enfants par leurs familles et par la population en général, allant jusque l'abandon. Les migrations des familles vers les villes ont incontestablement entraînées des transformations. Le détachement, parfois brusque, avec le territoire d'origine, avec la famille et le réseau de relations peut entraîner un éloignement, parfois même une coupure totale, avec les valeurs, les normes, les coutumes traditionnelles40. Ainsi, la famille en ville ne peut plus se reposer sur les réseaux de Démographie, 2009, p. 16 38 Valérie DELAUNAY, Abandon et prise en charge des enfants en Afrique, Mondes en Développement Vol.37- 2009/2-n°146, p. 39 39 Ibid, p. 40 40 A. B. C. Ocholla-Ayayo, la famille africaine entre tradition et modernité, in Adepoju Aderanti (éd.), La famille africaine, Paris, Karthala, 1999, p. 90 solidarité traditionnels, tel qu'ils existaient à la campagne. Le statut de l'enfant lui aussi évolue. L'enfant à la campagne a une valeur économique. Il représente un opportunité. En revanche, dans un contexte urbain, il vient alors s'ajouter à la liste des contraintes que sont le logement, l'emploi, le gain et les dépenses d'argent, l'alcoolisme, la prostitution, la criminalité, la corruption, etc41. Si la situation de la famille en ville a inévitablement évolué par rapport au modèle traditionnel, elle n'a pas pour autant complètement renié ses valeurs. En effet, malgré les problèmes qui incombent aux familles installées en ville, les « obligations familiales envers la fratrie, les enfants, la belle-famille et les autres membres de la grande famille demeurent fortes »42. La « famille africaine traditionnelle constituait un cadre parfaitement adapté au développement de ses membres, de l'enfant surtout. En effet, l'enfant africain était dès sa naissance inséré dans un réseau relationnel qui débordait largement le cadre de la famille telle que nous la connaissons dans les sociétés capitalistes »43. Il y a chez l'enfant africain un fort sentiment d'appartenance au groupe. Si l'urbanisation entraîne des mutations au sein de la famille, la solidarité entre membr de la famille n'a pas pour autant complètement disparu. Ainsi, par exemple, « le réseau de parenté joue [encore] souvent un rôle positif dans l'insertion des immigrants, avec un point d'appui économique et résidentiel taillé dans une zone urbaine par un individu, suivi ensuite par d'autres membres de la famille »44. Il nous semble important d'apporter cette précision car nous sommes souvent tombés sur des discours (dans des articles, des discussions et des entretiens) dénonçant une « crise » de la famille urbaine en Afrique. Ce discours est souvent couplé à un discours plus général axé sur la perte des valeurs traditionnelles (comme la solidarité, la vie communauté, le partage...). Ce type de discours nous semble trop rapide car il s'interdit d'explorer les mutations familiales et leurs facteurs plus en profondeur. Il s'agirait donc d'essayer de dépasser ce que Jean-Claude Kaufmann appelle les « opinions de surface »45. Le parallèle peut être fait avec la famille français. « D'autres stéréotypes doivent être combattus. On a longtemps cru [...] que l'urbanisation et l'industrialisation avaient entraîner la "nucléarisation" de la famille. [...] Une telle vision appelle de nombreux correctifs. [...] La vitalité des réseaux de parenté ne s'est jamais démentie. Qu'il s'agisse de legs, de donations ou d'héritages, la solidarité intergénérationnelle continue de prévaloir »46. En ce qui concerne l'Afrique, Christine Oppong note que parfois les solidarités traditionnelles ont disparu, et parfois elles servent 41 ibid, p. 91 42 Adepoju Aderanti (éd.), La famille africaine, Paris, Karthala, 1999, p. 22 43 Nguimfack Léonard, Caron Rosa, Beaune Daniel, Tsala Tsala Jacques-Philippe, Traditionnalité et modernité dans les familles contemporaines : un exemple africain , Psychothérapies, vol. 30, 2010, N° 1, p. 27 44 A. B. C. Ocholla-Ayayo, op cit, p. 101 45 Jean-Claude Kaufmann, L'entretien compréhensif (2ème édition), Paris, Armand Colin, 2007, p. 20 46 Gilles Ferréol et Jean-Pierre Noreck, Introduction à la sociologie (8ème édition), Paris, Armand Colin, 2010, p. 145 encore à éviter l'indigence, mais que« à ce jour, cependant, il n'y a pas d'études concernant les effets de la migration sur la vie de la famille et vice versa »47 , notamment par des facteurs comme l'examen de fécondité, la mortalité, la mobilité, tout cela simultanément avec mutations familiales. |
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