Chapitre 2 : Le contexte sénégalais
Pour aider à une meilleure compréhension des
enfants en situation de rue au Sénégal, il est nécessaire
de prendre en compte quelques éléments qui composent le contexte
socio-historique du pays. Nous nous arrêterons ici sur la situation
économique du pays, la structure familiale et ses mutations ainsi que la
scolarisation et le travail des enfants. Comme nous l'avons déjà
signalé, la prise en compte de ces éléments
macro-sociologiques n'a pas pour objectif de faire de ces enfants un simple
produit de ces derniers, mais ces éléments permettent d'avoir une
meilleure idée des réalités sociales qui traversent la
société sénégalaise. Ces différents
éléments, sans être des causes exclusives du parcours de
ces enfants, sont partie prenante de leurs vécus et influent dans les
trajectoires personnelles des enfants. On ne peut pas faire l'économie
de la prise de connaissance de ces facteurs, comme on ne doit pas nier la
subjectivité de l'enfant.
Le Sénégal est un pays d'Afrique de l'ouest,
situé entre la Mauritanie au nord, le Mali à l'est, et les deux
Guinées au sud. Les 12 millions de sénégalais se
décomposent en différents groupes ethniques. Les principaux sont
les Wolofs (43%), occupant surtout le centre du pays, les Peuls (24%), en
Casamance et dans la région du fleuve Sénégal, les
Sérères (15%) se trouvant principalement dans le Saloum. Moins
nombreux, les Diolas, les Mandingues, les Soninkés, les Bassaries
constituent le reste de la population du pays. Si chacune de ces ethnies a son
propre langage, le Wolof reste la langue véhiculaire. Le
français, la langue officielle enseignée dans les écoles
publiques, reste plutôt parlée par les populations
éduquées, comme l'arabe, et dans les zones touristiques.
2.1. Le développement économique
Depuis son indépendance le 4 avril 1960, le pays a connu
trois grandes phases de développement. La première phase, qui
va jusque 1964, correspond au premier plan de développement
économique
27 Daniel Stoecklin, op cit, p. 81
du pays. On y voit un état interventionniste qui a en
particulier la volonté d'appuyer le secteur primaire. Le seconde phase,
est celle des grands projets et des grands emprunts. L'état est
présent dans tous les secteurs et coopère avec le secteur
international, parfois au détriment de intérêts
sénégalais. D'autre part, les institutions internationales,
notamment via l'application des programmes d'ajustements structurels (PAS),
abordent le problème de la croissance de manière globale, sans
tenir compte des difficultés des pays africains, comme la faiblesse des
systèmes d'informations, le dualisme de l'économie, les limites
du cadre institutionnel et certains effets liés à la
détention de la majorité de l'économie par des capitaux
étrangers28. D'autre part, « les structures productives
de l'économie n'ont, en réalité, guère la
flexibilité nécessaire pour répondre favorablement aux
chocs extérieurs dictés par la politique d'ouverture commerciale
»29. C'est dans cette période que prend place la crise
de l'arachide, une filière d'exportation alors grande pourvoyeuse de
revenus pour l'état sénégalais. D'abord la fin du tarif
préférentiel français sur l'exportation de l'arachide,
puis les sécheresses répétées, la sur-exploitation
des sols et la mauvaise gestion de l'ONCAD (office national de
commercialisation et d'assistance au développement) sont les causes de
la mort lente de cette filière30. C'est dans ce contexte que
l'on entre dans la troisième phase, à partir des années
1980, qui se caractérise par un désengagement de l'Etat. La crise
de la filière arachide a eu pour conséquence la montée de
la part des importations dans le produit intérieur brut (PIB). La
dévaluation de franc CFA, en 1994, avait pour objectif d'enrayer cette
escalade31.
Les impacts sur les populations de tous ces
événements se traduisent de manières différentes.
D'abord, la crise de l'arachide a touché principalement les zones
rurales, dont l'économie est orientée principalement vers la
subsistance. Ainsi, elle a alimenté l'exode vers les zones urbaines, et
fait grossir les rangs du secteur privé et informel. D'autre part, le
service de la dette atteint en 1998 7% du PIB, alors que la part
dédiée à l'éducation est de 3,7%, et celle
dédiée à la santé de 2,6%. Ensuite, la
dévaluation du franc CFA a fait augmenter le prix de certains produits
de base, comme le riz, le poisson (+53,4% entre 1993 et 1994), les
céréales, etc. Ces effets ont contraint les populations au
rationnement alimentaire. Le rapport de l'Agence Nationale de la Statistique et
de la Démographie (ANSD) sur la situation économique et
sociale au Sénégal en 2008 confirme ces pratiques. «
Généralement, lorsque surviennent des chocs, les ménages
développent des stratégies de survie. L'ESAMU en a recensé
un certain nombre dont les plus importantes sont : - la réduction
28 Tidjani Bassirou et Gaye Adama, « Secteur privé et
développement économique et social », in Diop Momar-Coumba
(sous le direction de), La société sénégalaise
entre le local et le global, Paris, Karthala, 2002, p. 39
29 Daffé Gaye, « Difficile réinsertion du
Sénégal dans le commerce mondial », in Diop Momar-Coumba
(sous le direction de), La société sénégalaise
entre le local et le global, Paris, Karthala, 2002, p. 75
30 ibid, p. 69
31 Ibid, p. 71
de la quantité des repas et/ou le remplacement par des
produits alimentaires moins chers ou disponibles ; - la réduction des
dépenses de secteurs tels que la santé, l'habillement, les
cérémonies, et les produits d'hygiène ; - les achats
à crédit ou l'endettement. »32
Toute la pauvreté de l'Afrique en général
et du Sénégal en particulier n'est évidemment pas
imputable uniquement aux politiques de libéralisation, liées
à la mondialisation. Cependant, « s'il est évident que la
pauvreté n'est pas apparue au Sénégal avec l'application
des PAS, on peut constater que sa massification se situe dans la période
d'ajustement »33. D'autres auteurs s'attachent à montrer
ces liens, comme Aminata Traoré ou Serge Latouche, dont certaines des
analyses portent sur les effets de la mondialisation, et des PAS en
particuliers, sur les pays africains.
Aujourd'hui, au Sénégal, l'économie est
en majorité informelle. La part du secteur privé informel
représente en effet plus de 80% des travailleurs de la ville de
Dakar34. « Cette informalité (non
contrôlée), qui fut dès l'origine le lot des villes
coloniales, ne fait que s'accélérer dans les villes du Sud
d'aujourd'hui et s'accroître encore dans les villes de demain
»35. L'informalité touche principalement les services,
le commerce et l'industrie. Dans le département de Saint-Louis, les
activités économiques dominantes sont la pêche, le
tourisme, l'artisanat, le commerce, le maraîchage et les services. La
revente des produits issus de ces activités se fait de manière
informelle, principalement dans les marchés de la ville.
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