- Dès mon arrivée dans cette maison, j'ai vraiment
vécu un calvaire là-bas, malgré tout ce que je faisais
pour cette maison là. A faire les tâches domestiques et les
enfants qui n'arrêtaient pas de m'embêter, et gare à moi si
je lève la main sur les enfants de ma tante ! Ils n'arrêtaient pas
de m'embêter, et il m'arrivait moi aussi de lever la main sur eux, et on
m'humiliait devant ces enfants, et voilà. Je suis allé me
plaindre en disant que je ne voulais pas que des choses comme ça se
répètent parce que je ne suis pas venu pour ça, et
j'aimerais bien avoir la paix pour être dans cette maison la, parce que
vraiment, je fais tout ce qu'on me demande.
- Comment es-tu arrivé dans cette maison ?
- Mon père m'a placé dès mon plus jeune
âge dans cette famille. Mais je n'aurais pas reçu ce traitement
là, je ne serais pas parti.
- Donc après je suppose que tu es dans la rue ? Comment
t'es-tu finalement décidés ? A quel moment ? Continues de
raconter.
- A force de ruminer ces rancoeurs la, et ne voyant pas de
solution, un bon coup, je ne me souvient pas comment, c'était un
coup de tête, j'en ai eu marre, [C-AM(i)][C-AP(l)] je suis sortis dans la
rue, je n'avais nul part où aller, et j'ai pu trouver quelqu'un
qui m'héberge.
- Tu as trouvé tout de suite quelqu'un ?
- En fait, [S-IC] c'est une femme qui est venu
m'approcher dans un premier temps pour solliciter mes services,
précisément pour que j'aille puiser de l'eau pour les travaux
domestiques pour sa famille. Et c'est à force de faire ça
que des liens se sont tissés entre moi et la bonne dame.
- Tu as donc travailler avec, ou pour cette femme, et ensuite
?
- La dame m'a beaucoup questionné sur ma vie, «
qu'est-ce qui m'a poussé à venir dans la rue ?, etc ». Moi
je me suis confié à elle... Ce que j'ai dit à la femme l'a
vraiment touché au point qu'elle m'a demandé d'où je
venais, et là, j'ai dit que mon père est jardinier à A. et
qu'il ne peut pas me prendre en charge, etc. J'ai raconté tout ça
à la dame qui visiblement était touchée. Dans mes
discussions fréquentes avec la femme, elle m'a demandé où
je partais chez moi, et j'ai répondu dans la rue, au quartier Guet Ndar,
et elle m'a conseillé de ne plus passer la nuit dans la rue. Là,
elle ne pouvait pas m'héberger, mais elle me donnait à manger et
à boire. Après, cette dame [C-SA] a parlé au
centre pour faire les démarches et elle a rencontré
O..
- Combien de temps as-tu passé dans la rue ?
- Je ne sais pas exactement, je sais seulement que j'ai un peu
duré dans la rue quoi...
- C'est donc cette femme qui t'a orienté ici ?
- Oui, c'est grâce à elle que je suis là.
- Et tu n'as pas hésité à venir...
- Non, je suis vraiment content de l'accueil, le centre est
bien. Je n'ai pas regretté. Je suis conscient de l'amour qu'on me porte
ici.
- Au moment où tu étais dans la rue, as-tu
hésité ? Maintenant, tu es content, mais à ce moment
là ?
- Non, je n'ai pas hésité, j'étais
content.
- A l'époque, tu avais des contacts ? Des groupes que tu
fréquentais ? Des amis ? Si oui, que faisais-tu avec eux ?
- Je me suis débrouillé tout seul, je n'ai jamais
eu d'amis...
- Tu dormais où ?
- Au quartier des pêcheurs de Guet Ndar.
- Dans la rue ?
- Dans la rue, à côté d'une
mosquée.
- Tu n'as jamais eu aucun contact ?
- Non
- Tes activités, c'était surtout les services
à la dame ? Il y avait autre chose ? Tu mendiais par exemple ? Tu
faisais des jeux ? Autres ?
- Après avoir fait les travaux, je demandais à
cette dame l'autorisation d'aller jouer et en même temps, en allant
jouer, j'allais faire l'aumône en disant à la femme que j'allais
me coucher.
- Avais-tu des problèmes avec d'autres jeunes ?
- Je voulais dire aussi que [S-IC] j'ai rencontré
D., un éducateur de l'association E., et qu'il m'avait
emmené pour les douches, mais j'ai vraiment été
emmerdé là-bas parce qu'on arrêtait pas de se moquer de
moi. A chaque fois, il y avait des jeunes qui me traitaient de «
fakhman, fakhman ! », [S-DR(-)][I-IC] ce qui me faisait mal.
J'allais jusqu'à me battre sur ces provocations.
- Tu ne te considérais pas comme un fakhman donc.
- Non
- Si tu n'étais pas un fakhman, tu étais quoi ?
- Je me considérais comme un être humain qui
cherche à se débrouiller dans la rue.
- Quand tu es arrivé dans la rue, comment tu t'es
adapté ? Comment tu as trouvé tes repères ? Ton lieu de
couchage ? Comment s'est fait ton intégration ?
- C'était angoissant parce que j'étais tout le
temps dans mes pensées à vouloir savoir « qu'est ce que je
dois faire ? », « Qu'est-ce que je peux faire ? », «
Trouver du travail le plus rapidement possible ».
- Tu as trouvé du travail tout de suite ?
- [S-IC] J'ai d'abord été confronté
à un manque de confiance là où je sollicitais,
avant que cette dame m'approche. Sinon, on me demandait où sont mes
parents, d'où je viens, tout ça. Donc, ne pouvant pas le faire,
je n'ai pas trouvé tout de suite.
- Tu n'étais pas un fakhman, mais c'est quoi un fakhman
?
- Un fakhman n'est rien d'autre qu'un bandit, et c'est quelqu'un
qui aime la facilité, qui ne va pas chercher du travail et agresse les
gens, c'est comme ça qu'il fait.
- Tu souhaites rajouter quelque chose ?
- Maintenant, je sais que je dois redoubler d'effort, et
ne pas redevenir la proie de la rue, avec tous ces dangers de la rue,
l'alcool et tout ça, je ne veux pas être dans
ça.