3.2. Pistes d'ouvertures
Tout au long de ce travail d'étude, un certain nombre
de questionnement nous sont apparus et nous ont semblé importants. Ces
réflexions sont peut-être susceptibles de faire l'objet de
recherches ultérieures.
Durant notre travail, nous n'avons pas
différencié les modes de sociabilité des enfants et
adolescents. En effet, il serait intéressant d'essayer de voir ce qui
change chez les enfants en fonction du mode à l'oeuvre dans les
relations entre pairs, ainsi qu'en fonction de la façon dont
adhère chacun des membres. Dans certains discours d'enfants et dans nos
observations, nous avons détecté quelques différences
entre les types d'associations possibles entre les enfants. On trouve
également plusieurs exemples dans la littérature scientifique et
institutionnelle : réseaux, bandes, near-groupe, dyade, triade, etc.
Cette diversité a-t-elle un impact sur les activités des enfants
ou ces modes sont-ils choisis en fonction de l'activité exercée ?
Comment prennent vie ces différentes formes de groupement, et quelle est
alors l'influence de ces deniers sur les enfants ?
Dans ce travail, nous avons abordé les relations avec
les adultes puis l'image de soi comme dimension de l'identité
personnelle de l'enfant. Un trait important s'est avéré
primordial dans l'image de soi : le regard des autres, et des adultes en
particulier. Au delà de la simple relation avec l'adulte,
l'image qu'il va renvoyer à l'enfant de lui-même,
le regard positif, bienveillant, est une clé importante dans la
perspective de la sortie de la rue, comme nous le montre le cas de Khalil, vue
plus haut. L'image de soi est double. Il y a l'image que l'on a de nous
même, et l'image que les autres nous renvoient de nous même. Il
nous faut donc prendre en compte cette dimension « extérieure
» de l'image de soi, car elle peut être un élément
déterminant dans la sortie de la rue. D'après Riccardo Lucchini,
cette dimension est un des facteurs d'influence de la carrière (voir
page 16).
Dans une future recherche, afin de travailler cette question
de la fin de la carrière, il serait intéressant de mener une
enquête auprès des enfants en situation de rue, et non pas
uniquement ceux qui en sont sortis. Cela devrait permettre de se placer au plus
près des facteurs qui d'une certaine manière empêche les
enfants de sortir de la rue, en regardant notamment quels
éléments lie l'enfant actuellement en situation de rue à
la rue elle-même. En effet, notre étude s'est voulu être un
exploration des éléments qui ont permis la fin de la
carrière des enfants, mais pour aller plus loin, il nous faudrait
comprendre plus en profondeur la situation des enfants pour saisir toutes les
dimensions qui contribuent au ralentissement de leurs carrières. Ces
éléments sont importants car ils pourraient enrichir les
connaissances des travailleurs oeuvrant auprès de ces enfants et ainsi
leurs permettre une meilleure prise en charge des enfants en situation de rue,
et ainsi être des leviers plus efficace pour faciliter leurs sorties.
Notre travail autour des questions identitaires des enfants,
ainsi que les remarques que nous avons pu entendre de la part de
l'équipe éducative nous font réfléchir à
nouveau sur l'objet même de notre travail, et la difficulté qu'il
y a à nommer et définir ces enfants. En effet, nous l'avons
déjà dans la première partie, les dénominations et
définitions font débat, et nous nous avions finalement
adopté le terme enfant en situation de rue. Cette
dénomination a en effet le mérite de placer l'enfant dans une
situation particulière : la rue. Contrairement à d'autres termes
(enfant de la rue, enfant à la rue, etc), il ne lie pas de
manière directe et définitive l'enfant à la rue.
Malgré cela, le terme rappel tout de même que ces enfants sont
à la rue. Or, au même titre que enfant en situation
difficile, il reste une catégorie stigmatisante aux yeux des
enfants. Nous rappelons ici une phrase de Hassan : « Je me
considérais comme un être humain qui cherche à se
débrouiller dans la rue. ». Voilà comment les enfants se
définissent, voilà comment il aime être regarder, et non
pas comme un public en difficulté, en partie car ce terme peut
être amalgamé avec un public difficile. Aussi, les
enfants du centre nous montrent régulièrement qu'ils
n'acquiescent pas ce dernier terme115, par des phrases comme «
Mais nous, on est pas en situation difficile », « on a un avenir
», « on ne veut pas être vu
115La vocation du centre, tel qu'il se définit, est en
effet de venir en aide aux enfants en situation difficile
comme difficile », etc. Il refuse cet
étiquetage qu'ils perçoivent comme stigmatisant. Cela nous pousse
à souligner de nouveau la difficulté de ranger clairement ces
enfants derrière une définition, un concept, en tant qu'objet de
recherche. Cette difficulté est d'autant plus marquée qu'en
choisissant le terme enfant en situation de rue, nous avons choisis,
d'une certaine manière, de recueillir les propos de l'enfant et de se
rapprocher de sa subjectivité. Alors que faire lorsque ces derniers
refuse de rentrer dans les catégories dans lesquelles nous souhaiterions
les ranger ? Ces réflexions se font l'écho de la phrase de
Lucchini : « enfant en situation de rue est un concept à la
recherche d'un objet ». En effet, la difficulté de former une
catégorie homogène autour de ces enfants s'est
particulièrement fait sentir tout au long de ce travail. Le fait que
certains enfants boudent la dénomination qui leurs est accolée
rajoute à cette difficulté et doit prolonger la réflexion
sur ce point. A partir d'une catégorie, d'une étiquette, nous
avons parfois tendance à ne penser qu'à travers elle, à ne
voir que les propriétés qu'on lui attributs, en négligeant
la pluralité même des êtres humaines et leurs multiples
facettes.
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