Chapitre 3 : Regard critique et ouvertures
3.1. Sur la méthode
Au cours de notre enquête et à la suite de
l'analyse des résultats, nous nous sommes aperçus de certaines
limites des méthodes que nous avons employé. Il s'agit ici
d'essayer de souligner ces aspects, en essayant de comprendre leurs impacts
dans les résultats, afin d'améliorer la qualité d'une
recherche future.
Nous voulons tout d'abord dire que nous manquons d'entretiens
pour consolider certaines régularités que nous avons
observé, et en mettre à jour de nouvelles. En effet, nous ne
sommes pas arrivés à
saturation dans le contenu des entretiens que nous avons
réalisé. Une enquête plus conséquente
quantitativement permettrait d'agréger davantage de cas, ce qui
permettrait une réponse plus achevée à la
problématique étudiée. Aussi, il serait intéressant
de travailler de manière plus précise sur
l'échantillonnage. Si nous avions initialement défini un
échantillon, il nous a été difficile de nous y conformer,
car les enfants interrogés ont été choisis en grande
partie avec l'aide de l'équipe éducative du centre dans lequel se
déroulait l'enquête. Le fait même de travailler avec ce
centre a eu un impact sur les résultats obtenus. Nous nous sommes en
effet entretenus avec des enfants n'étant plus en situation de rue.
Cette particularité de notre échantillon oriente d'une certaine
façon nos résultats. D'une part, les enfants ont un regard
rétrospectif sur leurs carrières. Cela peut impliquer plusieurs
choses : il peut arriver que ce regard évolue, que l'enfant soit
tenté de modifier des éléments en racontant son parcours,
que l'enfant oublie certains détails, etc. Donc si ce cette
façon, nous pouvons recueillir des histoires de carrières
complètes, les éléments qui ont freiné ou
facilité la sortie de la rue peuvent ne pas nous apparaître ou
être moins facilement compris que lorsque l'enfant est encore en
situation de rue. Le choix du terrain a été fait avant tout pour
des raisons pratiques (comme la barrière de la langue ainsi que l'aide
qu'a accepté de fournir l'équipe éducative notamment). Il
est par ailleurs évident qu'une maîtrise correcte du wolof aurait
permis de supprimer l'intermédiaire d'un traducteur lors des entretiens,
et donc d'une partie des biais inhérents à la traduction (la
traduction des questions et des réponses, même sans traducteur
intermédiaire, peut comporter certaines limites). Aussi, il serait
préférable de prévoir plusieurs entretiens avec un
même enfant. En effet, revenir sur une histoire après avoir fait
une première relecture des transcriptions des entretiens
réalisés permettrait notamment d'approcher des
éléments plutôt négligés lors des
premières rencontres. Cela permettrait également d'aborder les
aspects souhaités avec plus de profondeur (notamment les
éléments centraux de notre problématique :
l'identité et la socialisation) que lors d'un unique entretien, qui peut
parfois s'apparenter à une sorte d'« interrogatoire marathon
», avec pour ligne blanche la liste des thèmes et questions du
guide d'entretien. Cette façon de faire un peu mécanique,
dûe en partie à des conditions parfois difficiles , et à la
fatigue des différents protagonistes, ne nous a pas permis une
écoute suffisamment active. Or, la qualité de l'écoute est
un facteur garant d'un entretien concentrant davantage d'éléments
pertinents, car elle permet une meilleure compréhension, des relances
plus appropriées, etc. C'est ce qui a manqué sur des aspects
comme la socialisation et les vecteurs d'apprentissage au sein des groupes, la
prise de rôles et les statuts. Il serait également enrichissant de
compléter notre enquête par des entretiens avec des personnes
travaillant auprès des enfants en situation de rue, en allant au
-delà d'une simple discussion plus ou moins formelle.
L'expérience dont ils disposent et le regard qu'ils peuvent porter sur
la problématique abordée serait un plus non négligeable
dans l'analyse des résultats.
Une révision de la grille de lecture est
également nécessaire à une analyse plus fine et pertinente
des résultats. Certaines des variables utilisées sont en effet
ambivalentes. Par exemple, « insatisfait de sa situation dans la rue
», liée à la dimension de l'image de soi de
l'identité peut porter à confusion. L'insatisfaction d'une
situation de rue n'est pas uniquement de nature identitaire. En effet, sur cet
aspect, l'identité peut jouer au côté d'autres
éléments non négligeables, comme une situation de
maltraitance ou d'exploitation. Ainsi ce n'est peut-être pas que (voir
pas du tout) pour des raisons identitaires que l'enfant va se montrer
insatisfait de sa situation. Aussi, les éléments qui concernent
la carrière de l'enfant (sur la rue observée/ludique et la rue
assumée) ne sont pas tous mesurables de manières satisfaisantes.
Il conviendra de retravailler ces concepts en y cherchant des indicateurs plus
efficaces.
Dans le guide d'entretien, les questions liées au
thème concernant la trajectoire de l'enfant sont sensées
interroger sur les changements ayant lieu dans la carrière. Ces
questions devaient aider à déceler les étapes de la
carrière de l'enfant, mais ont été mal comprises la
plupart du temps. Il serait préférable de mesurer des changements
sur des thématiques plus précises (vie dans le groupe,
activités, lieux, repères identitaires, etc) plutôt qu'en
général, car les enfants ne perçoivent pas le sens de la
question.
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