CONCLUSION
Arrivée au terme de ce travail, nous en rappelons les
éléments importants. D'abord, nous observons l'ambivalence des
relations entre pairs. Elles peuvent ralentir la carrière, de part
l'attirance qu'elles exercent et de part les promesses qu'elles
émettent. Les liens forts peuvent maintenir un enfant dans une situation
de rue. Mais ces relations peuvent également déclencher la fin de
la carrière. La multiplication des contacts, l'insertion dans des
réseaux permet de mettre à porter des enfants les
opportunités de sortie qui, pour certains, faisaient l'objet d'une
recherche, sous tendue par une projet post-rue mûri ou en construction.
Ce sont parfois même les pairs qui directement agir, par
solidarité, en faveur d'un enfant, et précipiter sa sortie de la
rue.
Dans un deuxième temps, nous observons chez beaucoup
des enfants que nous avons rencontré une distance significative avec la
rue. Nous entendons par là que l'enfant, s'il est en situation de rue,
ne se l'est pas complètement approprié. Certains refuse en effet
certaines pratiques, notamment le vol, ou la mendicité. D'autres sont
gênés par la pratique de ces activités, et y participent
par nécessité, avec une certaine retenue, en essayant de s'y
associer le moins possible. C'est enfin en refusant des étiquettes
qu'ils jugent ne pas leurs correspondre ou stigmatisantes («
talibés », « fakhman ») que ces enfants vont marquer le
degré limité de leurs appropriation de la rue, et des
représentations qui lui sont associées. Cette distance que
certains arrivent à conserver va alors constituer le terreaux sur lequel
va naître, s'il n'existait pas déjà, un projet post-rue.
C'est souvent là que l'aide d'un adulte est
nécessaire. Dans ces cas là, l'adulte qui croise le parcours de
l'enfant, lorsqu'il fait preuve d'écoute et de bienveillance, va souvent
être le chaînons manquant d'un parcours auquel l'enfant souhaite
mettre un terme. D'une certaine manière, l'adulte est le moyen concluant
par lequel la carrière va prendre fin. Il arrive aussi que la rencontre
soit plus fortuite, mais néanmoins efficace, d'autant plus si l'enfant,
sans forcement être porteur d'un projet post-rue bien défini,
ressent une certaine insatisfaction quant à sa situation dans la rue.
Dans d'autres cas enfin, les contacts avec les adultes vont jouer le rôle
d'agitateur, par des conseils répétés, des pistes
tracées, que les enfants vont alors suivre jusqu'à la sortie de
la rue.
Ce sont là les résultats les plus significatifs
que nous ayons obtenus. Ces derniers sont en effet le fruits d'une
méthode dont il nous faut dire les limites. D'abord l'échantillon
choisi oriente les résultats. Nous nous sommes entretenus avec des
enfants sortis de la rue, et pour la plupart en réinsertion scolaire ou
professionnelle. Nous avons donc mis de côté les enfants
actuellement en situation de rue, qui sont sans nul doute porteurs de
réponses différentes, car ils se trouvent encore
confrontés à la rue et aux attaches qui les y
retiennent. Aussi, certaines redondances conceptuelles dans la grille d'analyse
sont à retravailler, et cette dernière est d'avantage à
mettre en cohérence avec le guide d'entretien. Cela passe notamment par
proposer des questions permettant une saisie la plus achevée possible
des dimensions que l'on souhaite analyser. Aussi, il a été
difficile de mener de longs entretiens (au delà de 20 ou 25 minutes). Il
sera donc important d'approfondir les entretiens, pour rentrer dans certains
détails, et révéler d'autres éléments, avec
d'avantage de finesse. Sur le plan pratique, il sera notamment
nécessaire de multiplier les entretiens avec un même enfant ou
adolescent, afin d'aborder chacun des thèmes souhaités dans
toutes les dimensions recherchées.
Pour poursuivre et améliorer ce travail, il sera
intéressant de se pencher sur une dimension intimement liée
à l'identité personnel, à savoir le regard des adultes. En
effet, Nous avons vu que l'image qui est renvoyé à l'enfant de
lui-même est déterminante dans les choix qu'il peut faire dans sa
carrière. Il est donc important de lier cette dimension du regard adulte
ou institutionnel, au côté de celle de l'image de soi et des
contacts avec les adultes. Nous venons également de le souligner, il est
intéressant d'attacher une importance plus grande aux
éléments qui freinent la carrière de l'enfant. Pour ce
faire, une étude auprès des enfants actuellement en situation de
rue permettra alors de saisir les facteurs et attaches qui empêchent
l'enfant d'avancer vers la fin de sa carrière.
Au Sénégal, la situation des enfants en
situation de rue est intolérable. Hier, après
indépendance, ils constituaient une gène sociale. Aujourd'hui, le
regard social s'est en quelque sorte habitué. « La
gène vient maintenant de l'extérieur (de occident). Les discours
des intellectuels font référence au passé et aux
solidarités traditionnelles et communautaires, pour donner une image
encore positive. Ces discours sont relativement de mauvaise foi. Preuve en est
le nombre d'enfant des rues, signe de la désagrégation des
structures parentales traditionnelles, et de l'absence de politique publique
pour les enfants marginalisés »116. Si l'Etat se hasarde
à de timides tentatives, notamment en condamnant quelques maîtres
coraniques, parmi ceux qui exploitent et maltraitent leurs talibés,
elles ne sont encore que mesures de communication, et les progrès
enregistrés sont faibles, voir inexistants. Ces changements seraient de
toute façon difficilement mesurables, tant le problème est vaste.
Les efforts déployés par les personnes qui travaillent
directement auprès de ces enfants sont remarquables, mais ne sont
malheureusement qu'une goûte d'eau face à l'ampleur du
problème et de ses multiples enracinements. Sans s'attaquer à ces
causes, sans travailler sur les structures sociétales qui conduisent ces
enfants à la rue, ce travail est malheureusement en grande partie vain,
au Sénégal comme ailleurs.
116Camille Kuyu Mwissa, Parenté et Famille dans les
cultures africaines, Paris, Karthala, 2005, p. 115
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