1.3. Les rôles des adultes
Les relations avec les adultes sont un élément
remarquable dans les histoires que nous avons récoltées pour
notre enquête. En effet, les parcours sont émaillés de ces
rencontres qui agissent de façons différentes et avec une
influence plus ou moins marquée dans la carrière de l'enfant.
Ces contacts avec les adultes peuvent agir de manière
continue dans leur parcours, les incitant progressivement à sortir de la
rue. Chez Ahmed, nous avons déjà vu la place importante qu'occupe
son lien d'amitié, et comment celle-ci va s'avérer être un
déclencheur de sa sortie de la rue. Son parcours est aussi
parsemé de plusieurs contacts avec des adultes, qui ne vont cesser de
l'encourager à quitter son milieu.
... ma grand-mère qui me conseillait de ne pas
écouter ce que disent les jeunes. Je me battais avec les jeunes, ils me
traitaient toujours comme un bâtard. Toujours j'entends ces mots
là. Je reviens, je lui dis et elle me conseille. Elle m'a demandé
de savoir supporter, et que c'est la vie, que ça passera. Y'a son
frère aussi, qui me disait qu'il faut tout faire pour sortir du village,
car c'était pas ma place là-bas. Lui c'était mon ami, le
frère de ma grand-mère.
[...] Quand il [son ami] est parti je ne sortais plus de
chez moi. Il y avait même une personne qui était venue de Kaolak
pour travailler au village et qui est devenue mon ami. Je m'enfermais, et il
venait là-bas tout le temps. Il venait pour me soulager, discuter parce
que c'est ma grand-mère qui avait dit ça.
Tout au long de son parcours, ces contacts sont venus le
soutenir, pour l'aider à supporter ce qu'il vivait, et sont venus aussi
l'encourager vers une sortie de sa situation, de son milieu. C'est finalement
par l'intermédiaire de son oncle qu'il va trouver une issue et quitter
son village pour aller à Saint-Louis, où il finira par arriver au
centre. Le départ de son ami est un déclencheur, et c'est sur les
conseils et sur l'aide des adultes que Ahmed va s'appuyer pour mettre fin
à sa carrière de rue. Ce type d'influence, par petites touches
successives, est également à l'oeuvre dans le parcours de Tarik
en tant que talibé mendiant.
... chez les canadiens, c'est là-bas que tout
à commencer, c'est là-bas qu'on a commencé à avoir
la vraie vie quoi ! A l'âge de treize ans, c'est là-bas qu'on a
commencé à apprendre un peu la vie : à lire, à
écrire...
[...] Ça a commencé à partir de
l'âge de 16 ans jusque maintenant. G. m'a appris pas mal de choses hein :
à travailler, la vie, les bonnes manières, l'amour de la vie.
Aujourd'hui tout ce que je peux dire, tout ce qui est en moi aujourd'hui c'est
lui qui a mis tout ça dans ma tête. Il m'a bien aidé dans
ma vie.
Que ce soit via des institutions (comme les associations) ou
directement, les contacts que Tarik a pu avoir l'ont progressivement fait
entrevoir une sortie possible de sa situation de talibé. Il le dit
luimême de la façon suivante : « ...c'est là-bas qu'on
a commencé à avoir la vraie vie... ». Ce sont ces contacts
et ce qu'ils procuraient (des ressources en terme d'apprentissage notamment)
qui vont progressivement inviter Tarik à construire un projet post-rue.
Une de ses relations avec un adulte va le conduire à se faire adopter.
C'est cette même personne qui l'aidera à se sortir de son daara,
et le propulsera dans une vie active en lui procurant du travail.
La dame chez qui Hassan rend régulièrement des
services va s'avérer être un contact déterminant dans sa
carrière. En effet, c'est elle qui va faire le nécessaire et le
mettre en relation avec le centre, et ainsi permettre sa sortie de la rue.
... c'est une femme qui est venue m'approcher dans un
premier temps pour solliciter mes services, précisément pour que
j'aille puiser de l'eau pour les travaux domestiques pour sa famille. Et c'est
à force de faire ça que des liens se sont tissés entre moi
et la bonne dame. [...] Après, cette dame a parlé au centre pour
faire les démarches et elle a rencontré O..
Hassan reste un cas particulier. Comme nous l'avons
déjà vu, il n'a noué aucun lien avec d'autres jeunes dans
la rue. Il ne s'est tourné que vers des adultes, dans l'intention de
trouver du travail pour se débrouiller. Il a d'ailleurs
été confronté à quelques refus, avant de trouver
quelqu'un qui accepte ses services. Cela ne l'a pas empêché de
persévérer, alors qu'il ne l'a pas fait avec ses pairs.
J'ai d'abord été confronté à
un manque de confiance là où je sollicitais, avant que cette dame
m'approche. Sinon, on me demandait où sont mes parents, d'où je
viens, tout ça. Donc, ne pouvant pas le faire, je n'ai pas trouvé
tout de suite.
Souvent, dans les parcours que nous avons
étudié, les adultes ont un rôle clé dans la sortie
de la rue. Ils sont souvent le pont qui va permettre à l'enfant de
passer de sa situation de rue, à une autre situation (dans une
institution par exemple). Souvent, ce rôle n'est que celui d'une simple
passerelle, n'étant que le chaînon manquant d'une carrière
que l'enfant souhaite voir se terminer rapidement. C'est donc
généralement l'enfant qui, en faisant jouer ses contacts, ses
réseaux, en cherchant de l'aide, va finir par trouver une personne
adulte capable de l'aider à quitter la rue. C'est par exemple le cas de
Cheikh, qui, nous le rappelons, cherche un médiateur pour l'aider
à retourner dans sa famille à Dakar. C'est en arrivant à
Saint-Louis qu'il va mettre fin à sa carrière dans la rue.
Je n'étais jamais venu à St-louis,
même moi je ne connaissais pas ce qu'était le centre, mais je
voulais parler avec ma mère et mon père pour que le
problème se règle, on m'a présenté le centre, on
m'a expliqué comment ça fonctionne le centre...
C'est donc l'éducateur du centre, qui va permettre
à Cheikh de réaliser son souhait, mais c'est bien Cheikh qui est
allé à la rencontre du centre, et non l'inverse. L'adulte a
été ici un simple moyen, qu'il cherchait en venant à
Saint-Louis, qui lui a permis de sortir de la rue. Si la plupart du temps,
l'enfant ou l'adolescent, devant les propositions de placement, d'avenir que
peut lui faire l'adulte, quitte immédiatement, et sans hésitation
sa situation de rue (dans les parcours que nous avons étudié,
c'est généralement le cas des enfants recueillis par le Samu
Social à Dakar, notamment Mamadou, Aly et Djiby), il arrive qu'une sorte
négociation se mette en place. C'est le cas particulier de Mame, dans un
daara pendant 5 ans, d'où il va faire plusieurs fugues, pour cause de
maltraitances. Son marabout va le retrouver à chaque fois. Il parvient
finalement à s'enfuir et quitte Touba à pieds pour Darou, puis
arrive à Saint-Louis.
... Je ne connaissais pas l'existence du centre. Quand
j'ai vu les jeunes après le marché, ils m'ont proposé.
Quand j'ai discuté avec eux, quand je suis venu au centre, que j'ai
trouvé l'éducateur et j'ai discuté avec lui, ce que
l'éducateur m'a dit, ça ma fait réfléchir et
ça m'a motivé à rester. Je lui ai dit ce que je voulais et
il m'a rassuré pour rester.
- Qu'est ce que tu voulais ?
- Si je peux rester ici, et ne pas retourner dans ma
maison. L'éducateur m'a rassuré en me disant que
présentement, pas tout de suite tout de suite, mais peut-être au
futur voir. Et c'est la raison pour laquelle je suis resté.
Son dossier décrit Mame comme quelqu'un de calme, avec
une forte personnalité et sociable avec ses pairs. Il semble très
débrouillard et à l'habitude de la vie dans la rue. C'est
probablement cette assurance qui lui permet de poser une condition à sa
propre sortie de la rue. Dans la discussion avec l'éducateur, il va oser
demander à ne pas retourner dans sa famille, et ce n'est qu'une fois
cette garantie énoncée qu'il va accepter de venir au centre. Ce
trait de caractère, cette négociation de sa sortie de la rue, ne
se retrouve que chez lui. Dans les autres cas similaires (voir les entretiens
de Djadji, de Mamadou et de Aly) les enfants ont simplement raconté
avoir été convaincus par les propos des adultes qui les ont
approchés pour leur proposer une aide.
Les relations avec les adultes, plus ou moins marquées
selon les parcours, occupent donc une place importante parmi les facteurs qui
vont favoriser la fin de la carrière des enfants en situation de rue.
Agissant soit de manière continue, en allant progressivement dans le
sens d'une construction d'un projet post-rue, soit comme un moyen rapide qui va
donner à l'enfant ou l'adolescent la possibilité
de mettre rapidement fin à sa carrière dans la
rue. Dans ces cas, la rencontre avec l'adulte peut être plus ou moins
provoquées, c'est à dire que l'enfant est plus ou moins en
recherche d'une ressource (adulte, institutionnelle) pour l'aider dans sa
situation.
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