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Les enfants en situation de rue du Sénégal. L'identité et la socialisation dans le processus de sortie de la rue

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par Corentin SIROU
Université Lumière Lyon 2 (ISPEF) - Master 1 sciences de l'éducation 2011
  

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1.3. Les rôles des adultes

Les relations avec les adultes sont un élément remarquable dans les histoires que nous avons récoltées pour notre enquête. En effet, les parcours sont émaillés de ces rencontres qui agissent de façons différentes et avec une influence plus ou moins marquée dans la carrière de l'enfant.

Ces contacts avec les adultes peuvent agir de manière continue dans leur parcours, les incitant progressivement à sortir de la rue. Chez Ahmed, nous avons déjà vu la place importante qu'occupe son lien d'amitié, et comment celle-ci va s'avérer être un déclencheur de sa sortie de la rue. Son parcours est aussi parsemé de plusieurs contacts avec des adultes, qui ne vont cesser de l'encourager à quitter son milieu.

... ma grand-mère qui me conseillait de ne pas écouter ce que disent les jeunes. Je me battais avec les jeunes, ils me traitaient toujours comme un bâtard. Toujours j'entends ces mots là. Je reviens, je lui dis et elle me conseille. Elle m'a demandé de savoir supporter, et que c'est la vie, que ça passera. Y'a son frère aussi, qui me disait qu'il faut tout faire pour sortir du village, car c'était pas ma place là-bas. Lui c'était mon ami, le frère de ma grand-mère.

[...] Quand il [son ami] est parti je ne sortais plus de chez moi. Il y avait même une personne qui était venue de Kaolak pour travailler au village et qui est devenue mon ami. Je m'enfermais, et il venait là-bas tout le temps. Il venait pour me soulager, discuter parce que c'est ma grand-mère qui avait dit ça.

Tout au long de son parcours, ces contacts sont venus le soutenir, pour l'aider à supporter ce qu'il vivait, et sont venus aussi l'encourager vers une sortie de sa situation, de son milieu. C'est finalement par l'intermédiaire de son oncle qu'il va trouver une issue et quitter son village pour aller à Saint-Louis, où il finira par arriver au centre. Le départ de son ami est un déclencheur, et c'est sur les conseils et sur l'aide des adultes que Ahmed va s'appuyer pour mettre fin à sa carrière de rue. Ce type d'influence, par petites touches successives, est également à l'oeuvre dans le parcours de Tarik en tant que talibé mendiant.

... chez les canadiens, c'est là-bas que tout à commencer, c'est là-bas qu'on a commencé à avoir la vraie vie quoi ! A l'âge de treize ans, c'est là-bas qu'on a commencé à apprendre un peu la vie : à lire, à écrire...

[...] Ça a commencé à partir de l'âge de 16 ans jusque maintenant. G. m'a appris pas mal de choses hein : à travailler, la vie, les bonnes manières, l'amour de la vie. Aujourd'hui tout ce que je peux dire, tout ce qui est en moi aujourd'hui c'est lui qui a mis tout ça dans ma tête. Il m'a bien aidé dans ma vie.

Que ce soit via des institutions (comme les associations) ou directement, les contacts que Tarik a pu avoir l'ont progressivement fait entrevoir une sortie possible de sa situation de talibé. Il le dit luimême de la façon suivante : « ...c'est là-bas qu'on a commencé à avoir la vraie vie... ». Ce sont ces contacts et ce qu'ils procuraient (des ressources en terme d'apprentissage notamment) qui vont progressivement inviter Tarik à construire un projet post-rue. Une de ses relations avec un adulte va le conduire à se faire adopter. C'est cette même personne qui l'aidera à se sortir de son daara, et le propulsera dans une vie active en lui procurant du travail.

La dame chez qui Hassan rend régulièrement des services va s'avérer être un contact déterminant dans sa carrière. En effet, c'est elle qui va faire le nécessaire et le mettre en relation avec le centre, et ainsi permettre sa sortie de la rue.

... c'est une femme qui est venue m'approcher dans un premier temps pour solliciter mes services, précisément pour que j'aille puiser de l'eau pour les travaux domestiques pour sa famille. Et c'est à force de faire ça que des liens se sont tissés entre moi et la bonne dame. [...] Après, cette dame a parlé au centre pour faire les démarches et elle a rencontré O..

Hassan reste un cas particulier. Comme nous l'avons déjà vu, il n'a noué aucun lien avec d'autres jeunes dans la rue. Il ne s'est tourné que vers des adultes, dans l'intention de trouver du travail pour se débrouiller. Il a d'ailleurs été confronté à quelques refus, avant de trouver quelqu'un qui accepte ses services. Cela ne l'a pas empêché de persévérer, alors qu'il ne l'a pas fait avec ses pairs.

J'ai d'abord été confronté à un manque de confiance là où je sollicitais, avant que cette dame m'approche. Sinon, on me demandait où sont mes parents, d'où je viens, tout ça. Donc, ne pouvant pas le faire, je n'ai pas trouvé tout de suite.

Souvent, dans les parcours que nous avons étudié, les adultes ont un rôle clé dans la sortie de la rue. Ils sont souvent le pont qui va permettre à l'enfant de passer de sa situation de rue, à une autre situation (dans une institution par exemple). Souvent, ce rôle n'est que celui d'une simple passerelle, n'étant que le chaînon manquant d'une carrière que l'enfant souhaite voir se terminer rapidement. C'est donc généralement l'enfant qui, en faisant jouer ses contacts, ses réseaux, en cherchant de l'aide, va finir par trouver une personne adulte capable de l'aider à quitter la rue. C'est par exemple le cas de Cheikh, qui, nous le rappelons, cherche un médiateur pour l'aider à retourner dans sa famille à Dakar. C'est en arrivant à Saint-Louis qu'il va mettre fin à sa carrière dans la rue.

Je n'étais jamais venu à St-louis, même moi je ne connaissais pas ce qu'était le centre, mais je voulais parler avec ma mère et mon père pour que le problème se règle, on m'a présenté le centre, on m'a expliqué comment ça fonctionne le centre...

C'est donc l'éducateur du centre, qui va permettre à Cheikh de réaliser son souhait, mais c'est bien Cheikh qui est allé à la rencontre du centre, et non l'inverse. L'adulte a été ici un simple moyen, qu'il cherchait en venant à Saint-Louis, qui lui a permis de sortir de la rue. Si la plupart du temps, l'enfant ou l'adolescent, devant les propositions de placement, d'avenir que peut lui faire l'adulte, quitte immédiatement, et sans hésitation sa situation de rue (dans les parcours que nous avons étudié, c'est généralement le cas des enfants recueillis par le Samu Social à Dakar, notamment Mamadou, Aly et Djiby), il arrive qu'une sorte négociation se mette en place. C'est le cas particulier de Mame, dans un daara pendant 5 ans, d'où il va faire plusieurs fugues, pour cause de maltraitances. Son marabout va le retrouver à chaque fois. Il parvient finalement à s'enfuir et quitte Touba à pieds pour Darou, puis arrive à Saint-Louis.

... Je ne connaissais pas l'existence du centre. Quand j'ai vu les jeunes après le marché, ils m'ont proposé. Quand j'ai discuté avec eux, quand je suis venu au centre, que j'ai trouvé l'éducateur et j'ai discuté avec lui, ce que l'éducateur m'a dit, ça ma fait réfléchir et ça m'a motivé à rester. Je lui ai dit ce que je voulais et il m'a rassuré pour rester.

- Qu'est ce que tu voulais ?

- Si je peux rester ici, et ne pas retourner dans ma maison. L'éducateur m'a rassuré en me disant que présentement, pas tout de suite tout de suite, mais peut-être au futur voir. Et c'est la raison pour laquelle je suis resté.

Son dossier décrit Mame comme quelqu'un de calme, avec une forte personnalité et sociable avec ses pairs. Il semble très débrouillard et à l'habitude de la vie dans la rue. C'est probablement cette assurance qui lui permet de poser une condition à sa propre sortie de la rue. Dans la discussion avec l'éducateur, il va oser demander à ne pas retourner dans sa famille, et ce n'est qu'une fois cette garantie énoncée qu'il va accepter de venir au centre. Ce trait de caractère, cette négociation de sa sortie de la rue, ne se retrouve que chez lui. Dans les autres cas similaires (voir les entretiens de Djadji, de Mamadou et de Aly) les enfants ont simplement raconté avoir été convaincus par les propos des adultes qui les ont approchés pour leur proposer une aide.

Les relations avec les adultes, plus ou moins marquées selon les parcours, occupent donc une place importante parmi les facteurs qui vont favoriser la fin de la carrière des enfants en situation de rue. Agissant soit de manière continue, en allant progressivement dans le sens d'une construction d'un projet post-rue, soit comme un moyen rapide qui va donner à l'enfant ou l'adolescent la possibilité

de mettre rapidement fin à sa carrière dans la rue. Dans ces cas, la rencontre avec l'adulte peut être plus ou moins provoquées, c'est à dire que l'enfant est plus ou moins en recherche d'une ressource (adulte, institutionnelle) pour l'aider dans sa situation.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams